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La grande décision [Mission Union - Saam]

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La grande décisionCHAPITRE TROIS : ILS S'ELEVERONT QUAND S'ANNONCERA LA CHUTE

Type de RPMission
Date du sujet26 Drakonys 5:13
ParticipantsHector de Grandbois - Saam Van Cauwenberghe
TWSouffrance / Pensées sombres
Résumé Reclus dans un quartier pauvre, l'union de deux jeunes recrues sous l'oeil du garde de rang se prépare.


Code:
[code]<ul><li><en3>26 Drakonys 5:13</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1460-la-grande-decision-mission-union-saam#16960">La Grande Décision</a></li></ul><p><u>Hector de Grandbois -  Saam Van Cauwenberghe</u> RÉSUMÉ DU RP.</p>[/code]

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La grande décisionLe serment inviolable

« Alors Hector, aujourd'hui tu fais passer l'union ? »

Pour toute réponse ce vieux garde obtint un grognement. Mais il connaissait déjà la vérité, oui Hector était chargé de l'union d'un jeune garnement trop idéalise. Lorsque le colosse avait connu le petit blondinet, il l'avait aussitôt vu pour ce qu'il était, un jeune gamin avec bien trop de bonne volonté, enfermé dans une réalité qui ne correspondait pas au monde. Berné par une foi trop intense, les premières rencontres entre les deux furent quelque peu hostiles. Pourtant étrangement le jeune Saam ne parvenait pas à être le sang bleu arrogant qu'Hector imaginait voir. Il aidait, bien trop pour qu'ancien héritier de Grandbois ne le reconnaisse comme réaliste, mais il n'était pas pour autant la chose que le boucher haissait tant. Et aujourd'hui, ou plutôt ce soir, il s'apprêtait à faire le premier pas dans la garde.

D'un trait le boucher termina sa choppe. Il avait moins bu aujourd'hui que d'autres, car pour cette journée ses pensées n'étaient pas hantées par le spectre de la bête ailée, mais par la perspective de soumettre deux jeunes personnes à l'union. Ce rituel liait les gardes entre eux, ils faisaient d'eux des frères et de sœurs, forgeait un lien que seul la mort pouvait défaire. Même pour lui aujourd'hui, l'ancien noble Orlésien avait du mal à réaliser toute l'importance de ce lien. Ils étaient tous voués à mourir, vaincu par ce mal qui les rongeait. Alors le premier pas dans la garde valait serment bien plus que tous les vœux des ordres, l'union était impossible à éviter et le destin de tous ceux qui le prenait était similaire.

« Tiens, file ça au blondinet quand tu le vois, ainsi qu'à sa copine, te plante pas. »

Le garde acquiesça, il allait faire sa part, Hector en était conscient. Sous les regards étonnés il quitta la salle. Beaucoup se demandait pourquoi avait-il accepté, alors que c'était plutôt connu qu'il n'appréciait pas tant que ça le petit noble un peu trop hautain à son goût. La réponse était plutôt simple, il y a quelques jours de cela il avait perdu son amie, la première garde qu'il avait connu. Celle-ci avait prit en affection le jeune garnement, lui avait demandé de ne pas trop tirer sur la corde avec lui. Comme pour honorer ce soir ou il avait accepté, comme pour faire son deuil d'une amie, il allait faire du gamin un garde, s'il en avait les tripes. Il avait remit sur ce petit parchemin les inscriptions nécessaires au jeune garde.

Saam, Cenwyn

Ce soir vous passez l'union. Vous aménerez ce que vous avez récolté sur place, n'oubliez-rien.

Ce soir, à la tombée de la nuit, Clayrak, à l'est de la garnison il y a une maison close. Derrière une petite rue, au fond un vieux bâtiment, soyez à l'heure.

Je vous attends.

Hector

La lettre était écrite avec un soin impeccable, différent de l'allure si peu lettrée du garde de rang. Pour cause, il l'avait écrite avant sa seule choppe de la journée, calmement. Même si ce petit noble était insupportable par moment, Andra avait raison sur plusieurs points. Il avait quitté le cercle pour rejoindre l'enfer de la garde, il allait maintenant passer l'union, il avait bien plus de cran que ne l'aurait pensé l'orlésien des semaines auparavant.

La nuit venue, Hector attendait. Durant les heures de jours qu'il avait passé sur place, il avait écarté meubles, cadavres de rats soulards du coin. Peu de bruit se faisaient entendre dans le vieux bâtiment, si ce n'est celui d'une pierre à aiguiser sur une lame. Il patientait depuis de longues minutes dans un noir brisé uniquement par une bougie à ses pieds. Pour faire passer ce temps, il prenait soin de son arme, avec une attention décuplée par le manque d'alcool. Lorsque les deux recrues arrivèrent, ce fut pour le trouver assis sur l'unique chaise encore à portée, légèrement illuminé par cette unique bougie. Les ténèbres menaçantes occupait tout le lien, à l'exception de ce petit point de jour et de la porte par laquelle ils rentraient, baignant dans une lumière lunaire qui ne serait d'aucune aide à l'intérieur du bâtiment. Hector laissa sa pierre au sol, puis posa son regard sur ceux à qui il faisait passer la pire des épreuves.

« Rentrez et gravez ces lieux dans votre mémoire, vous aller prendre ici la plus grosse décision de votre vie, mesurez bien l'impact, l'union est le vœux à faire pour rentrer dans la garde, êtes vous prêt à le prendre ? »

Le ton sombre et sérieux d'Hector était vide d'émotions, autre qu'une étrange mélancolie.


@Frère Génitivi
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La grande décision« As I follow the path where the darkness collects
So much death, what for, what for, what for ? »
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Le sang.

Le sang des Cent Piliers, celui qui a irrigué sa terre et stagne en son sein, le sang qui coule encore à cette heure en Antiva, sans cesse et sans raison, qui ruisselle de veines interminables puisant leur courant au sacrifice de la valeur et de l’innocence, inonde les orangeraies désormais moins gorgées de soleil que de souillure, le sang qui a pleuré sur notre route, entre nos blessés succombés et nos âmes en perdition, parmi les réfugiés de Wycome dont le sort se scelle à chaque mort un peu plus, le sang de ces pots déposés, là, sur un bureau abominablement vide, au milieu d’un déchirement muet qui supplicie mon cœur et se prolonge à l’agonie. Le sang des fioles, froides et funestes, que nous avons dû remplir nous-mêmes, à la source de charognes perverties, dans lequel nous avons plongé nos mains, si pures et si blanches, dans lequel nous avons plongé nos regards blafards sans nous permettre un cillement, un oscillement, un retour en arrière.

Le sang. Le sang et son symbole, ses menaces, son scintillement de mauvais augure. Où que je me rende, cet éclat poisseux semble me suivre, me suffoque sous ses flots et m’entraîne vers ses abysses. Son empreinte s’est infiltrée dans mon esprit, son cours a creusé son lit des profondeurs jusqu’à l’amont, jusqu’ici, à la commanderie, attiré par ma trace comme les gouttes de pluie dévalent une toile déformée par le poids d’un galet, et suinte au moindre de mes mouvements. Partout où je pose les yeux, le monde se voile d’un linceul écarlate qui refuse de me laisser à mon tourment ; peu importe quelles ombres torturent mes pensées, il faut à cette sinistre couleur se rappeler à moi derrière les visions ignobles, inhumaines, qui hantent mes cauchemars depuis notre retour à Starkhaven. Les visages pâles, défigurés par la mort et maculés par la vie, étendus sur un sol durci qui, presque surpris devant la violence de leur trépas, ne sait comment accueillir dignement les décombres de ces existences qu’il a observé s’activer en silence des années durant, et que quelques instants de fureur inouïe ont suffi pour coucher à jamais sur sa peau racornie par le poison de l’engeance. Les visages pâles, maculés par la mort et défigurés par la vie, des monstres si peu humains et trop à la fois, qui grouillent et sinuent dans les artères du monde comme une humeur infectée remonte lentement l’échine lacérée d’un moribond, frissonnant de fièvre et d’affliction tandis que la pourriture impie déverse en lui ses versets de la fin. Les visages pâles, défigurés, maculés, déjà sans vie mais si loin de la mort, des guerriers damnés à la livrée bleu et argent, qui m’emportent avec eux au fil de leur ascension infernale. Malgré moi. Parce que j’ai décidé de me laisser porter.

