Comme chaque matin, Bennett remet son four à chauffer, ballait son atelier et arrange sa petite boutique avant d'ouvrir la porte de la forge. Un rituel quotidien appris de son maitre et qui est devenu avec le temps un moment de réflexion avant ses journées.

Missionné par une clientèle régulière d’artisans locaux, de bandits sans grande renommée, de quelques nobles femmes aimant les décorations en fer forgé Bennett connait très peu de nouveauté dans son quotidien. Ce jour, il honore la commande d'un client fidèle depuis de très nombreuses années, un artisan menuisier désirant de nouveaux outils pour un nouveau compagnon. C'est donc avec un certain étonnement qu'il aperçoit ce jeune homme passant la porte. Il ne faut pas longtemps au maitre forgeron pour comprendre que son vis à vis ne vit pas dans le quartier. Les premiers mots de son interlocuteur confirment directement sa pensée.

L'approche du grand tournoi semble amener certains à frapper à la porte des commerces de la ville. Une aubaine que Bennett et ses compagnons commerçants ont rapidement compris lorsque l'annonce est parue. L'homme présent si-tôt aujourd'hui vient-il s'équiper pour y participer ?

« Bonjour je me nomme Bennett. Les armures sont les spécialités de la maison mais je peux fournir des armes, des outils et du petit matériel. Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte pour vous donner un délai. Tout d'abord, quels sont vos besoins ? »

Bennett ne demande jamais le nom de ses clients. S'il y a bien une chose que la vie lui a apprise c'est d'être payé la moitié au moment de la commande, l'autre moitié à la livraison et enfin ne jamais poser beaucoup de question. Aujourd'hui son client ne semble pas vouloir se présenter. Qu'importe. Ce qui intéresse Bennett c'est d'obtenir du travail.

Pendant que le jeune homme au comptoir énonce son besoin, Bennett réfléchit. Doit-il accepter de faire cette épée ? Lui est plutôt à l'aise lorsqu'il s'agit de forger des armures. De l'Obsidienne ? Pas un obstacle car un élément connu et déjà travaillé pour différentes commandes par le passé. Cependant les contraintes et le travail que cela demande seront plus grands et l'échéance du Grand Tournoi vient ajouter un facteur de stress en plus. Soudain, les mots « je souhaite avoir une gravure du poisson des Vaël sur une face » sortent de la bouche de son client et Bennett a une absence. « Vaël » ? A-t-il bien entendu ? Il semble bien que oui. Cette information efface tous les doutes du forgeron. Une commande pour un membre de la famille Vaël est une opportunité qu'il serait fou de refuser. Même si cela lui vaudra de refuser quelques futures commandes et de se livrer corps et âme dans ce projet, Bennett forgera cette épée.
Deux questions se posent alors. Quel prix serait prêt à mettre son client ? Et surtout, qui est ce jeune homme qui souhaite une épée avec le symbole des Vaël ?

« Je vois que votre demande est déjà réfléchie. Cela facilite les échanges. Je vais être transparent. Si j'accepte votre commande cela sera un sacré défi pour moi. Avez-vous une idée du budget que vous souhaitez allouer à la fabrication de cette épée ? Car si je tiens compte de toutes vos demandes, de l'obsidienne et de l'impact sur ma forge. Le prix sera conséquent. Me concernant je peux vous dire que l'obsidienne sera utilisée car je connais cette roche et j'ai un fournisseur capable d'être réactif. Le délai du Grand Tournoi me semble tenable. Je vais devoir revoir mon carnet de commande en conséquence. Les gravures ne seront pas un obstacle.

Pour nous assurer que cette épée vous corresponde nous allons passer quelques moments ensemble. J'ai derrière mon atelier différents outils qui nous permettront de juger quels sont vos besoins en poids, taille de la fusée et de l'épée au global etc. »

Après avoir parlé de la commande, Bennett prend une grande respiration et se lance.

« Donc les gravures sur la lame devront représenter la famille Vaël. Vous en êtes un proche ? Car si j'ai bien compris, cette épée sera la votre. »

Pas habitué à poser des questions à ses clients, le maitre forgeron n'ose approfondir d'avantage. Cette fois la tentation était trop grande. Après avoir énoncé sa question, Bennett eu un moment de doute. A-t-il eu raison d'oser interroger le jeune homme ?

« Je suis Tiarnan Vaël. Le bâtard du Prince. ». Ces quelques mots foudroient les pensées de Bennett. Le fils du prince est présent dans sa modeste boutique. La sincérité que dégage Tiarnan ne laisse place à aucun doute. Cette histoire est la sienne. Sans aucun moment de réflexion, sans hésitation Bennett prit la parole.

