-38%
Le deal à ne pas rater :
Ecran PC gaming 23,8″ – ACER KG241Y P3bip à 99,99€
99.99 € 159.99 €
Voir le deal


Un abîme géant, cet abîme est mon cœur - Vera

Invité
Invité
Invité
Anonymous
Personnage
Feuille
Joueur

 

Un abîme géant, cet abîme est mon coeurCHAPITRE DEUX : CEUX QUI MARCHENT DANS LES PAS D'ANDRASTÉ

Type de RP Classique
Date du sujet 20 Longnuage, 5 : 13
Participants Andra Valheim, Vera
TW Mort, sang, mutilation, sexualité, prostitution
Résumé De retour à Starkhaven après la chute d'Antiva et une fois capable de partir de Wycome, Andra va retrouver Vera.
Pour le recensement


Code:
[code]<ul><li><en3>20 Longnuage, 5 :13</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1418-un-abime-geant-cet-abime-est-mon-coeur-vera#16600">Un abîme géant, cet abîme est mon coeur</a></li></ul><p><u>Andra Valheim, Vera.</u>De retour à Starkhaven après la chute d'Antiva et une fois capable de partir de Wycome, Andra va retrouver Vera.</p>[/code]

Invité
Invité
Invité
Anonymous
Personnage
Feuille
Joueur

 

Il pleuvait ce soir-là sur Starkhaven, comme il avait plu sur Antiva. Mais ce n’était pas la pluie de feu, d’acier, de sang, mais la bruine de brume, de rouille et de pleurs qui colorait les murs tristes des bâtisses de la ville aux remparts légendaires. Antiva aussi avait eu des remparts, moins hauts, moins forts, qui pointaient, tout chancelants, vers le ciel. Et ils s’étaient effondrés, éventrés par la masse des engeances, par la puissance brute des enfers que vomissait la terre déterminée à les engloutir. Les cris de la nuit résonnaient : appel des épouses excédées contre les maris saouls, et des maris agacés contre les épouses en maraude. Chuchotement rauque d’une catin à deux sous venant d’une ruelle aveugle, promettant l’ivresse sans lendemain, à même la paroi de sa misère. Murmures des amants sous une venelle, que rien ne séparera jamais, sauf le soleil de l’aube et les coups du destin. Conversations des amis dans l’entrechoquement des dernières choppes et des rêves brisés. L’Enclin arrivait, l’Enclin venait, et un jour, ils mourraient. Pas aujourd’hui. Hélas. Parce qu’Antiva avait aussi connu tout cela. Mais Antiva n’était plus, comme ses habitants, ou si peu. Antiva s’était écroulée, comme un fétu de paille, sous le souffle avide de l’Archidémon, et sous ses décombres se tenaient les cadavres des rêves de tant d’hommes et de femmes qui y reposaient sans paix. Antiva ne vivait plus que dans les souvenirs, et l’accent perdu de quelques expatriés qui se lamentaient sur leurs racines. Antiva, pourtant, était partout, autour d’Andra : elle hantait son souffle, dévorait son esprit, arrachait la peau boursouflée cachée par les bandages et cataplasmes qui enserraient aussi sûrement son corps que l’horreur contraignait son cœur. Andra avait finalement survécu à Antiva, mais elle n’en reviendrait jamais. Pourtant, elle avait essayé de mourir, tellement fort, tellement désespérément. Pour la troisième fois de son existence, elle avait failli. Oh, de si peu ! A croire qu’elle était incapable de marcher sereinement vers la fin quand, livrée à sa seule conscience, la mage ne parvenait pas à ce que son âme accepte l’inéluctable.

Son pas, plus lent qu’à l’accoutumée, heurtait les pavés glissants avec rage, et la garde sentit les larmes monter, noyées sous la pluie qui dévalait son visage, détrempant le tissu compressant sa partie gauche. Elle aurait dû rester à Antiva. Mourir là-bas ! Ne plus laisser la boue ronger son cœur, ne plus supporter les regards brûler son corps ! Mourir là-bas ! Mais non, elle n’avait pu. Et son esprit vagabonda jusqu’à l’enfant sauvé, compressé contre sa poitrine, abandonné à une nourrice, pour solde de tout compte d’une camaraderie de quelques jours, pour respect rendu à celui qui l’avait sauvée sans qu’elle ne le veuille, qui lui avait volé son trépas pour demeurer auprès des siens, qui l’avait condamnée à la vie. Pourquoi, pourquoi devait-elle endurer cette souffrance, que de voir tous ceux qu’elle côtoyait partir vers les derniers rivages, depuis la berge de ses souvenirs ? Pour la punir de son impiété, le Créateur avait-il décidé de prononcer une sentence d’éternité ? Sans doute, puisqu’il n’hésitait pas à regarder ses soi-disant enfants massacrés. Abrutis, qui croyaient stupidement, jusque dans leur dernier souffle béat, à l’existence d’un dieu qui les détestait d’être nés ! La colère et la douleur affluèrent, et les larmes devinrent amères. Les noms, puis les visages, connus ou anonymes, défilèrent devant elle, et le poids de ces deuils inconnus la fit basculer, hagarde. Essoufflée, elle s’arrêta dans sa marche et posa sa main valide contre un mur lépreux de pierres brunies, la nausée la saisissant. A l’odeur âcre de glaviots de rue qui serpentait dans les rigoles d’égout à ses pieds, se mêla celle des regrets qui enflèrent et des reproches insaisissables. Pourquoi elle, quand d’autres auraient mérité de sentir encore un peu la flagrance de la pluie ? Il y avait des gens qui s’aimaient, des vieillards au regard doux, des enfants à l’innocence hardie, et toutes ces personnes avec leurs histoires, leurs peines et leurs joies, leur quotidien et leurs secrets triomphes. Pourquoi elle, et pas eux ? Pourquoi ceux qui voulaient vivre mourraient, et pourquoi celle qui voulait tant mourir survivait ? C’était absurde. Comme toute son existence. Comme cette pluie de feu d’acier de sang qui tambourinait à ses oreilles et vomissait sa rage. Pour la folie de quelques-uns, combien avaient été sacrifiés, et combien le seraient encore ? Cette haine qui palpitait dans sa poitrine brûla, de plus en plus vite, de plus en plus fort, et il lui fut si douloureux de la ravaler. Le pouvoir de quelques-uns finirait toujours par détruire le plus grand nombre. Et à cet égard, Starkhaven n’était pas mieux préparée. Au contraire même, de ce qu’elle avait brièvement compris. Ah, aux âmes courageuses, paix et reconnaissance, sauf quand elles étaient mages ! Dans ce cas … Après tout, tel était leur destin, n’est-ce pas, de crever pour ceux qui les détestaient, et rattraper un tort qu’on leur attribuait, péché collectif bien commode que celui qui damnait une si infime minorité, pour le confort de tous. Son poing se serra, et elle prit une inspiration profonde. Cette détestation profonde qui gisait, tapie depuis tant d’années, dans sa conscience, se calma, difficilement. Au fond, il était plus aisé de reporter sa hargne contre les autres, pour ne pas se laisser dominer par la haine de soi, qui déferlait pas vague douloureusement contenues. Se sacrifier héroïquement, c’eut été beau. Mais elle avait survécu. Et les héros morts étaient plus aimés que les survivants amers. Triste constat. Acide réalité.