Le sang de ce que j’ai vu tache toujours mes yeux. Le sang de ce que j’ai chu tache toujours mes doigts, sous mes gants, sous ma peau ; je le vois presque courir dans mes propres veines, noyer mon propre sang.          

Mon sang bat, gronde, siffle à mes oreilles. Au vide gonflé dans ma poitrine creuse.

Et l’autre sang, putrescent, bouillonne sans bouger au fond de sa fiole. Froid et funeste.

Je serre mon poing autour du verre, dont les runes de préservation luisent doucement dans la pénombre de la chambre inerte, dépossédée de son seul vrai foyer. À travers le cuir, je le sens mordre ma chair. Froid et funeste.

Le sang et son linceul refusent de me quitter. Ils m’enveloppent, ils me couronnent comme un glorieux mourant. Mort de sa gloire. Et ce soir, encore, il me suit, il me talonne jusque dans cette cérémonie dont j’espérais qu’elle repousse ma souffrance, lui donne un but. Une raison d’être ; de justifier le ravage incessant et indécent qu’elle m’inflige, à mon corps et à mon âme.

Mais le sang me suit, il coule dans mes pas et dans mes veines, malgré moi, parce qu’il me porte et que j’ai décidé de le laisser m’emporter.

Je quitte la pièce exsangue.

Le sang me poursuit.

***

« Je ne comprends pas ce qu’il cherche à tirer de nous avec cette mascarade. »

Le crépuscule a enfoncé ses griffes de pourpre et de jais dans les ruelles biscornues du tristement célèbre Clayrak, rejeton malformé et misérable de la pieuse majesté havenoise, et chassé sans aménité la plupart des badauds qui n’ont rien d’assez vil à se reprocher pour poursuivre leurs exactions sous le couvert des ombres. Heureusement pour Cenwyn, et heureusement pour moi, les couleurs sévères de la Garde nous assurent une relative sécurité en ces lieux où crime et malhonnêteté font loi, et ce plus encore depuis l’annonce des heures sombres ; ce qui ne nous a pas empêchés de nous saisir de nos armes, en sus de nos uniformes, sans savoir ce qui nous attendra le long du chemin… ou à son terme.  

Le regard rivé au sol, je tente de perdre mon amertume dans la trame lacunaire des pavés, qui tient en réalité davantage du lac de bourbe où parfois émerge un gué salutaire – ou bien un écueil traître, selon la manière dont on aborde les choses.

« Un adoubement dans les entrailles du cloaque le plus sordide de Starkhaven ? Quel genre de fantaisie est-ce là ? Tient-il à assouvir quelque fantasme personnel, ou bien tente-t-il de nous effaroucher ? Par le Créateur ! » Un gravier malheureux, disposé sur la trajectoire de ma botte, ricoche bien vite dans le clair-obscur, proie facile pour ma colère.  « Nous nous sommes rendus aux Cent Piliers ! Nous avons observé les morts, les blessés, les engeances… le… le… » (Incapable de prononcer l’imprononçable, je finis par secouer la tête, tant de frustration que d’effroi.)  « Nous étions là ! Et il l’a vu, que cela lui plaise ou non. Je doute que beaucoup d’autres recrues aient eu à affronter les mêmes épreuves que nous avant même leur consécration ; faut-il donc que tous ces mystères et ces supercheries soient encore nécessaires ?

— La bougonnerie, ça te suit pas au teint, Saam. »
Cenwyn n’a pas haussé la voix ; sa silhouette trapue, plus basse que la mienne quoique bien plus imposante dans sa cote rutilante, se meut dans la lueur mourante du jour avec sa placidité habituelle, pleine d’une sérénité qui persiste à m’échapper alors que nous nous rapprochons, l’un comme l’autre, de l’aboutissement de nos vœux. « Si messer de Grandbois a décrété ça, alors c’est ça, point barre. ‘Sert plus à rien de ronchonner maint’nant.

— Je sais que tu l’apprécies, Cenwyn, mais je ne peux tolérer la comédie discutable qu’il fait de notre intronisation. Penses-tu vraiment qu’un rite de passage de la Garde des Ombres doive se célébrer dans une masure à l’abandon, juste derrière une maison de débauche ? »
Je lâche un rire sec.  « À bien y réfléchir, je n’aurais pu espérer davantage de sa part. Qu’Andrasté nous préserve s’il a simplement choisi cet endroit pour mieux satisfaire ses appétits avant notre arrivée. »

Un ondoiement de la chevelure brune à mes côtés me laisse entendre que la jeune fille a haussé les yeux au ciel. « Ou ben c’est pour fêter not’ réussite après. Quoi foutre ? Dans tous les cas, y doit d’jà êt’ là-bas, et chicaner sur si c’est ben digne d’la Garde ou pas d’nous faire faire nos noms dans c’te bicoque l'fera pas pus rappliquer par ici. Ni nous f’ra trotter pus vite. »

L’impatience naissante de son ton prohibe toute suite à la discussion. Un soupir agacé m’échappe, mais je ne réponds rien. Pour énervé que je sois envers le vétéran de Grandbois et sa façon de dénigrer notre mérite avec ses simagrées insensées, je ne tiens pas à me quereller avec l’une des rares – si ce n’est la seule, désormais qu’Andra est… depuis qu’elle est partie – qui reste amicale à mon égard au sein de la Garde. Et moins encore la nuit de notre élévation.

Le silence se fait, tranquille ici, là maussade.

Le soleil sombre peu à peu à l’horizon tandis que nous continuons d’arpenter les venelles crasseuses. Bientôt, le halo argenté des premières étoiles nimbe devant nous une bâtisse enlaidie par la récurrence de ses profanations, piquetée de fenêtres jalouses d’où jaillissent des cris on ne peut plus évocateurs. Cette fois, ce n’est pas la puanteur pénétrante, caractéristique du Clayrak, qui me fait plisser le nez. Je presse l’allure, afin de dépasser au plus vite l’odieux petit bourgeon de vice.

Cenwyn rattrape ma fuite par le bras pour m’indiquer du doigt une allée, encore plus étroite et repoussante que tout ce que nous avons croisé jusqu’alors, courant contre l’un des murs sales du bouge. Je serre les dents, mais m’engage néanmoins dans le sillage de ma camarade.

Il nous faut peu de temps pour enfin arriver devant la porte branlante d’une ruine à peine moins pitoyable, au fond de l’impasse. De l’intérieur semble provenir des crissements réguliers, typiques du raclement du métal contre une surface rêche. Pas besoin d’une longue déduction pour comprendre qu’il s’agit là de notre point de rendez-vous et que notre chaperon y patiente déjà, ce qui m’arrache derechef une grimace de dégoût ; cependant je tente d’invoquer le calme sur mon visage, à défaut de savoir l’imposer à mon esprit. Il n’est pas question de laisser à messer de Grandbois une autre opportunité de railler ma nature.

Cenwyn est la première à pénétrer la maison, après avoir poussé la porte qui se déploie dans une grande plainte de bois antique et de gonds mal huilés. Je la suis, circonspect, les épaules tendues tandis que j’essaye un pas précautionneux sur le parquet gondolé. Je ne distingue rien, aucun meuble, aucune tenture ; la pièce entière est plongée dans des ténèbres insondables que disperse une unique chandelle, posée à même le sol. À mesure que nos yeux se font à l’obscurité, sa lueur vacillante révèle les lignes droites d’une chaise et les volumes abrupts du guerrier orlésien assis dessus, voûté sur sa lame qu’il aiguise d’un geste expert. L’épée accroche des éclats durs à la flamme de la bougie.