« Cette épée qui représente votre histoire, qui est forgée pour vous et uniquement pour vous, tout ça raconte quelque chose pour moi. Je tiens à vous le dire, je suis honoré que vous ayez ouvert la porte de ma boutique. Votre titre, votre famille sont peu de choses à côté de la sincérité dont vous faites preuve. Écoutez. Au sujet du financement. Certes l'épée sera vue, analysée et fera en quelque sorte partie de ma vitrine mais mes factures ne se payent pas ainsi. »

Bennett laisse place à quelques secondes de silence pour repenser la suite de ses propos

« Cependant, je vais vous demander de ranger cette bourse. Nous allons écrire cette dette dans mon journal des comptes, sous un nom d'emprunt car je pense que vous ne souhaitez pas que cela soit connu. Sa valeur sera le coût réel de l'épée. Pas de marge ni de facturation des tentatives d'essais. Aujourd'hui je ne connais pas le montant exact mais selon mes premières estimations nous sommes plus vers 70 pièces d'or. La condition que j'aimerais ajouter est la suivante. Tant que la dette existe, vous ferez en sorte d'aider les orphelins de cette ville. La chantrie se targue d’aider mais en réalité elle ne peut qu’offrir un lit et quelques repas. Votre parole à un poids, votre image à un sens et vos actions ont un pouvoir. Aidez les comme votre rang le permet. Offrez leur un peu d’éducation, parlés aux nobles qui ont besoin de monde à leur service ou dans leurs affaires. Ces enfants sont l'avenir de la ville, l'avenir de votre peuple. Ne les oubliez pas comme d'autres l'ont fait avec ma génération s'il vous plaît. Sœur Silence est un phare pour nous les orphelins mais elle ne peut pas tout faire seule.

Tout à l'heure vous avez parlé de ma vie et demandé si j'avais des rêves. Oui j'en avais un. Sortir de mon quotidien entre l’orphelinat et la rue. Mon maître a exaucé ce rêve quand il cherchait quelqu’un pour balayer la forge. A sa mort il a fait de moi un homme autonome. Je lui dois tout. Il m'a même légué cette forge. Je n'y pensais même pas dans mes rêves. Aujourd'hui j'espère et crois en un monde plus équitable. Ce qui me fait avancer au quotidien aujourd'hui, c’est la réputation de mon travail. Être bon, servir les clients les plus exigeants et que les éléments que je forge permettent aux hommes et aux femmes qui passent cette porte de vivre leurs aventures. C’est ça mon bonheur. Et avec cette épée au Grand Tournoi vous allez remplir mon coeur de joie »

Bennett avait les yeux brillants. Il avait pris son courage à deux mains pour enfin exprimer ce qu’il ressentait depuis très longtemps et en plus face à une personne qui a le pouvoir de mettre ces idées en place. Fallait-il encore que Tiarnan accepte.

Son visage, sa posture. Tiarnan transpire le doute. Bennett le voit très rapidement et ne compte pas laisser son jeune interlocuteur dans cet état. Comme un second sens, un réflexe, Bennett prend la parole.

« Relevez la tête. Je ne suis qu'un simple forgeron. On ne doit pas vous voir détourner les yeux de moi. Les informations vont trop vite ici pour vous autoriser ce petit moment de doute. Vous semblez être un homme de parole. Je vais faire cette épée pour le Grand Tournoi. Vous êtes honnête avec moi, je ne peux pas vous laisser ainsi.

Suis-je fou ? Tous mes confrères diraient que oui. Mon maître vous aurait jeté hors de la forge. Alors je ne saurais vous le dire.

Suivez moi derrière. Nous allons regarder le poids idéal, la taille de vos mains et vos mouvements de combat. Plus j'en sais, mieux je travaille. Je serais prêt dans les temps que vous m’avez demandé.»

Cette décision est un vrai pari pour le maître forgeron. Mais que sont des pièces d'or face à la promesse d’un futur prince qui aidera des centaines de personnes dans le futur ?
L’enfant que Bennett a été, a longtemps rêvé d’une telle opportunité pour sensibiliser les personnes de pouvoir. Aujourd’hui par un petit miracle c’est le futur prince qui est entré dans sa forge, souhaitant travailler avec lui. Le maître forgeron par cet acte espère que l’histoire qui suivra lui donnera raison, il faut croire en Tiarnan.