Pesamment, Andra reprit sa route, et enfin, parvint à destination. Un instant, la devanture du Laurier la surplomba de ses tentures soyeuses et de ses couleurs discrètes. Elle admira les colombages, les arceaux des fenêtres. La nuit, qui l’enveloppa, caressa doucement les ombres projetées, et avec elle, leur cortège de souvenirs. Elle revit un départ, un soir, et une arrivée, quelques heures plus tard. Avec un sourire mélancolique, elle se mit dans les pas de son double du passé, et aurait presque juré apercevoir la silhouette fuligineuse qui se mouvait à ses côtés et n’existait que dans ses pensées. Elle arriva dans la ruelle attenante, pénétra dans la cour. La lune l’éclairait délicatement. Le sourire mutin, le port fier, sous la venelle, lui revinrent. Elle s’avança d’un pas, caressa le vide de ses souvenirs, et put sentir les lèvres fantômes contre les siennes. Face à la porte, l’hésitation redoubla. Est-ce qu’elle en avait le droit ? Est-ce que ce n’était pas plus honnête, plus correct, que de se contenter de cela ? S’effacer, vivre seulement avec les remémorations secrètes de sa conscience, elle savait si bien le faire. Tel était son lot, tel était son fardeau. Vera serait mieux sans le cortège de morts à ses pieds, sous ses mains. Qu’est-ce qu’elle pouvait lui apporter, hormis la promesse de la douleur et l’ivresse de ses peurs ? Rien. Juste … Son œil rêva aux contours de sa bouche, et à la douceur de sa peau contre la sienne. Ses mains avaient encore en songeries les soupirs qui s’évadaient de la chair assagie, et dans le sourire qui trembla sur ses lèvres, il y avait le plaisir des yeux gris sévères. Et comme la première fois, dans cette cour, l’égoïsme supplanta la vertu. Parce que même les morts-vivants avaient droit d’espérer, avant de voir leurs envies partir en fumée.

Se glissant à l’intérieur, Andra respira les aromates caractéristiques du lieu qui s’exhalaient depuis le Grand Salon, et contempla avec un sourire doux le pied de ces escaliers qu’elle connaissait si bien. Toutes leurs ascensions lui revinrent en mémoire, et les attentes aussi. Elle ne savait si elle avait préféré les premières ou les secondes. Parce que dans les premières, il y avait l’ombre des rires et des baisers, dans les secondes, le fantôme du sourire et du moment où la dame paraissait, emportant le calme avec elle. Rien ne semblait avoir changé : mêmes tapis, mêmes tentures, mêmes sons qui lui parvenaient des clients et des courtisanes affairées. Avec abnégation, elle souleva sa carcasse ébranlée qui, lentement, grimpa les étages, arrachant au corps encore supplicié des chuintements d’agonie. La démarche était gauche, et la honte, curieuse passagère, s’accrocha à son bras raidi pour l’accompagner dans sa montée. Pathétique vision que celle de cette femme qui se traînait, marche après marche, mue par l’espoir sordide de ne pas être davantage appréciée morte que vivante – si peu, et pourtant déjà trop.

Enfin, elle parvint au dernier palier, s’avança … et resta figée, les doigts gourds incapables de saisir la poignée. Il était encore temps de fuir, de partir. Incapable d’avancer, pétrifiée par la douleur, le remord, et la culpabilité, dévorée par la crainte comme rarement elle l’avait été, la garde fixait le bois face à elle. Elle imagina tout ce qu’elle pourrait lui dire. Tout ce qu’elle n’avait osé dire, parce que c’était trop tôt, parce que c’était si fragile. Parce qu’elle savait se contenter des non-dits, mais que la franchise du rejet brûlerait trop fort son sourire fracassé. Les souvenirs affluèrent à nouveau, redoublèrent de vigueur, et les échos du passé menacèrent d’emporter les lambeaux du présent. Partir, ce serait tellement plus facile. Oublier la tendresse qui perlait dans les silhouettes qui dansaient, sous ses yeux, et s’abandonnaient déjà contre cette porte, avant de l’ouvrir maladroitement, pour la refermer avec vigueur et s’aimer furieusement dans le huis-clos d’une chambre qui avait palpité au rythme de leurs pulsions écarlates. Se perdre dans les rues de Starkhaven pour éviter de songer à cette pièce dont elle pouvait retracer les contours avec précision, et envoyer valser ces derniers à mesure que les corps défileraient, éperdus et lisses, sans visage ni prénom, juste des corps à serrer contre le sien, juste des âmes pour noyer la sienne. Et quand viendrait Andoral, il n’y aurait rien qui la retiendrait ici. Alors, peut-être qu’enfin, elle parviendrait à terminer sa route et embrasser la lumière blanche qui la mènerait vers l’après. Il fallait juste qu’elle soit courageuse, qu’elle se décide maintenant, qu’elle tourne les talons et s’en aille.

A quel moment avait-elle été brave ? Toute son existence n’était qu’une somme de lâcheté, de fuite en avant pour se raccrocher à une existence qu’elle haissait. Et même quand elle avait tenté, enfin, de choisir, de regarder sa fin en face … Celle-ci s’était dérobée. Andra était faible, bien trop humaine, âme tourmentée, solitaire en quête éperdue d’un réconfort qu’elle savait ne pas mériter. N’était-ce pas, finalement, le plus douloureux, que d’admettre que ses plaisirs n’avaient jamais été qu’un pis-aller, qu’un moyen d’étreindre la solitude qui l’étouffait, de se croire aimée quand elle ne saurait l’être, parce qu’on n’aimait pas les cadavres à la renverse ? Que d’avouer, avec bassesse, que son indépendance si chèrement acquise, que cette liberté si crânement clamée, n’était que le paravent de ses échecs, que le voile sur cette douleur discrète qui la rongeait depuis si longtemps, celle d’une laideur qui la condamnait à ne quémander que des miettes d’affection, et à ne jamais réclamer davantage, de peur d’encombrer, de crainte de déranger … de douleur de se voir ramenée à cette condition si détestable de mutilée. Que de reconnaître, dans les abîmes de sa conscience, qu’elle cherchait si désespérément à être aimée ?
Alors, son esprit vogua vers les rivages des mois écoulés, et elle revit cette main contre la sienne, ces silences emplis de compréhension, les encas partagés à quatre heures du matin, les rires au détour d’un bon mot … Les yeux gris qui détaillaient sans détourner le regard ses cicatrices, la main pressée contre sa joue, les doigts enroulés autour des siens … et la voix qui disait son prénom, éperdue de désir, ivre de soupirs, lourde d’envie, les deux syllabes qui roulaient sur la langue trop habile, muselée par ses baisers, tandis que l’acmée venait. Elle se souvint de son menton appuyé contre l’épaule de Vera à lire ce qu’elle pouvait bien écrire, des caresses distraites contre son flanc, de cette intimité qui ne disait pas son nom quand un matin, elle lui avait dit « A ce soir ». Son cœur céda. Sa main gauche toqua, et elle attendit que le sésame résonne. Alors, elle tourna la poignée, prit une profonde inspiration, et entra.