Sitôt qu’il nous aperçoit, l’homme délaisse son arme. Son regard s’affûte lorsqu’il le pointe sur nous ; son tranchant me surprend, nous transperce. Une fois n’est pas coutume, l’alcool ne semble pas émousser ses sens. Malgré l’ardeur de ma détermination et l’aigreur de ma colère, je me sens frissonner.

La gravité du moment oppresse de nouveau l’atmosphère.

« Rentrez et gravez ces lieux dans votre mémoire, vous allez prendre ici la plus grosse décision de votre vie, mesurez bien l'impact, l'Union est le vœu à faire pour rentrer dans la Garde, êtes-vous prêts à le prendre ? »

Messer de Grandbois a délivré son message – son avertissement ? – d’une seule traite, la voix monocorde, la mine grise. Rarement l’ai-je vu en proie à une semblable atonie. Est-ce donc cela, le vrai visage du terrifiant combattant, quand ses consommations exagérées et ses inclinations dévoyées n’embrument plus sa conscience, quand le devoir se fait trop pressant pour lui permettre d’oublier la solennité que son rang l’oblige à observer ?

Nous nous tenons, Cenwyn et moi, côte à côte, comme toujours ; comme sur la route maudite qui nous a amenés entre ces quatre murs décrépits, comme lors de cette journée fatidique, le vingt Drakonis, où l’Enclin s’est révélé à nous tous et que sa tête hideuse a tourné sur le monde son œil empli de noirceur. Si nous ne sommes pas arrivés à Starkhaven ensemble, les événements que nous avons traversés au cours de ces quelques mois de peine commune rendent absurde l’idée de notre séparation. Même au Cercle, après avoir grandi et mûri des années durant au sein d’un paysage de visages à connaître par cœur, je n’ai trouvé ni bonheur, ni malheur assez puissants pour nouer le lien de force et de foi qui tient désormais nos deux âmes serrées, en dépit des divergences de pensées, des différences de vie. Etonnant, comme le désespoir consolide autant qu’il détruit.

Nous nous lançons en chœur un regard, et je lis dans l’iris brun de Cenwyn la même déclaration que j’espère laisser transparaître dans le mien : ensemble. Si tu fais un pas de l’avant, alors je ferai de même. Si tu recules, je recule à mon tour.

Mais notre décision est arrêtée depuis longtemps.

Je suis le premier à reporter mon attention sur la stature, large et attentive, de notre pâtre des ombres.

« Messer, nous avons suivi l’ensemble de la Garde jusqu’aux Cent Piliers et aux Tréfonds. Nous avons assisté au carnage qui a eu lieu là-bas, aux cadavres et aux malades de la souillure. Avec… serah Andra, j’ai tranché la décision d’abréger leur agonie, et nous avons ensuite descendu l’abîme pour y découvrir… le fléau qui condamne les années à venir. » L’émotion s’infiltre dans ma voix, peut-être davantage que je ne l’aurais voulu, mais je n’abandonne pas, les yeux plantés dans les prunelles pesantes de de Grandbois.  « Nous avons vu nos camarades… partir vers Antiva pour un voyage sans retour. Nous avons aidé de notre mieux les réfugiés à Wycome en leur absence, et nous avons redoublé de vigilance, dehors comme à l’entraînement. Pour chacune de ces tâches, nous n’avons pas failli. Pensez-vous réellement que nous allons reculer maintenant ? Après ce que nous avons découvert, digéré, sacrifié ? Pensez-vous que nous allons refuser notre aide à Thédas au moment où elle a le plus besoin de nous ?

— Y dit franc, messer. »
Fidèle à elle-même, Cenwyn ne s’embarrasse pas de tirade enfiévrée, mais la même certitude brille par-delà le flegme frustre de son visage. « J’suis décidée, moi aussi.

— Si vous n’êtes pas encore convaincu de notre valeur, concevez au moins que nous avons plus que prouvé notre dévouement. »
Je me redresse, pieds joints et bras alignés, dans la posture la plus digne, la plus vaillante que je puisse arborer.  « Quoi qu’il nous reste à affronter, à vos yeux : nous sommes prêts. Nous ne reculerons pas. »  

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La grande décisionLe serment inviolable

Le regard lourd du vétéran se promenait entre les deux recrues. Sobre et concentré, Hector avait un étrange frisson qui parcourait son corps, une étrange détermination qui ne le prends que quelques rares fois. Lorsque les rares conditions sont réunies, il retrouve le calme et la froideur qui furent la sienne il y a 13 ans, lors de sa dernier nuit chez lui. L'union est un moment important, capital. Les gardes naissent et meurent ce jour là, sous le regard d'un dieu moqueur, heureux de les voir se perdre dans le plus sombre des rituels. Cette nuit Hector était prêt à prendre deux vies de plus, s'ils ne parvenaient à combattre la souillure. Les deux jeunes gardes répondirent, ils voulaient passer l'épreuve. Ils étaient décidés, avaient déjà agit pour la garde. Rien de tout cela n'est faux, pourtant, ils passaient toujours à côté de ce que le boucher de Grandbois considérait comme la nature même de la preuve.

« Pour tout ce que j'ai pu voir, dire ou entendre sur vous, vous dites vrai. Pour autant, vous ne comprenez pas encore, il y a pire épreuve que l'engeance qui vous attend maintenant. »

Quelques secondes restèrent en suspens, pendant que le garde choisissait ses prochains mots avec attention.

« Aujourd'hui, si vous passez l'union vous acceptez notre don, notre malédiction et notre destin. L'union est plus qu'un simple vœux que vous prenez, plus qu'une simple cérémonie. Nous ne pratiquons pas dans les châteaux, car ils abhorrent notre existence. Nous ne pratiquons pas dans les temples, car ils craignent notre malédiction. Nous ne pratiquons pas chez nous, car nous ne souhaitons vivre qu'une fois ce funeste jour. »

Hector se retourna, attrapant sa lame pour venir la ranger dans son immense fourreau, puis reporta son attention vers les deux recrues venus rencontrer leur destin.

« L'union est un acte permanent, vous ne pourrez jamais vous en défaire autrement que par votre mort, il n'y aucun retour en arrière, car en vous joignant à la garde vous acceptez notre destin à tous.  Vous mourrez, tôt ou tard, terrassés par le mal que nous combattons, par celui qui nous habite. Vous mourrez, tôt ou tard, dans des souffrances que ceux qui ne nous rejoignent pas, ne peuvent qu'imaginer et chaque jour que vous vivez, votre sang vous rappellera que vous n'êtes plus tout à fait les même. Si vous passez l'union, vous mourrez pour la garde, un jour entre ce soir et votre centième hiver. Personne ne se souviendra de vous une fois poussière, vous serez oubliés. »

Le ton de Hector changea, après ces mots baignés dans une noirceur qu'il ne comprenait pas encore entièrement lui-même, il reprit la parole, laissant une lumière passer dans son discours.

« Mais si vous survivez à l'union, vous deviendra un garde des ombres. Un frère et une sœur, Jamais vous n'aurez réellement de foyer, mais vous serez avec d'autres qui n'en ont pas. Notre lien est plus important que celui de la naissance, plus important que celui d'un vœux, plus important que celui du cœur. Notre lien est celui du sang. Notre sang, corrompu par la souillure et condamné à sentir le mal sans que les autres ne le comprenne. »

Il fit une pause, soupirant un instant, puis regagna sa chaise.

« L'union vous rapproche du mal que nous combattons, vous y avez survécu aux cent piliers, mais aujourd'hui, vous devez faire pire. Car vous n'allez pas le combattre, mais le ressentir. Cette décoction que vous avez amener est votre seule chance de rentrer dans la garde, elle doit se joindre à vous. Le sang dedans doit être le votre. »

L'ancien noble d'Orlaïs sortit une petite dague de sa ceinture, entaillant son doigt, pour laisser une goutte de sang tomber devant la bougie, pour que celle-ci éclaire durant un bref instant ce liquide maudit qui coulent dans les veines de la garde.