Et elle resta là, immobile, dans l’encadrement de cette porte, à contempler Vera. A lire la surprise dans son regard, et à la dévorer du sien. « Tu es belle. » lui avait-elle dit, à la lueur d’une flammerole légère, le premier soir, en découvrant sa peau nue. « Tu l’es toujours. », avait-elle envie de murmurer, en la contemplant. La réalité dépassa ses souvenirs, et les ombres imaginaires se turent, terrassée par l’apparition si tangible. Les remparts d’Antiva s’écroulèrent à nouveau dans sa conscience, tandis qu’elle se souvenait du coup porté, de sa chair déchirée, et du visage devant son oeil qui cillait sous l’impact. Mais Vera était là, devant elle, et par tous les enfers, qu’elle était belle. Plus que dans ses souvenirs, parce qu’elle était réelle. L’émotion la saisit, brutale et suffoquante, terrible et asphyxiante. Sa gorge se serra. Antiva l’emporta, et elle sentit la sérénité étrange qui l’avait envahie, à l’époque, revenir. Comme elle avait été sûre de mourir, à cet instant, elle était sûre de vivre. Parce que le sang battait à ses tempes, que son myocarde perdait toute mesure et battait à la démesure, et que ses veines brûlaient comme rarement un brasier incandescent qui l’éloignait d’Antiva et de ses trépassés. Son œil parcourut la silhouette familière, caressa les contours et chercha les différences. Elle aurait pu rester ainsi si longtemps, quand son corps la trahit. Vacillant sous la fatigue et l’effort, Andra dut se tenir de sa main gauche au mur, donnant à voir ce que le long bandage qui enserrait la paume droite et remontait plus loin laissait deviner, comme celui qui, serré, dépassait du haut du pourpoint ouvert pour la laisser respirer et comprimer poitrine et flanc. Comme le cataplasme pressé contre sa joue, et dont la racine noirâtre se poursuivait pour fendre le menton et le cou. Tableau laid d’une vie qui avait manqué se finir. Tableau d’Antiva. Fragments antivans. Accrochée ainsi pour ne pas dériver, la mage se maintint, et un sourire étrange flotta sur son visage – ce qu’il en restait tandis qu’elle avouait :

« Tu m’as manqué. »

Son contralto s’étrangla, et un aigu perça, alors que l’émotion menaçait de briser ce qu’il restait d’Andra et ne gisait pas dans les décombres d’Antiva, tandis qu’elle répéta :

« … Tu m’as manqué. »

Vulnérabilité crue, qui, soudain, lui rappela sa faiblesse. Garde des Ombres, Garde de Rang. Mage, Enchanteresse-qui-n’avait-pu-obtenir-le-titre. Femme, surtout, dans sa douleur et ses ombres. Femme, dans ce cœur mis à nu, en quatre mots murmurés.

Femme, qui, pudiquement, admettait à une autre ce qu’elle n’osait lui dire.
Hortense Harimann
Hortense Harimann
Salonnière de l'Acanthe
Salonnière de l'Acanthe
Hortense Harimann
Personnage
Illustration : Un abîme géant, cet abîme est mon cœur - Vera 011f5ca56cc03348d7b6ea2f5afdfaf0

Peuple : Humain
Âge : 36 ans
Pronom.s personnage : Elle
Occupation : Ancienne prostituée, désormais propriétaire d'un salon
Localisation : Hortense passe l'essentiel de son temps dans son établissement, l'Acanthe
Pseudo : Velvet
Pronom.s joueur.euse : Elle
Crédits : Nightingale, Anastasiia Horbunova ; Delilah Copperspoon, Dishonored 2 (winterswake & Sergey Kolesov & coupleofkooks & KOHTLYR) ; Nathie (signature)
Date d'inscription : 09/07/2021
Messages : 754
Autres personnages : Marigold
Attributs : CC : 11
CT : 11
End : 15
For : 11
Perc : 15
Ag : 13
Vol : 15
Ch : 15

Classe : Civile, niveau 2
Feuille
Joueur

 

https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t127-vera-and-the-scre
Un abîme géant, cet abîme est mon coeurFt. Andra Valheim


Un groupe d’ivrognes, éructant leur gnole : des factionnaires en armure - la garde urbaine ; un clerc, capuche de sa pelisse rabattue sur sa ganache grimaçante. Les acteurs se croisent, échangent un regard - torve pour les uns, indifférent pour les autres. Pochard qui heurte l’adjucateur. Un juron part, s’écrase aux pieds du maladroit. Représailles ? Les gardes, attirés par le bruit, se retournent. On se jauge, et…

Un frisson la saisit, tandis qu’une volée de gouttes trompe le couvert de son abri, la tirant de sa contemplation. La chatte, troublée, réajuste mollement sa position, et la course du temps la heurte. Il fait déjà nuit ?

« ― Je sors. Qu’on ne m’attende pas.
  ― Entendu, Serah. »

Personne n’avait protesté, bien sûr. Au-delà de l’autorité du titre, la tranquillité promise avait séduit l’un et l’autre des partis. Parenthèse bienvenue, dans l’atmosphère, bien morose, du bordel. Sa faute à elle, quoiqu’elle n’en porte aucune culpabilité : le chagrin a asséché son cœur, flétri la prévenance de sa conduite. Ne reste que l’amertume - son écu à elle - et une lassitude franche lorsque, d’aventure, la colère ne suffit plus.

Comme ce soir.

« Je devrais rentrer. » Elle n’en a pas envie, mais le devoir l’emporte toujours sur ses ténèbres. Alors, le chat s’agite et, d’une poussée agile, se laisse retomber sur la corniche en contrebas. Silhouette qui flirte avec le vide, tandis qu’elle s’élance le long de la façade du bâtiment et saute sur le sommet d’une mansarde voisine.

Courir.
Courir sur le toit du monde, gouffre dans les entrailles et fantômes sur les talons.



« ― Vous êtes trempée ! La domestique s’affole à mesure que Vera se coule dans l’entrée, toilette souillée par l’averse dont elle vient de s’extirper. Je vais vous chercher un linge.
 ― Inutile. La maquerelle accueille l’apostrophe d’un vague signe de la main. Je monte me changer.
 ― Oh. »

Elle s’élance à pas mesurés dans le couloir de service, talons claquant contre les lames briquées de frais du parquet, lorsque la voix de la servante, à nouveau, résonne :

« ― Serah, je… Il y a eu un problème, avec une des filles. Dasyra...
  ― Quoi ?
  ― Elle s’est enfermée à l’étage, toute chagrin. De l’appréhension, dans la voix. L’aveu est coûteux, mais pas autant que son silence. Vous savez, l’Enclin… Son frère était dans la…
  ― Ce n’est pas mon problème. »

Éclats indignés au fond des prunelles pâles, que n’accompagne pourtant aucun commentaire. Pas le temps, car voilà que s’éloigne déjà la maquasse, pieds dans l’escalier, main sur la rampe. « Allez la trouver. Elle a dix minutes pour se ressaisir. Passé ce délai, j’estime qu’elle renonce à ses heures, et amputerai son salaire en conséquence. » Le silence qui lui répond invite Vera à pencher la tête au-dessus de la rambarde. Effet immédiat : « Bien, Serah. »

« Je n’ai pas le temps pour ça. » Les malédictions tournent, tournent dans sa tête, tandis qu’elle monte les marches, ruisselante. Le Laurier palpite déjà autour d’elle lorsqu’elle atteint l’étage supérieur : L’Enclin, après tout, n’a rien changé à l’affaire ; l’amour se monnaie toujours, peut-être même davantage encore que d’ordinaire. Le glas exalte les âmes en peine - temples ou bordels. Alors, qu’une fille s’esquive et laisse derrière elle son office… Quel embarras ! Quel manque de caractère ! Quelle… ingratitude !