« Tout comme il est le miens et celui de chaque garde qui fut, est et sera. »


Son regard, lourd et emprunt d'une étrange tristesse se posa sur les deux qui se condamnaient aujourd'hui à une fin que nul ne souhaitait.

« C'est votre dernière chance, si vous faites demi-tour, je ne vous poursuivrai pas et personne ne saura que vous avez refusé ce sombre destin, il n'y a aucun mal à ne pas souhaiter cette malédiction, ce choix n'est bon pour personne et il existe d'autres moyens de servir. Sinon, consommez votre potion. »

Si ils avaient toujours cette détermination, ils franchiraient le pas. Pour autant, Hector ne mentait pas, devaient-ils fuir, il ne verrait en eux que de jeunes gens perdu, faisant le choix intelligent. Devaient-ils survivre à l'union, alors il reconnaitrait en eux des gardes, si il voyait déjà leur bravoure d'avoir tenu aux cents piliers, ici, ils avaient à montrer toutes leurs qualités en un instant.Andra avait vu en ce jeune blondinet quelqu'un qui avait l'étoffe de la garde, malgré le rêveur qu'était Saam, elle pensait qu'Hector le jugeait trop violemment, aujourd'hui il faisait tout son possible pour oublier ce qu'il avait pensé du petit homme, pour lui offrir la chance de fuir le destin des garde, ou toutes ses chances pour survivre à cette nuit.

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La peur.

La peur, comme une poix visqueuse ou un essaim grouillant, rampe contre mon échine. Doucereuse, presque tendre, elle se coule par vagues successives dans mes muscles raidis et les étreint, les berce de soubresauts malheureux dont je ne parviens à effacer la honte malgré le port brave que je tente d’afficher, malgré tous mes efforts pour conjurer ses élans d’affection infectieuse. Je fais face, cependant, au regard sinistre comme deux puits sans fond, qui me jauge et me juge depuis les traits bruts de ce parangon d’amoralité qui s’est maintes et maintes fois permis de me tourner en dérision.

La peur. Si je ne peux la dissimuler, au moins puis-je faire en sorte de la contrôler.

« Pour tout ce que j'ai pu voir, dire ou entendre sur vous, vous dites vrai. » La voix lourde du vétéran de Grandbois chute à nouveau dans la pièce vide, où les ténèbres semblent avaler ses volutes gutturales en même temps que la rumeur affaiblie de la ville dans la nuit. « Pour autant, vous ne comprenez pas encore, il y a pire épreuve que l'engeance qui vous attend maintenant. »

La peur recule un instant lorsque l’agacement reprend le dessus. Encore des menaces ? Encore des avertissements lugubres, des épouvantails dressés pour nous tester et nous effrayer alors que nous avons déjà observé l’incarnation du Mal suprême droit dans les yeux, alors que nous avons abandonné nombre de héros à sa perfidie avide ? La colère me fait serrer les poings, mais avant qu’elle ne parvienne à jaillir par-delà mes mâchoires crispées, une litanie sépulcrale commence à se déverser des lèvres sèches du guerrier.

« Aujourd'hui, si vous passez l'Union vous acceptez notre don, notre malédiction et notre destin. L'Union est plus qu'un simple vœu que vous prenez, plus qu'une simple cérémonie. » Présentez-la-nous ! Présentez-nous toutes les épreuves que vous voulez, nous les surmonterons. Nous avons peur mais nous les surmonterons, par le Créateur, le monde n’a pas d’autre choix ! Le ton de de Grandbois, si cela est possible, se fait plus profond encore, ses yeux paraissent charrier une noirceur plus dévorante que celle qui drape nos épaules du poids de son éclipse. « Nous ne pratiquons pas dans les châteaux, car ils abhorrent notre existence. Nous ne pratiquons pas dans les temples, car ils craignent notre malédiction. Nous ne pratiquons pas chez nous, car nous ne souhaitons vivre qu'une fois ce funeste jour. »

La peur gronde. Paniquée, révoltée d’être réprimée, elle se débat contre la poigne de ma colère ; le feu la tient encore en respect, pourtant elle parvient à passer au travers de ses mailles brûlantes, par éclats glaçants qui livrent mon corps à d’autres frissons enflés de doute. Messer de Grandbois s’est relevé, désormais, et se retourne pour glisser le fer massif de son épée dans son fourreau. Le métal frotte contre le cuir avec un sifflement inquiétant, avant de toucher le fond dans un claquement sec. Définitif.

Définitif, comme l’expression indéchiffrable qu’il tourne ensuite sur nous, vers nos visages fermés, scellés d’une serrure de silence que nous espérons courageuse, afin de tenir loin les spectres qui nous hantent. « L'Union est un acte permanent, vous ne pourrez jamais vous en défaire autrement que par votre mort, il n'y aucun retour en arrière, car en vous joignant à la Garde vous acceptez notre destin à tous. » Les yeux noirs deviennent absolus, aspirent nos esprits frémissants comme deux feuilles mortes et engloutissent même l’obscurité alentour dans un grand flamboiement d’abysse. « Vous mourrez, tôt ou tard, terrassés par le mal que nous combattons, par celui qui nous habite. » Première vérité, premier serment. Gagne la guerre. « Vous mourrez, tôt ou tard, dans des souffrances que ceux qui ne nous rejoignent pas, ne peuvent qu'imaginer et chaque jour que vous vivez, votre sang vous rappellera que vous n'êtes plus tout à fait les mêmes. » Seconde vérité, second serment. Préserve la paix. « Si vous passez l'Union, vous mourrez pour la Garde, un jour entre ce soir et votre centième hiver. Personne ne se souviendra de vous une fois poussière, vous serez oubliés. » Troisième vérité, dernier serment. Ne recule devant aucun sacrifice.

Mais à qui servira mon sacrifice, si je suis oublié ?

La peur vibre dans mes veines. Malgré ma flamme ; malgré l’éclat de ma vaillance, la chaleur de ma foi et l’ardeur de ma colère, chacun des mots du guerrier entame un peu plus loin l’étau de certitude dans lequel je me suis piégé, tenu par le devoir, cette gloire de la fatalité. Je les sens plonger dans ma détermination, persister, se tailler un chemin, pointer jusqu’à la chair fragile glissée en-dessous des plaques d’idéaux rigides – jusqu’à cette part de mon âme qui tremble toujours du désastre des Cent Piliers, recroquevillée dans l’ombre des abominations qu’elle y a découvertes mais se refuse encore à imaginer. À accepter de voir, dans ce flot d’atrocités, l’unique apparat de sa funeste apothéose.

La peur, peut-être, suinte de nos airs hébétés plus évidente que nous ne l’avons souhaité, car le timbre sombre de messer de Grandbois s’adoucit un peu, perce le désespoir de son discours comme la lueur de la chandelle écarte timidement le rideau d’encre sur sa silhouette heurtée. « Mais si vous survivez à l'Union, vous deviendrez un Garde des Ombres. Un frère et une sœur. » Je lance un regard discret à Cenwyn, mais la jeune fille, les prunelles écarquillées, se raccroche aux paroles de notre aîné comme un naufragé pend le fil précaire de son existence à un récif de pleine mer. « Jamais vous n'aurez réellement de foyer, » poursuit l’homme, « mais vous serez avec d'autres qui n'en ont pas. » Non, protestent mes pensées. « Notre lien est plus important que celui de la naissance, plus important que celui d'un vœu, plus important que celui du cœur. » Non. La répulsion me saisit sous le joug de la peur grandissante. Non. Mais l’Orlésien ne s’arrête pas ; il se moque, éperdument, des affres qui peuvent bien ébranler mon cœur. « Notre lien est celui du sang. Notre sang, corrompu par la souillure et condamné à sentir le mal sans que les autres ne le comprennent. »