La clé tourne dans la serrure, porte qui s’ouvre. Vera se glisse dans son entrebâillement, claque le vantail de pin derrière elle. Un soupir, tandis que se dévoile son vis-à-vis : lit, commodes, malle, bureau, étuve… Royaume à son image.

Solitaire.
Cette chambre est laide.

Le frisson qui la saisit l’invite à presser le pas. On l’attend en bas ! D’un bond, Vera se presse le long de la piaule, peste un instant contre ses souliers humides, dont elle se défait à la hâte, dans l’obscurité relative de la chambre. La matrone la repousse à la lueur de plusieurs bougies, allumées au fil de ses déambulations : près de l’étuve, où elle se défait de ses atours ; près de la commode, où elle récupère un linge propre avec lequel éponger cheveux et peau ; près d’une malle, de laquelle Vera tire une nouvelle robe, passée avec une célérité qui témoigne de son expertise. Bijoux qui tintent dans ses mains, alors qu’elle les saisit. Dormeuses à ses oreilles, jonc au poignet. A-t-elle oublié quelque chose ? Un coup d'œil dans un miroir, pour s’assurer de la tenue de son maquillage. Mais voilà que l’on toque à la porte.

« Entrez. » annonce la maquasse, sans quitter son reflet du regard. L’ombre, dans son dos, s’avance timidement dans la pièce. Vera ne s’en formalise pas, mais constate plutôt, avec un soulagement tout à fait pragmatique, que la pluie n’a rien gâché de son ouvrage. Tant mieux. Alors, pivotant sur ses talons, qu’il lui faut encore chausser : « Si c’est à propos de Dasyra, je n'ai pas changé d'av… »

Elle.

Le phrase meurt sur ses lèvres peintes, silenciée par spectre qui se dessine sur le pas de la porte, gueule cassée de ses souvenirs. Le visage familier, trop familier, lui arrache jusqu’à son souffle et la cloue sur place. Non. Le garde a été clair quant à l’issue de son destin - cadavre souillé au milieu du charnier antivan ; Vera a entendu les nouvelles, bercé ses angoisses des récits des rares survivants ; un massacre. Alors quoi ? Un mauvais tour joué par ses nerfs ? C’est que les soucis ne manquent pas, contrairement au sommeil. Les défunts ne reviennent pas à la vie.

« Tu m’as manqué. » tonne la morte. Et son monde s’effondre.

En vie.

Elle se souvient des poèmes, soigneusement remisés dans une pochette qu’elle s’était interdit d’ouvrir, mais avait choisi de conserver par respect pour la plume qui les avait écrit, qui l’avait croqué elle, et couché sur le papier les contours d’une femme qu’elle s’ignorait être, mais aurait voulu devenir. Elle se souvient des sanglots, ravalés ou affranchis, lorsque, d’aventure, le passé surgissait du présent - un mot, un objet, une odeur. Elle se souvient des nuits sans repos, du labeur acharné pour tromper l’abîme, de ce cierge - risible, piteux - allumé dans la chantrie de Sullenhall…

« … Tu m’as manqué. »

« Toi aussi. » s’entend-elle penser, sans parvenir à articuler ce que le cœur s’est efforcé d’étouffer. Comment le pourrait-elle ? « Tu étais morte… »

Les yeux brillent à la lueur des bougeoirs, scrutent cette silhouette qu’elle avait imaginé perdue, cantonnée aux tréfonds de sa mémoire comme tant d’autres de ses fantômes. Vera voit les bandages dépasser du pourpoint, l’odieuse plaie fendre le visage grêlé et une pensée lui vient, semblable à une autre, glissée lorsqu’elle avait découvert, pour la première fois, la chair abîmée sous la chemise de jute : « Que t’ont-ils fait ? »  

« Je pensais que tu… » La voix déraille malgré elle, saturée de larmes qu’elle refuse de livrer. Une pause, pour ravaler son trouble d’une inspiration. Lentement, prudemment, la maquerelle se rapproche de l’apparition, hésitante. Peur de la briser. Peur de se briser. « On m’a dit que tu étais morte. J’ai cru… »

T’avoir perdu.



Adore her. She demands it.

She dreams of all the world bowing, but more than that. Loving her. Breathing her name.

Vera devise en #993366
Invité
Invité
Invité
Anonymous
Personnage
Feuille
Joueur

 

Le bois sous ses doigts avait la solidité des instants qui s’effritent, tandis que l’œil ne quittait pas la silhouette, incapable de s’en détacher, et que la respiration, erratique après la lente montée, ne reflétait qu’à moitié la compression de la poitrine. Elle n’était pas due qu’à l’effort, ou qu’à la blessure, cette sensation d’un myocarde qui s’étranglait aussi sûrement que la voix fatiguée. Son cœur observait Vera, et il ne sut s’il devait plier ou pleurer. Il l’observait, de son battement lent, comme les graves errants de son contralto brisé, et parcourait de ses impulsions régulières les contours délicats de la femme en face de lui. Il les reconnaissait, et se serra en voyant la couture, délicate, qui reprisait les hanches de la robe pour l’amincir à son tour, remonta vers la poitrine – s’empourpra doucement et le sang vint plus vite, plus fort – avant de se poser sur les traits du visage, dont le maquillage ne cachait pas, au cœur attentif, les marques grisâtres du tiraillement de la peau. Surtout, muet, il accueillit avec la révérence des damnés le tourbillon de sentiments qui passa dans les yeux gris, et eut tant de mal à s’en détacher. Ils l’aspiraient tant, tout entier, ces lagons embrumés, qu’il eut envie de se détacher, de sortir de la poitrine d’Andra pour ne plus les quitter. Ils étaient là, ils les regardaient, la mage et son cœur mis à nu, et semblaient traverser une nuée de fantômes qui s’était échouée, ombre silencieuse, dans cette tombe des amours au lit solitaire. Les deux femmes se contemplaient, n’osant croire, peut-être, à ce qui n’aurait dû être, et la garde soutint le regard de Vera, en dépit de la douleur qui irradiait dans ses muscles, tendus malgré elle, et de la peur qui palpitait dans sa gorge.

Puis la voix éclata, et Andra sentit le monde se dissoudre sous ses doigts, qu’elle referma plus douloureusement contre le vantail de la porte. La culpabilité la submergea. Pourquoi était-ce si terrible, que d’entendre la souffrance, dans le timbre des personnes aimées ? Pourquoi était-ce si insupportable, de savoir qu’on en était la cause, et de se réjouir, bassement, honteusement, de son existence, parce que si l’autre avait mal, c’était … La peur se tut momentanément, juste quelques secondes, offrant quelques notes d’espoir. Elle s’en voulait, déjà. Et la voix continua, à mesure que sa propriétaire se rapprochait de la mage, que sa flagrance parvenait à son nez, et que son champ de vision étréci s’emplissait de Vera, et uniquement d’elle. La garde resta coite, raide, toute entière occupée à ne pas sombrer, son corps malmené criant sa souffrance tandis qu’elle l’ignorait superbement, pour se concentrer sur le hurlement de ce cœur qui aurait tant voulu avancer, lui, toucher du bout de ses doigts caressants la silhouette, murmurer ces riens qui rassuraient. Mais elle ne le pouvait pas. Parce que ses pieds demeuraient figés, parce que son esprit ne se détachait pas de la peine contenue dans la voix, était incapable de ne pas pouvoir le chagrin de la pièce abandonnée derrière elle, pour Antiva, dont il ne restait rien. Il gouttait, larme à larme, sur les lattes du plancher, ruisselant jusqu’à elles, formant sous les pieds nus de Vera un tapis de pleurs discrets qui s’épanchait dans ceux que le timbre digne et le port altier ne parvenaient pas à réfréner.