La peur étouffe, elle enserre, elle engloutit tout. Je remarque à peine le soupir qui échappe au colosse alors qu’il se laisse choir sur sa chaise ; emporté par les méandres irrésistibles d’une réalité terrible qui se dessine peu à peu, je repousse vaille que vaille les murmures réjouis de l’autre monde qui susurrent à mon oreille des infamies, des mensonges, des horreurs sans nom. « L'Union vous rapproche du mal que nous combattons, vous y avez survécu aux Cent Piliers, mais aujourd'hui, vous devez faire pire. Car vous n'allez pas le combattre, mais le ressentir. » Une bête folle en moi rue et crie ; l’instinct de survie ? L’agonie du déni ? « Cette décoction que vous avez amenée est votre seule chance de rentrer dans la Garde, elle doit se joindre à vous. » De Grandbois est devenu aussi grave qu’une tombe. « Le sang dedans doit être le vôtre. » Et, comme pour parapher ses mots d’une signature à l’encre de vie, il matérialise une dague de sa ceinture et s’entaille un doigt d’un geste précis. La goutte écarlate perle à la pointe, ronde, polie comme un rubis. Un joyau perverti. « Tout comme il est le mien et celui de chaque Garde qui fut, est et sera. »

Non, ce ne peut être possible. Ce ne peut être vrai ! « Vous ne voulez pas dire que… » Soudain la fiole de sang, sagement terrée dans mon sac, effacée, semble s’alourdir jusqu’à l’insupportable. Elle s’encombre du vide laissé par un univers de crédulité et de vertu brusquement balayé, de la lourdeur d’un néant trop ignoble pour que je puisse réussir à l’exprimer.

Et l’attention du Garde orlésien revient vers nous, nous considère derechef. Dans un éclair subit de lucidité, je saisis enfin la véritable nature de la patine qui ternit son regard depuis le début de sa plaidoirie. De la mélancolie.

Le sort qu’il nous inflige l’attriste autant qu’il nous terrifie.

« C'est votre dernière chance, » offre-t-il, le ton ceint d’une compassion qui me retourne les entrailles. « Si vous faites demi-tour, je ne vous poursuivrai pas et personne ne saura que vous avez refusé ce sombre destin, il n'y a aucun mal à ne pas souhaiter cette malédiction, ce choix n'est bon pour personne et il existe d'autres moyens de servir. Sinon, consommez votre potion. »

La peur chatoie contre les derniers mots, apposés dans l’air lourd comme le sceau d’une ultime condamnation. Je la sens qui échappe à mon emprise ; elle hurle, ivre de liberté et d’effroi, pour se propulser à travers mon être au rythme pantelant de mon cœur. Mon corps me fuit : je tremble, si fort que je n’ose plus essayer un geste, ne serait-ce que pour expurger mon émoi, ne serait-ce que pour me détourner, courir, disparaître loin, loin de ce foyer odieux et de ses promesses d’apocalypse.

La peur. Elle me gouverne et me tente, comme en ce temps lointain, sous les yeux et les suppliques de Narjisse. S’il te plaît, reste. Regard d’ambre aqueuse, plein de détresse et d’amour. Reste avec moi, on… on peut le cacher, promis, je dirai rien, personne n’a à le savoir ! Même Père ne sera pas au courant ! J’hésite. Je ne veux pas partir, moi non plus. Je ne veux pas laisser ma sœur et ma famille derrière moi ; je ne veux pas m’exiler, je ne veux pas porter seul ce fardeau que le Créateur, dans Son implacable justice, a jugé nécessaire de m’assigner.

Pourtant…


Le cours des événements s’infléchit, perd son sens. À quel moment ai-je surmonté ma torpeur ? Avec quelle force ai-je soulevé le rabat de mon sac pour m’emparer de la fiole ? Je ne sais plus ; la seule chose qui s’impose à mon esprit, désormais, est ce liquide glauque et poisseux tournoyant doucement entre mes doigts, derrière le verre magique qui le garde intact. Et prisonnier.

Tant qu’il y reste cloîtré, il ne peut me causer de tort.

« Y faut… Y faut vraiment qu’on… qu’on… qu’on boit ce truc ? » Après les sentences abyssales de messer de Grandbois, la voix mal assurée de Cenwyn palpite faiblement dans l’atmosphère. Ébréchée, elle ébruite l’appel à l’aide que la jeune fille refuse de formuler. Je l’entends. Je ne lui réponds rien. Je regarde, je me noie dans le sang maudit qui tourne, comme doué de vie propre. Trop près, et pourtant trop loin.  

Pourtant, que dirait-Il, s’Il me voyait tergiverser ainsi ? S’Il me prenait à considérer le péché ultime, l’Apostasie, comme terreau impie sur lequel cultiver le reste de mon existence ? À souhaiter d’enfreindre Ses lois sacrées au nom de quelque désir égoïste, au lieu d’accepter la voie unique qu’Il m’a désormais réservée ?

Je tremble, si fort que le sang dans sa fiole parait bouillonner. Sous mes gants, mes paumes sont moites. Mon souffle est court.

Si j’ai pris ce chemin, c’est grâce à Lui. C’est selon Ses volontés que j’ai accepté ma fatalité, tête baissée, humilité en bannière, et me suis guidé sur le chemin du Cercle pour y poursuivre la vie qu’Il m’a choisie. Entre les hautes nuées de la tour, j’ai découvert les ombres infinies de la Garde ; en me les révélant, le Créateur m’a poussé un peu plus près d’un abîme qui m’imprègnerait de noirceur. Je ne m’en suis pas inquiété. Je ne m’en suis pas inquiété, parce que dans les ténèbres, j’ai cru voir une lumière : celle de ma rédemption, celle de mon explication et de mon destin.

Créateur, Vous le savez, je n’ai jamais rien voulu d’autre qu’aider.


« Serah Andra a essayé de m’avertir… » J’ai peine à reconnaître le son comme émanant de moi, tant l’émoi l’éraille. Elle a toujours su ce qui m’attendrait, ici. Je secoue lentement, tristement la tête, sans quitter des yeux la fiole bientôt vide, et son poison bientôt mien. « Tellement de gens ont essayé. » Serah Andra, dame Ziener, Narjisse, et même Hector, maintenant. Tous ont tenté de me dissuader, de me placer face à une réalité que j'ai persisté à défier le dos tourné. « Mais… puisque j’ai tenu jusqu’ici… » Ma voix se brise, mes lèvres se plissent mais j’insiste. Lutte contre moi-même. « Je n’ai plus d’autre choix. » Saute, mon garçon ; si le sol rassure, ce n’est pas son giron qui t’enseignera comment voler. Le souvenir s’efface avec la vie qui lui appartenait, et dont je m’apprête à me débarrasser à jamais, tandis que j’attrape à pleine main le bouchon de la fiole.

L’énergie subite de mon mouvement provoque une réaction de recul à Cenwyn, qui me dévore de ses yeux fascinés, épouvantés. La fébrilité déborde de mes gestes. Je tords le liège jusqu’à le sentir céder ; à plusieurs reprises, le verre manque me glisser des doigts. Je le rattrape de justesse. Je ne peux le laisser m’échapper.

Je ne peux me laisser m’échapper.

Le sang se présente à moi, replié au fond de son antre limpide. Mon cœur se serre, et les larmes mouillent mes paupières. Je ferme les yeux. Je ne reculerai pas. J’ai affronté ma Peur, mon propre démon lors de ma Confrontation. J’ai affronté leur Peur, leur cauchemar incarné lors de notre voyage aux Cent Piliers. J’ai affronté la Peur, sa gueule consumée de corruption au cœur même des Tréfonds. Je peux l’affronter à nouveau. Je ne reculerai pas. Je cille, résolu, résigné, replonge le regard dans le suc rougeoyant de la mort. Je n’aurai pas… pas peur d’avoir peur.

Andra, si je dois... Puissions-nous nous retrouver sous l’œil bienveillant du Créateur.


La peur. Le sang. Tant qu’ils restent cloîtrés, ils ne peuvent me causer de tort. Mais j’ai ouvert la porte.

Narjisse, je suis désolé.  