Une image lui vint, et le passé se superposa au présent. Une chambre, loin, si loin d’ici. Une silhouette, et le même lit lourd d’amertume dans les draps autrefois légers. Et les mêmes mots, les mêmes murmures. La même peur, aussi. Et cette sensation brûlante, acide, mourante, de souiller de ses doigts tremblants une vie trop jolie pour supporter les baisers d’une suppliciée. L’envie amère de ne jamais revenir, pour ne pas voir ce à quoi elle avait renoncé, pour ne pas contempler la tragédie de l’amour délité, pour ne pas admettre que quelque chose d’elle était resté sur le champ de bataille des Cantiques braillés. Agonie de la passion, et tremblements des amantes, qui savent qu’il est des guerres dont on ne revient pas, et des amours qui s’émoussent, lentement, parce qu’il n’est plus possible de se toucher sans sentir le sang perler des ongles qui crissent sur la peau adorée, parce que le prénom chuchoté trouve écho aux prières horrifiées pour ne pas mourir.

Comme si tout son être se rebellait face à ce destin aux amours morts-nées, Andra revit les ombres d’Antiva, les sourires de la fin. Elle contempla ces quelques fils de vie qui auraient dû constituer l’épitaphe de sa tombe, et n’étaient finalement que les inscriptions sur cette énième ligne de vie qui, pour effilochée et fragile, n’en finissait plus de mourir. Les visages dansèrent devant elles, les confidences, et le poids dans sa poche se fit plus lourd. Son regard accrocha les yeux gris de Vera, et son intensité n’avait peut-être jamais été si forte, dans tout ce qu’il chuchotait – parce que les dire, à regard haut, oh, c’eut été bien trop fort, mieux valait murmurer, au creux des pupilles, ce que le cœur suffoqué n’était pas capable de décrire tant il cognait. Mais Antiva se dressait face à elle, entre elles, dans les ruines de son corps, dans l’abîme de la voix de Vera. Antiva les observait de son propre œil, noir et suintant, et la souillure de son massacre colorait la mare de larmes fantômes sous les pieds nus. Antiva, Val Dorma, les Anderfels : il y avait un continent de douleurs secrètes entre elles, un océan de craintes et de haine de soi, un monde de désespoir et de renoncement, pour ne pas blesser celles qu’elle avait, un jour, eu l’outrecuidance d’approcher, pour les contaminer de ce remugle noir qui ne quittait jamais son cœur, et ne le rendait que plus fou de se défaire de cette poigne d’acier qui l’enserrait sans cesse, jusqu’à l’étouffer tout à fait. Antiva, néanmoins, les écrasait, et ce cercueil à ciel ouvert ruisselait d’une vie qui, jusqu’à la toute fin, avait refusé de se tarir. Antiva chassa Val Dorma, Antiva révoqua les Anderfels. Antiva était une tombe. Et personne, personne, n’irait jamais à Antiva comme Andra. Parce que personne ne verrait Antiva. Peut-être qu’un jour, Antiva renaîtrait. Mais ce ne serait plus Antiva, car Antiva était morte ce jour-là. Comme Andra. Et tous ceux qui y pénétreraient, marchant sans le savoir sur les cadavres aux bras d’enfants et aux yeux nus, se verraient dire par ces témoins silencieux, à l’ombre des vignes renaissantes et dans la senteur des fruits doux : « Tu n’as rien vu à Antiva. » Son cœur enfla, tonna, et sa voix, enfin, graves d’outre-tombe, graves enjambant la tombe, trouva à répondre, dans un élan qui ne s’expliquait plus, et qui se raccrochait au gris des souvenirs :

« Je l’étais. Je … »

Je le suis.

« C’était un voyage sans retour, à Antiva. »

Et je n’en suis pas revenue.

« Cela fait trois fois que je meurs, et je n'y arrive toujours pas. »

L’aveu, rauque, des blessures passées et des cicatrices nouvelles, enroua la voix. Mais l’œil ne faiblit pas, contemplant, dans cette sincérité crue, Vera, et uniquement Vera. Comment réussir à ce que cela fasse sens ? Comment rendre compte de la vérité ? Celle d’une mort annoncée, acceptée, anticipée, effleurée, et qui lui avait échappée, pour revenir la tourmenter, tenter de l’enserrer, avant de la relâcher ? L’émotion menaçait sa cohérence, et les mots ne faisaient plus sens, parce qu’ils étaient de trop, dans cette conversation. Ils perdaient tout ce qu’ils auraient dû vouloir, pouvoir dire, ces mots idiots, qui ricochaient dans son esprit et s’enferraient dans sa poitrine, qui mourraient sur ses lèvres et s’étranglaient dans sa gorge. Et eux aussi, il lui semblait qu’ils étaient entre elles, ces mots bateaux, ces mots qui dérivaient et se noyaient sur le tapis, ces mots tombeaux. Alors, elle décida de s’en passer, juste pour quelques instants. L’inspiration, profonde, lui permit de trouver le courage de s’arracher à la porte et d’avancer, un pas après l’autre – et que c’était dur, de marcher, de soulever ces muscles crantés, arrêtés, noués, même pour quelques centimètres sur le parquet. Jusqu’à se trouver face à Vera. Jusqu’à pouvoir toucher du bout du regard les traits, la peau, le souffle. Jusqu’à …

Sa main gauche, intacte, s’approcha, timidement, doucement, de celle de Vera, effleura ses doigts fins des siens. Elle resta ainsi, un instant, sans qu’il ne passât rien d’autre que ce frémissement, chair contre chair, et peut-être âme contre âme. Avant de glisser sa paume dans la sienne, et de retrouver la chaleur de cette dernière. Images furtives, de mains se nouant pour s’appréhender. Images délicates, sur ce lit derrière elles, de phalanges s’entrelaçant au rythme des soupirs montant et des caresses enivrantes. Images. Réalité, surtout, qui bientôt les supplanta, avec cette certitude qu’il y avait Vera, au creux de sa main. Et enfin, enfin, les mots trouvèrent leurs sens, éclairés par ce chemin qui s’était tracé sans eux :

« Antiva … Il n’y a plus que des cadavres là-bas, et j’aurai dû … J’aurai dû être de ceux-là. Et peut-être qu’en un sens, c’est le cas.

Mais il y avait quelqu’un qui … il y avait quelqu’un qui voulait rester là-bas. »


Plus fort que moi.

« Il m’a sauvée, au moins le temps de fuir. A Wycome. Et là-bas … »

Elle avait enfin cru mourir.

« J’ai été … longtemps inconsciente. »

Mais trop consciente, de ce qui se jouait. Trop consciente, de ce qui l’empêchait de sombrer. Comme la main dans la sienne, qu’elle enserrait malgré les tremblements dans ses doigts. En dépit de ceux de sa voix, vacillante, dont le contralto se meurt dangereusement :

« Mais … je … »

Arrêt.

« … je suis revenue d’Antiva. »

Silence. Son œil tomba sur les mains entrelacées, et, bêtement, tendrement, Andra s’y raccrocha, pour chuchoter :

« Ta main … Elle va toujours bien dans la mienne. »

Paume caressée. Espoir dressé.