Mon bras tremble quand je le lève.

Ton petit frère ne rentrera jamais à la maison.

La fiole est à ma hauteur. Le sang me fixe dans les yeux.

Ne lui en veux pas… d’avoir simplement voulu…

Je porte le verre glacé à ma bouche.

Aider.

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La grande décisionLe serment inviolable

Les mots et l'attitude du colosse changeaient drastiquement avec ce qu'il était avant, face à lui les deux recrues n'avaient connu que la bête d'alcool et de moquerie, pour la première fois ils rencontraient réellement le garde des ombres. Ce dernier n'intervenait dans la vie d'Hector que rarement, pour cause ce dernier ne l'appréciait pas vraiment, tant il était oiseau de mauvaise augure. Il apportait en ce jour les nouvelles d'une mort approchante pour deux jeunes personnes qui ne souhaitaient que, naïvement, faire du bien autour d'eux. Le poids de la souillure commençait à se faire sentir chez les deux garnements, ils réalisaient maintenant la différence entre un garde des ombres et un humain. D'humain ils n'avaient qu'une enveloppe charnelle, ils avaient un sang et une âme corrompues par la souillure, l'engeance et la guerre. Enfants illégitime du mal, les gardes étaient la dernière solution d'un monde agonisant pour se protéger contre une engeance toujours plus forte. En cet instant Hector regardait le monde avec un étrange mélancolie. En cet instant, les doutes de Saam et Cenwin disparaissaient, vaincus par la douleur que l'union apportaient. Ils prenaient la pire décision de leur vie. Au fond l'Orlésien était partagé dans sa réaction. Il respectait profondément ceux qui avaient le courage de passer l'union, mais tout autant il regrettait cette folie qui les poussaient à choisir la mort à la vie, la déchéance à la gloire, la mort à la joie. Un choix qu'il n'avait jamais vraiment eu à faire, un choix qu'il n'aurait jamais fais, s'il n'avait pas jeté sa vie par la fenêtre en faisant couler le sang bleu de sa famille.

Les voilà qui se jetaient corps et âme dans une bataille contre leur âme, armés de bien trop peu. Hector croisa les bras, sa mine patibulaire paraissant bien faible face au combat de l'union.

« Puisse Andrasté vous guider à travers vos tourments. »

Une rare pointe de religion dans le discours bien souvent si cru de l'Orlésien, peut-être était-ce là une espèce de dernier recours, quand la foi qu'il ne possédait pas était la seule arme qu'il pouvait brandir pour aider ces deux gamins qui franchissaient maintenant la porte de la mort. Ils avaient du courage, personne ne pouvait leur enlever cela, maintenant peut-être allaient-ils le regretter. Peu de recrues parvenaient à survivre à l'union, parmi les quelques élus qui devenaient des gardes, aucun ne savait réellement quel conseil donner à la prochaine génération, tant l'expérience n'est qu'un souvenir douloureux qui ne laisse aucune place à des leçons d'expérience. Ce pouvoir qu'ils acquièrent ainsi est autant une malédiction qu'une bénédiction, les gardes sont les meilleurs adversaires de l'engeance, pourtant ils savent tous qu'à la fin celle-ci aura raison d'eux. Car la mort est le seul futur du garde, voilà bien une raison de se perdre dans le présent et d'en profiter jusqu'à la fin.

Alors que les deux gardes débutaient leur épreuve, machinalement Hector fit quelques pas vers eux, les traits de son visage indiquait une certaine tristesse, qu'importe toute la confiance qu'Andra pouvait avoir envers ce gamin, il allait probablement mourir ici, bien qu'Hector ne le souhaitait pas, ce choix n'était pas le sien. Alors il veillerait, s'il doit enterrer le garnement, il le ferait, sinon, il serait le premier à le féliciter d'être devenu un garde des ombres. Il planta son regard dans celui des deux recrues qui franchissaient le pas.

« Dans la Guerre, la Victoire. Dans la Paix, la Vigilance. Dans la mort, le Sacrifice. »

Les mots de la garde, il y avait toute la lutte de l'union, bien qu'il n'ait jamais été un homme de verbe, le boucher de Grandbois devait bien reconnaître une forte vérité dans la devise de son ordre, car c'était là leur combat et leur fardeau. Au levé du soleil, Sénaste aura deux soldats de plus, ou deux corps de plus.

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La grande décision« As I follow the path where the darkness collects
So much death, what for, what for, what for ? »
- Aviators, Into the Black.


TW : Description claire de souffrance, scènes horrifiques et dérangeantes. Aussi, ce qui suit n'est pas à prendre comme une représentation canon de ce que provoque l'Union, il s'agit de ma propre interprétation. J'espère que ça vous plaira !

La mort.

Il me semble que c’est la mort, moins que la peur, moins encore que le sang, qui descend par sursauts paresseux le long du goulot lucide, tranquille, sûre comme un serpent. Une éternité s’écoule, pendant que le sang se coule. Pourquoi s’empresser ? Tous les venins connaissent déjà leur dénouement. Lentement, je vois le verre se noircir, de plus en plus près, sali par la traîne putride jusqu’à mes lèvres desséchées. Je sens ma gorge assoiffée, mais ce soir la liqueur qui s’en vient n’est pas là pour m’abreuver ; mon désespoir ne sera jamais soulagé ; ce soir l’eau du baptême prend la couleur de l’impiété. Putréfier pour purifier. La seule jouvence qui s’offre à moi, c’est la...

Le goût de la mort a un goût de sang.

Dès l’instant où l’horrible breuvage m’imprègne, je sens mon âme ruer. Que fais-je ? Que fais-je donc ? Ô Créateur, à moi ! À l’aide ! La bravoure me quitte alors que les souvenirs honteux de ma faiblesse aux Cent Piliers dansent sous mon crâne, se gaussent de mon effroi – les voix persiflent, « tu l’as cherché, pauvre garçon, tu l’as voulu, tu ne peux t’en prendre qu’à toi ! » Et elles ont raison, ô, combien ont-elles raison ! Désormais que le poison se faufile et que le cuivre tapisse ma langue, je me révulse. Je n’en veux pas, je n’en veux plus ! Pas ce sort funeste qui me tend les bras, pas la…

Mais j’ai fait mon choix…

Je laisse, les yeux clos, larmes pendues à leur détresse, le sang épais emplir ma bouche comme s’il ne s’agissait que d’un miel tendre. Ne réfléchis pas. Ne réfléchis pas. La fiole penche entre mes doigts, accompagne le mouvement de ma tête rejetée en arrière. Le fer infâme se déploie dans ma bouche, jusqu’à me lever le cœur, jusqu’à me mettre au supplice. Je le laisse faire. Au fond de moi, je le sais : il ne doit plus rien rester, ni de ma pureté, ni de ma mort. Il me faut boire, boire la dernière goutte de la…

Peu à peu, le flot s’amenuise. Pas assez, cependant : je ne peux le contenir plus longtemps et c’est par réflexe, bien plus que par volonté, que je finis par déglutir. C’est si ridicule. Si risible. Le sang afflue dans mon gosier, sa brûlure si cruelle qu’elle m’empêche un instant de respirer. Je tremble, au tempo de ma terreur, mon corps marque les coups de la tragédie qui s’annonce et décompte les secondes qui me tiennent encore en vie, debout près du précipice. Ô Créateur, pitié, dites-moi que c’est ce que Vous vouliez. Dites-moi que c’est ce que Vous attendiez de moi ! Votre monde, Thédas, il a besoin de moi… Je fais le bon choix – oui, le bon choix ! Mais quel salut puis-je trouver dans la…

Et la mort, qui dévore mes prières.

Et si je me condamnais ? Et si, au-delà du poison que j’ingère, je me maudissais par-delà la mort en offrant au Mal une place au creux de mon être ? Et si le tourment odieux que je m’inflige m’empêchait à jamais de rejoindre la lumière réconfortante du Créateur ? Désirerait-Il vraiment rappeler auprès de Sa miséricorde une âme prête à s’avilir de son plein gré ? Approuverait-il vraiment que je me livre tout entier à des ombres qui ne furent que l’essence de Son châtiment éternel, de Sa justice sublime ? Que j’accepte en mon cœur la malédiction de ceux qui tachèrent Son œuvre de leur orgueil insatiable, que j’accepte la…

Et si le Créateur ne souhaitait pas que Thédas soit sauvée ?

Les inquiétudes gonflent comme un raz-de-marée, mais bientôt une autre gorgée de sang les engloutit ; car la brûlure se fait plus insupportable ; le goût, plus nauséabond encore. Je peux suivre le chemin que la mixture trace en moi à la douleur qui embrase mes entrailles, le long de ma gorge, à travers ma poitrine, jusque dans mon estomac qui se tord soudain sous ce fardeau indésiré. J’ai mal… J’ai mal ! La troisième gorgée met ma chair à vif, la quatrième manque me voir m’étouffer en avalant. Ma vision s’est troublée de larmes que je ne parviens plus à retenir à la lisière de mes yeux, et si, autour de moi, les témoins impuissants de ma déchéance esquissent le moindre signe de réconfort, je n'en discerne rien. Plus rien n’existe que le sang, la souffrance, et la…

Il n’en reste plus beaucoup. Plus beaucoup… presque… j’y suis presque… Le feu rugit dans mon ventre, chaque goulée l’attise plutôt que l’apaiser, j’ai si mal, Créateur, si mal ! Cinquième gorgée… Dernière gorgée… J’éloigne enfin, dans un cri étranglé, le goulot de la fiole de ma bouche. Le sang noir luit toujours au bord de mes lèvres.

Le feu se mue en brasier.

Mon corps m’échappe. On dirait qu’une nuée de couteaux chauffés à blanc cherche à m’éviscérer de l’intérieur, Créateur, faites que ça cesse ! Pitié ! J’ai mal ! Pourquoi ai-je encore mal ? Est-ce que je n’ai pas résisté ? Est-ce que je n’ai pas réussi ? Vais-je mourir ? Non ! Non !

Je tremble, mais est-ce la peur, non, mes pensées s’égarent, la peur n’est qu’une impression confuse de douleur et de malheur, je tremble parce que le feu ronge tout, je peux ressentir chacune de mes veines, chaque impulsion de mon cœur qui propulse un peu plus loin en moi la corruption, à l’aide, Créateur, à l’aide ! C’est plus que je ne peux supporter ! Arrêtez ça, si je dois mourir, emportez-moi ! Prenez-moi ! Délivrez-moi de cette torture !

La fiole est tombée de mes mains. Je ne l’ai pas sentie, pas entendue, mais tout à coup, sur le pont vacillant du monde, je me penche, et je découvre mon visage qui se reflète par fragments éparpillés. C’est mon visage ? Avec ces commissures noires et baveuses, ces yeux écarquillés, ces traits tirés par l’épouvante ? Ma peau est diaphane comme si je me changeais déjà en fantôme. Pourquoi il grossit ? Pourquoi il s’approche ? Mon double vient-il pour mettre fin à ma peine ? Terminer ce qu’il n’a su faire dans l’Immatériel ?

J’ai mal ! Je ne sens plus ma gorge, je ne me sens plus respirer, mon souffle est brisé, sifflant, quelque chose serre mon cou – ma main, ma main qui essaie d’arracher ce qui ne saurait être enlevé. J’ai mal ! Je suis tombé à genoux, je ne m’en suis pas rendu compte, l’onde de choc me traverse mais elle n’est rien comparée à la lave qui érupte dans tout mon corps. La fièvre brouille les frontières. Les murmures deviennent un chœur sépulcral, dernier tribunal de mes funérailles.

Je gémis. Je pleure ? J’ai chaud, j’ai mal… Créateur… père, mère… à l’aide… je… je ne peux… Là-dehors, ça gronde… J’ai peur… C’est l’orage ? J’ai peur de l’orage, il fait si noir quand sa gueule déchire le ciel, je vois son œil, il est là… il… il me voit !

Tomber. Sombrer. Partout, hideuse et désincarnée. La souillure.

***


L’obscurité elle-même n’oserait approcher les profondeurs dans lesquelles je m’enfonce. Un rugissement monstrueux ébranle les fondations de la terre ; est-ce le cri d’agonie d’une humanité profanée, ou bien l’exultation d’une calamité très ancienne, enfin libre de porter sa dévastation au reste du monde ? Des images indistinctes farandolent sous mes yeux : je crois deviner une chevelure rousse, flamboyante comme la mienne, sur un masque constellé de gouttelettes sombres, d’où rayonnent deux étincelles et un sourire. Je crois… Il m’a réchauffé, ce sourire, il y a longtemps. Maintenant, je suis incapable de me souvenir de son nom. Qui est-ce ? Rien qui ne sera bientôt cendres. La vision se dissipe dans un flot de chuchotements délirants.

D’autres portraits se succèdent, chaque fois accompagnés de ce fragment de flottement, cette gêne indescriptible qui compresse ma poitrine et sème ses doutes aux quatre vents. Je crois que je connais ces masques : pétri de rides et de cheveux blancs, enthousiaste derrière sa croûte de boue et de tourment, cime d'un massif de montagnes médisant, battu dur comme un fer trempé, bruni sous le soleil d’un ailleurs lointain, doux et fragile à l’abri de son écrin, dissymétrique sous une cascade de noirceur. Je les connais, mais un à un ils s’envolent, comme les dernières feuilles de l’automne à la merci de l’hiver, tourbillonnent à l’horizon de mon entendement sans que je ne n’ébauche un mouvement. Je ne les retiens pas. Leur disparition signifie la fin de mon trouble étrange ; avec leur déclin, je retrouve ma contenance.

Ce n’est rien qui ne sera bientôt cendres, de toute façon.

Les chuchotements se poursuivent bien après le ballet des souvenirs. J’ai l’impression qu’ils ont toujours été là ; pourtant, ils ne m’évoquent rien. Me rappeler me demande un effort, et la lassitude menace de m’envahir. Oui. Je crois… Des murmures m’ont accompagné ici, mais se sont interrompus à mi-voie. Ces voix, que j’entends, elles ne me parlent pas comme avant. Elles sont nouvelles. Et si je ne comprends ce qu’elles disent, je sens bien qu’elles sont là pour moi. Je tends l’oreille. Peut-être puis-je parvenir à les distinguer ?


Créateur, que dois-je faire ?

Qui est-ce ? Je me retourne, mais autour ne valsent que les ombres. Je fronce les sourcils. Qui a appelé ? Pourquoi ?

Créateur, ne m’abandonnez pas. J’ai fait le bon choix.


Cette voix, je la comprends. Elle ne m’est pas inconnue. Je me tourne et me retourne encore, sans qu’aucune silhouette ne se dessine entre les trombes d’encre.

Le bon choix…

Enfin, j’aperçois une forme. Une chose d’un bleu répugnant, voûtée, frissonnante, qui enroule autour de son crâne ébouriffé deux bras malingres, comme pour se soustraire aux regards de l’abysse. Un rictus me vient. Quelle tentative pathétique ! Quelle créature pitoyable ! Qu’espère-t-elle donc, à se terrer ainsi ? Repousser les ténèbres ? Échapper aux murmures ? Comme si sa frêle carrure pouvait endurer leur présence inexorable – il était plus sûr qu’elle se fendille, craque comme une noix creuse dès que la faim des ombres se fera plus forte que leur curiosité, et qu’elles l’investiront de tout leur pouvoir. Ce pauvre hère se consumera sur place ! Il n’a aucune chance.

Son destin funeste, si évident dans mon esprit, m’intrigue pourtant. Que fait-il ici, perdu en ce royaume dont il n’est pas le sujet, en ces limbes qui ne lui promettent que souffrances et tourments ? Est-il las de sa vie, quête-t-il sa mort ? Lentement, je m’approche de lui, à pas souples de maître sur son domaine. Ici, j’ai bien moins à craindre que lui ; mais je me garde d’oublier la méfiance ; ces paroles qu’il persiste à proférer, en dépit de son timbre malmené, m’inspire une répugnance inexplicable.