« Je crois. »
Hortense Harimann
Hortense Harimann
Salonnière de l'Acanthe
Salonnière de l'Acanthe
Hortense Harimann
Personnage
Illustration : Un abîme géant, cet abîme est mon cœur - Vera 011f5ca56cc03348d7b6ea2f5afdfaf0

Peuple : Humain
Âge : 36 ans
Pronom.s personnage : Elle
Occupation : Ancienne prostituée, désormais propriétaire d'un salon
Localisation : Hortense passe l'essentiel de son temps dans son établissement, l'Acanthe
Pseudo : Velvet
Pronom.s joueur.euse : Elle
Crédits : Nightingale, Anastasiia Horbunova ; Delilah Copperspoon, Dishonored 2 (winterswake & Sergey Kolesov & coupleofkooks & KOHTLYR) ; Nathie (signature)
Date d'inscription : 09/07/2021
Messages : 754
Autres personnages : Marigold
Attributs : CC : 11
CT : 11
End : 15
For : 11
Perc : 15
Ag : 13
Vol : 15
Ch : 15

Classe : Civile, niveau 2
Feuille
Joueur

 

https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t127-vera-and-the-scre
Un abîme géant, cet abîme est mon coeurFt. Andra Valheim
TW : suicide, toxicité


La flamme tressaille, anonyme au milieu de l’océan de cierges. Feu sans chaleur, dont l’incandescence lui brûle les rétines. Elle a envie d’être ailleurs, ne se sent pas à l’aise. Mais le sommeil ne vient pas, alors… Elle prie. Enfin, essaie : tête inclinée, paupières closes. L’heure, tardive, s’accompagne d’une solitude qui facilite sa démarche. Pudeur qu’elle se découvre, alors que les ombres dansent autour d’elle. « Il y a des choses que j’aurais aimé te dire. »

Les mots, soufflés aux pieds des idoles, restent coincés dans sa gorge maintenant que la chair a remplacé le tissu de ses souvenirs. Vera l’observe en silence, ce spectre qu’elle a si férocement cherché à museler, à renfort de labeur et de colère, darder sur elle sa prunelle sombre. Prunelle morte. « Il y a des choses que j’aurais aimé te dire. » Le cœur s’emballe dans sa poitrine, tandis que lui reviennent les fragments de confession, les certitudes derrière le chagrin et l’acidité des regrets. Trop tard - elle l’a pensé. Alors quoi dire, à présent ?

« Je l’étais. Je … » Les graves emplissent la chambre, chassent doucement les ténèbres qui infusent depuis son départ, rongent le bois, souillent les tentures. Un peu de lumière, un brin de chaleur, quand bien même la voix trébuche. Et Vera se questionne : en a-t-il toujours été ainsi ? Depuis quand a-t-elle consenti à céder pareille autorité sur ses humeurs ?

« C’était un voyage sans retour, à Antiva. » Il y a des fantômes, au fond de l'œil, au creux des mots, que la maquerelle ne reconnaît pas. Une impression d’enfer, dans le silence de ses hésitations, le long des reliefs de la plaie qui lui crève la joue. Les charniers des rumeurs mugissent dans la corruption de la chair. « Cela fait trois fois que je meurs, et je n'y arrive toujours pas. »

Et je n’y arrive toujours pas.
Toujours pas.

Elle frissonne à la lueur de l’aveu, alors que la morte-qui-ne-l’est-pas, qui-ne-l’est-plus mais aurait-voulu-le-rester, se rapproche de sa démarche gauche, et sature son horizon des regrets qu’elle traîne. Vera la regarde faire, mutique, l’âme dérivant aux échos de la confidence - toujours pas - tandis qu’Andra poursuit : « Antiva … Il n’y a plus que des cadavres là-bas, et j’aurai dû … J’aurai dû être de ceux-là. Et peut-être qu’en un sens, c’est le cas. Mais il y avait quelqu’un qui … il y avait quelqu’un qui voulait rester là-bas. » Elle sent la main venir frôler la sienne, chercher l’étreinte de ses doigts, qu’elle ne parvient pas à lui soustraire, malgré les cris des espoirs blessés. Son corps appelle le sien. Encore. Toujours. Mais le constat demeure : « Tu voulais mourir. » Et pourtant… « Il m’a sauvée, au moins le temps de fuir. A Wycome. Et là-bas … J’ai été … longtemps inconsciente. Mais … je … » Une pause. « … je suis revenue d’Antiva. »

Les phalanges dansent contre sa peau, et Vera ferme ses paupières. Le tableau lui vient sans effort : des lits de fortunes dans un hospice encombré, les dépouilles empilées et les rivières de larmes. Et elle, immobile sur sa paillasse. Vivante qui se rêve ailleurs, mais dont la poitrine se soulève… Et l’image du cierge lui revient, cuisante, bilieuse, comme le souvenir des sanglots versés. Peut-être devrait-elle s’excuser de l’avoir priée. « … je suis revenue d’Antiva. » ; trépassée tirée du tombeau. « J’en suis navrée. »

« Ta main … » Le souffle la ramène dans la chambre. Ses yeux retrouvent le sien. Abîme. « Elle va toujours bien dans la mienne. Je crois. »

Un silence. « Je le pensais aussi. »

« Pourquoi es-tu revenue ? » Ce n’est qu’un murmure, mais Vera y insuffle tout le tranchant de l’acier : la colère déborde, comme le chagrin avant elle, parce que sa détresse la blesse davantage encore que son absence. Parce qu’elle se sent stupide d’avoir désespéré de la voir vivre, quand Andra, elle, n’avait cherché que le repos. Parce qu’aimer une morte l’avait mise à genoux, et que l’affection d’une suicidée en devenir l’effraie. Animal blessé, qui craint la main affectueuse pour le pouvoir qu’elle renferme. N’a-t-elle pas assez souffert ?

« On m’a porté les poèmes. » La voix tremble, éraillée d’émotion, tandis qu’elle retire brusquement ses doigts des siens. Leur contact la brûle, comme la fureur dans sa gorge sèche. « Je les ai lus. Tous. » Elle recule de quelques pas, prend ses distances avec le spectre. La fébrilité de son élan la porte près de son bureau, dont elle ouvre un tiroir à la volée. Le bois crisse sous l’ardeur du geste, qu’elle ne contrôle pas, alors que les doigts se referment sur les feuillets : « De quel droit, Andra… ? De quel droit… » Les vélins, dans sa paume, fendent l’air au rythme des secousses qui animent sa carcasse. Papier qui se froisse, proteste. Et les larmes menacent… « Tu ne peux pas entrer, tout bouleverser et repartir. Tu ne peux pas ! Je ne le permettrai pas. »… roulent de ses yeux fatigués. « Je ne le permettrai plus. »

Vera ravale un sanglot, plus fort, plus affligé que les précédents. « Tu voulais mourir. ». Silence, le temps de discipliner, au moins un peu, rien qu’un peu, la tempête qui la domine. Elle en a assez de pleurer. « Va-t-en. »

Regard fuyant le sien. Borgne. Mort. Aimé.

« S’il te plait. »



Adore her. She demands it.

She dreams of all the world bowing, but more than that. Loving her. Breathing her name.

Vera devise en #993366
Invité
Invité
Invité
Anonymous
Personnage
Feuille
Joueur

 

Une vie était faite d’instants au bord du précipice, de ces secondes qui, soudainement, deviennent des embranchements pour l’éternité, des choix qui, muets, s’étendent doucement, serpentent. Leur tracé n’était jamais clair, limpide parce que l’existence, hélas, avait toujours la sinuosité des âmes humaines, promptes à la colère comme à la passion, pendants l’une de l’autre, et se nourrissant de cette incertitude qui enserrait les cœurs : que faire ? Que dire ? Quel choix était le meilleur ? A ces questions, il n’y avait jamais que des choix. Parfois, des regrets, souvent, des remords, et de temps en temps, furtivement, la sagesse qui venait avec le recul, celui d’avoir, envers et contre tout, pris la bonne décision, à ce moment précis. Ces moments avaient toujours une flagrance particulière, comme si le temps s’arrêtait, pour permettre à l’esprit de réfléchir, et finalement, de laisser parler l’âme, parce que les grands choix se moquaient bien d’une quelconque logique. On n’était pas sérieux, quand on avait dix-sept ans, et qu’on avait des tilleuls verts sur la promenade. Oh, on ne l’était pas non plus à trente-huit, avec des souvenirs verts sur le lit. Andra observa la chambre, comme extérieure à ce qui se jouait, alors que toute son attention était focalisée sur Vera. Elle détailla le plafond contre lequel ses soupirs, trop souvent ces derniers mois, s’étaient écrasés, vogua vers le bureau, détailla le contenu dont elle pouvait se souvenir, longea les meubles, se faufila dans l’étuve et put presque sentir l’humidité de l’eau chaude sur sa peau, et les doigts de son amante qui s’y perdaient, tandis que les volutes de vapeur du baquet les cachaient, dans l’étreinte alanguie, aux murs pleureurs dont la finesse masquait difficilement leurs emportements languides. Elle en sortit, de ces souvenirs, pour caresser ceux, tout aussi délicats, des confidences sur le lit défait, se remémora les lèvres contre sa chair, et contre son cou, à semer ça et là des grains de vie, et à embrasser l’attachement en germe. Et, enfin, elle en sortit, pour se promener sur le tapis, et la chaleur d’une main fantôme contre son épaule la saisit, alors que le rythme imaginaire d’une valse inconnue lui revint avec vigueur. Sa conscience gratta timidement à la porte, et elle la franchit, pour dévaler les escaliers, se repaître des attentes, se glisser dans le bureau et le verrouiller, pour mieux se perdre dans la cuisine, la cave. Les mains se frôlaient, dans sa mémoire, encore et encore, et son œil brillait, à la mesure de l’attente, pendant que le cœur, douloureusement, admettait ce qui n’osait se dire. Parce qu’il était des évidences qui ne pouvaient être murmurées qu’au creux de la nuit, contre un oreiller, avec l’espoir secret que le sommeil ne l’autre ne soit pas entièrement sourd, et la certitude d’emporter les mots dans la tombe.

Brusquement, la mage eut sur sa rétine l’image saisissante d’elle-même, beaucoup plus jeune, encore alourdie par le plaisir, observer avec une douleur discrète sa compagne se rhabiller, et la souffrance qui venait, de constater que ce moment partagé n’avait pas la même signification pour les deux apprenties du Cercle. Comment cela aurait-il pu, entre celle qui était courtisée de toute part, et celle qui était regardée avec un dégoût plus ou moins maîtrisé ? L’esprit, parfois, pouvait supplanter la beauté. Mais il ne lui serait jamais accordé que des bribes. Les mots, gravés dans sa mémoire, tandis qu’elle s’était relevée et avait voulu ouvrir la bouche, résonnèrent encore dans son esprit : « Ne le dis pas, Andra. ». Et elle avait acquiescé, cœur blessé et espoirs brisés. Puis, des années plus tard, la scène s’était rejouée. Mais cette fois … Elle n’était pas restée silencieuse. Elle n’avait pas fait le même choix. Elle n’avait pas murmuré aux étoiles son secret, mais l’avait affirmé, dans l’orgueil douloureux des âmes fières, pour ne pas céder à cette fatalité qui l’enserrait, pour tenter de défier un sort qui se jouait sans cesse d’elle. La peur, la haine, et la vie, s’étaient chargées de ne pas la récompenser pour son effort, et, pendant des années, ils étaient demeurés bien trop souvent coincés dans sa gorge, ces mots qui en disaient trop. Comme à Hasmal, où ils avaient flotté dans l’air, hésitants, pour fuir doucement, parce que c’était trop tôt, parce qu’elle n’avait pas guéri d’Hossburg et des cicatrices infligées. Elle avait hésité, avant de partir. Mais n’était-ce pas cruel, que d’offrir ce qui se tissait et venait d’être tranché brutalement par le devoir ? « Ne le dis pas, Andra », avait chuchoté sa conscience. Et elle l’avait suivie, par lâcheté, parce que son cœur n’était pas encore prêt à donner encore. Parce que cela l’effrayait, aussi, de ressentir à nouveau cet arrachement terrible, cette sensation de vide absolu quand l’autre n’était pas là, plus là. Et puis … devant la lande nevarrane, dans la quiétude d’une chambre, ce n’était pas elle, qui l’avait dit en premier. La surprise avait été réelle, sincère. Et pourtant. Il y avait eu, ce flottement, ce parfum de tous les possibles, quand elle avait entendu le murmure, alors que le corps aimé se rapprochait du sien, et que la tendresse achevait d’effacer les douleurs d’antan, autant que le poids si léger du bras contre sa taille. « Dis-le, Andra », avait murmuré son cœur, et elle avait cédé. C’était doux, d’être voulue. Elle n’avait pas l’habitude. Quoique. S’était-elle jamais accordé cette possibilité, que d’imaginer pouvoir plaire, réellement, pour autre chose que les nuits ? Oiseau fragile, qui craignait le jour, dont la laideur éclairait trop fort son visage, tandis que les ombres nocturnes n’avaient jamais été que des amantes consolatrices, et des mains bienveillantes à même de cacher les fêlures du corps et de l’âme. Sauf que le bonheur ne durait qu’un temps, et que les blessures de la guerre n’avaient laissé que des trous béants dont s’écoulaient, lentement, les vestiges de la douceur et des caresses. Et un soir, le « Pourquoi es-tu revenue ? » avait résonné, avec la même douleur, la même colère qu’à cet instant, au Laurier. Les deux femmes se superposèrent, dans son esprit, et la rage montante de l’une fit écho au constat désolé de l’autre. Histoire avortée contre histoire délitée. « Ne le dis pas, Andra », avait été sa décision finale, au Nevarra, parce que répéter l’évidence déchue ne servirait à rien. Croire qu’il était encore possible de s’aimer quand tout avait déjà été dit, c’était idiot, quand on y pensait. Mais quand rien n’avait été osé, était-ce si stupide, de penser que … ?