Créateur, protégez-moi… Seule une lumière brisera les ténèbres…

Le rire m’échappe tandis que je me penche, rapace avide sur une boule ramassée de terreur tremblotante. Il n’y a personne, ici.

La silhouette pelotonnée frémit. Elle m’a entendu. Plus encore, elle m’a compris. Alentour, les murmures redoublent d’ardeur – peut-elle les percevoir, elle aussi ? Il n’y a personne, ici, à part moi. Tu es seul. Je souris à nouveau, mauvais. C’est un service que je lui rends, finalement : achever ses espoirs, précipiter sa fin sordide. Il souffrira moins fort, moins longtemps, s’il accepte la froide réalité de notre ultime présent – de l’abîme qui se fait notre scène, de ses ombres chantantes, de leur chorale irrésistible. Et moi, bien sûr, en public attentif de cet orchestre funèbre.

Nul ne viendra assister à ton épilogue. Tu es seul, tu es perdu. Damné.

La silhouette tremble de plus belle.

Non… c’est ce qu’Il voulait. C’est ce dont ils ont besoin… Le Créateur me protège…

Je ne sais de qui tu parles. Personne ne te protègera, ici.

…Le monde a besoin de moi. La Garde a besoin de moi…

Personne n’a besoin de toi. Personne ne t’aurait laissé ici, si l’on avait eu besoin de toi.

…C’est faux… Le Créateur… Le Créateur est là pour…

Il n’est pas là ! Son aveuglement m’enrage ; je me jette sur lui, à quelques centimètres à peine de sa crinière rougeoyante. Toute prudence envolée, je le saisis aux épaules avec brutalité, enfonce mes ongles dans le tissu de ses vêtements sans me soucier de ses geignements de douleur. Il n’y a pas de Créateur ! Il n’y a personne, personne d’autre que moi ! Accepte-le ! Accepte ton sort, misérable !

Sanglots. Puis la crinière tressaute, la nuque prostrée se relève. Deux yeux d’ambre noyée peinent à remonter vers moi. Et je sens mon sang se figer.

Car ce regard, c’est le mien.


Tu te trompes. La voix vacillante perce les ténèbres, avec le courage timide d’une flamme de chandelle. Le Créateur est partout avec moi. Dans ses prunelles luisantes, je devine un dernier masque. De noir et de blanc, aux lignes brisées et dégoulinantes. Spectre d’une existence dévoyée. La souillure sourd par tous les pores de ma peau… Je t’ai… me suis déjà affronté une fois. Je peux recommencer. Il me tient avec son regard de braise, ardent malgré l’air glacé. Mais… tu as raison…

Il m’attrape les épaules, à son tour. Ses ongles s’enfoncent dans ma chair, et je ne peux me retenir de siffler.

Aujourd’hui, je dois t’accepter.

***


Cette nuit-là, il me semble qu’aucun terme, aucune formule, aucune métaphore ne parviendrait à pleinement l’exprimer. Peu importe combien mon cœur voulût l’exorciser en la couchant sur le papier, jamais je ne pus jeter des mots à la mesure de l’épreuve que j’avais traversée. Probablement ne le saurais-je jamais. Je suppose que cela servira au moins le secret que je suis tenu d’observer.

Je ne sus combien de temps je restais écroulé dans cette triste masure des méandres profus du Clayrak, en proie à l’inconscience la plus noire ; mais le Créateur, miséricordieux, décida que cette soirée ne verrait pas ma fin au sein de la Garde. Il exauça mes vœux, juvéniles et naïfs, peut-être, mais non moins sincères, de combattre pour le salut de Thédas, et ainsi rouvris-je les yeux parmi le réconfort particulier des ténèbres citadines.

J’avais passé l’Union. J’étais devenu un Garde des Ombres.

Mes souvenirs du reste de la nuit sont flous. Je me rappelle que le visage de Cenwyn fut le premier à m’apparaître ; robuste, elle s’était rétablie plus rapidement que moi, ce qui n’empêchait pas ses yeux bruns de briller d’un sentiment indicible que je ne reconnus que trop bien. Elle ne me raconta jamais ce qu’elle avait vécu, mais je doutais qu’il se fût agi d’une expérience moins déchirante que la mienne.

Elle m’aida à me relever. Je flageolai encore ; si l’assurance habituelle de sa carrure de guerrière accusait aussi le coup de ce que nous avions subi, elle tenait vaillamment sur ses appuis, et je ne pus que l’en louer : sans la solidité de son épaule pour me soutenir sur la route qui nous ramena aux portes de la commanderie, sans doute aurais-je dû attendre de recouvrer mes forces dans cette ruine de malheur, hantée par les courants d’air et les résurgences honnies.

Messer de Grandbois dut nous parler, certainement. Nous présenter les quelques mots de bienvenue exigés par les circonstances de notre réussite. Cependant, je crois pouvoir affirmer que personne ne se sentait d’humeur à célébrer. Quelque chose était mort, ce jour-là, en Cenwyn et en moi. Personne ne fêterait des funérailles.

Le retour à la caserne se fit par bribes de ruelles crasseuses, d’éclat lunaire et de crissements de pas douloureux sur un pavé glacé. L’air du dehors mordait ma chair, mais, pour incongru que cela fût, j’accueillais cette sensation avec joie. Elle me paraissait si réelle, et normale, et rassurante. Elle m’accrochait à un univers que j’avais l’impression de perdre.

Un moment, Cenwyn tourna son visage vers moi. Je lus la détresse qui larvait toujours derrière ses yeux rougis et son sourire moribond ; une impulsion, incontrôlée, incontrôlable, me détendit brusquement pour la serrer dans mes bras. Elle étouffa un léger cri de surprise, avant de me rendre mon étreinte. Nous restâmes suspendus l’un à l’autre pendant un laps de temps qui demeurerait à jamais inconnu, à la faveur de la chrysalide matinale et des nuées maladives qui ombragent toujours les pensées des rescapés de la fin.

Regretterais-je ma décision ? Je mentirais si je prétendais ne jamais m’en être voulu, à multiple reprises, de ne pas avoir saisi l’opportunité que messer de Grandbois avait laissée pour moi, de ne pas m’être engouffré par cette porte grande ouverte qui s’était tenue derrière moi, plutôt que de me soumettre à un destin qu’aucun humain, sain d’esprit ou sans bonne raison, ne choisirait de son plein gré. Oui, j’ai regretté, souvent, et il m’arrive encore de regretter, parfois. Je pense que c’est une ombre qui me suivra jusqu’à mon dernier soupir.

Mais alors, quand la mélancolie me saisit, je prends un instant pour contempler ma vie. Mes choix. Les vents qui m’ont poussé vers la destination où je navigue aujourd’hui. Aurais-je pu arrêter une autre décision, porté par ces courants invisibles qui me manœuvraient sans que je n’y prêtasse attention ? À mes yeux, le Créateur avait déjà dessiné ma voie : je n’avais qu’à la suivre, me fier aveuglément à Ses volontés et suivre Ses préceptes afin que se dévoilât l’unique issue vers mes plus profonds désirs. J’ai obéi à ce qu’Il m’indiquait – ou plutôt : ce que je pensais qu’Il m’indiquait. Je n’ai jamais fait que déterminer moi-même la course qui me guiderait à ma destinée.

Regretté-je ma décision ? Peut-être, et pourtant pas vraiment. Il n'est pas tant question de regrets. Le libre arbitre est un fardeau terrible à porter ; mais il reste limité ; et je pense que si, pour ce voyage fastidieux qu’est l’existence, nous préférons certaines bifurcations à d’autres, c’est simplement car, ballotés par nos croyances et nos tourments de l’instant, nous ne trouvons pas de meilleur cap où mener notre vie.

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La grande décision [Mission Union - Saam]