« Pourquoi es-tu revenue ? » La question la transperçait, mettant à nu cette existence faite de doutes, de tentatives d’être heureuse et d’échecs cuisants. La question la hantait, parce que la réponse était à la fois simple, et terriblement complexe. Lorsque les mains de Vera glissèrent des siennes, la garde eut la sensation que ses doigts n’avaient jamais été aussi inutiles que présentement, en n’entourant que du néant. Paume vide, espoirs brisés. Immobile, elle encaissa la douleur qui éclatait, à présent, dans chaque mot, qui se détachait en poignards fichés dans son myocarde battant la chamade suffisamment fort pour détruire sa poitrine. Elle vit le pas en arrière – et jamais éloignement de quelques centimètres n’avait créé un gouffre aussi affreux, sanglant, insultant – et les mains qui fouillaient et sortaient du meuble les parchemins que son imagination n’avait pu placer, auparavant, faute de savoir qu’ils étaient là. Faute de savoir que Vera les avait gardés, ces aveux silencieux. Pourquoi poser la question, quand les réponses se trouvaient là, ballotées par la fureur qui perçait dans la gorge, dans les yeux ? Avait-elle autre chose à ajouter que ce qui se trouvait couché sur le papier ? Ces vers ne contaient pas uniquement la beauté, ou le plaisir. Ils dépeignaient ce qui se trouvait griffonné dans les marges, de ces esquisses tendres dont l’œil, trop doux, trop délicat, trop sentimental, n’avait plus rien de l’audace érotique que l’offrande aurait pu, seule, représenter. C’était … tout autre chose, et en même temps, son prolongement, qui se trouvait effleuré au gré d’une épaule nue, d’une rime appuyée, d’un visage endormi croqué dans l’apaisement de la nuit, d’une strophe dont la vérité était bien trop évidente, écrite à côté de ce sourire en coin, qui menaçait de s’élargir, comme ce secret qui enflait entre elles, et qui causait regrets et colère.

Pourtant, ce ne furent pas les gestes saccadés, le tranchant de la voix, qui heurtèrent le plus Andra. Non, ce furent les larmes dans la gorge, dans les yeux, et les soubresauts qui agitèrent le corps de Vera, sous son œil. Peut-être que c’eut été plus facile, finalement, de constater de l’indifférence. D’entendre un remerciement poli, un constat même un peu aigri, et plus rien, avant d’être renvoyée. Sauf que ce n’était pas le cas. Qu’il y avait, au creux des murmures et des cris, une certitude amère : celle de savoir qu’elles n’avaient pas partagé que des envies. Qu’au gré des rencontres et des plaisirs, étaient nés des non-dits qui crevaient aujourd’hui les murs érigés entre elles, entre leurs solitudes qui s’étaient fracassées l’une contre l’autre, et qui agonisaient doucement, là, maintenant, dans ce constat que, peut-être, sans Antiva, sans … Que peut-être qu’elle aurait pu avoir quelque chose vers lequel revenir. Que dire, face à cet espoir qui, soudainement, trouvait sa réalisation, et en même temps, blessait avec une telle violence ? Que faire, face à la réalisation d’être la cause des sanglots qui résonnait à ses tempes, quand on n’avait jamais souhaité que le bonheur de l’autre – qu’on avait souhaité, naïvement, en être la source, un jour, peut-être, quand tout serait terminé, quand … ?

La sentence tomba, et Andra l’encaissa, murée dans son silence. Son cœur se fissura, craqua, et elle ne parvint pas à effacer l’expression de pure agonie que les trois mots jetés lui causèrent. Non pas qu’elle ne les comprenait pas : c’était peut-être, sans doute, tellement plus simple, de partir. Après tout, n’avait-elle pas hésité à venir ? N’était-ce pas le plus aisé, que de fuir, de ne pas se retourner, et de jeter aux orties les espoirs et les souvenirs ? N’était-ce pas plus juste, de s’effacer, doucement, de ne plus être qu’un fantôme, après avoir causé ces traits creusés qui n’auraient jamais dû exister ? Peut-être. Sans doute. Et pourtant. L’écho revint la hanter, mêmes mots jetés au Cercle. Premier chagrin. Même mots entendus au gré de sa vie, et des regrets de ces femmes qui ne parvenaient pas admettre leur faiblesse face à cette mage entrée dans leur vie. Puis, le « s’il te plaît » advint, et ce fut l’ultime attaque, comme si les poignards enfoncés, brutalement, étaient retournés dans la plaie béante, saillante. Les yeux la fuyaient, et son âme avec eux, s’en allait aussi. Le goût âcre, aigre, du Nevarra envahit sa bouche. Pas encore. Pas cette fois. Si, évidemment. Pourquoi ce serait différent ? Elle était si douée pour blesser les femmes aimées. Fardeau de la Garde, de la magie, mais surtout d’un passé qui l’avait si souvent maintenue prisonnière, et de ces fantômes qui ne la quittaient jamais tout à fait. Les Anderfels n’avaient pas seulement brisés son corps. Ils avaient, irrémédiablement, détruit son esprit, et ces cicatrices-là, pour invisibles qu’elles soient, étaient vraisemblablement les plus dures à porter. Parce que tout ce qu’elle tentait péniblement de bâtir s’était toujours échoué sur cette pulsion de mort si difficile à contenir. Sur cette certitude, hantée et entêtante, qu’elle était incapable d’être aimée, parce que ce qu’elle était ne serait jamais que ruines et agonie. Andra ne s’aimait pas, et ne s’aimerait jamais, parce que d’autres avaient décidé un jour que sa vie ne valait pas la peine d’être vécue, et qu’elle semblait s’ingénier à vouloir leur donner raison.

La pulsion gonfla, et menaça de la dévorer. Tourner les talons n’avait jamais paru si simple. Un geste, et tout serait terminé. Un pas en arrière, et son œil arrêterait de verser les larmes qu’elle n’avait même pas remarqué, et qui s’écoulaient doucement, dans une dissymétrie odieuse, alors que le jumeau mort demeurait désespérément sec, miroir de son âme écartelée entre la peur et la révolte. Parce que Antiva, cette fois, répondit aux Anderfels. Oui, Andra était morte, à Antiva. Mais pendant une semaine, elle avait aussi vécu, peut-être plus intensément qu’au cours de toute son existence. Ironique, d’avoir senti à ce point cet amour de la vie, quand elle avait pensé si sincèrement la perdre. Il y avait eu ces moments où elle s’était dit que, si jamais … Il y avait eu toutes ces réalisations, qui l’avaient menées à ce point précis, à ce basculement. Partir, ou rester. Du moins, essayer. « Ne le dis pas, Andra » lutta contre « Dis-le ». Et d’une certaine façon, c’était bel et bien toute sa vie qui se jouait dans ce duel muet, entre la facilité de reprendre une existence bercée de plaisirs éphémères et d’une mélancolie qui collait à ses soupirs, et la douleur bravache qui consistait à rompre ce cycle, et à espérer, pour au moins quelques instants, que la vie avait un sens. Qu’Antiva était advenue pour qu’elle soit ici. Qu’elle avait survécu parce que … Parce que, tout simplement, quand le choix lui avait été donné, entre traverser et s’arrêter, une voix l’avait appelée, et elle avait voulu la saisir, ratant ainsi l’ultime passage de la Faucheuse aux doigts sépulcraux. Parce que, secrètement, avant qu’Antiva ne tombe, elle l’avait ressentie, cette pulsion de vie, et l’avait conservée contre sa poitrine, dans sa poche, dont la lourdeur soudaine lui rappela cette promesse faite dans le silence d’une forge. Alors, elle admira la silhouette digne, malgré la douleur et les yeux rougis, en dépit des traits creusés et de la fatigue visible. Elle en parcourut chaque détail, de son œil ou de son esprit. Un cri monta depuis les tréfonds de son âme, qui menaça d’emporter presque trois décennies de souffrances et de mépris de soi. Est-ce que, pour une fois dans cette maudite existence, quelque chose pouvait faire sens ? Est-ce que, juste ce soir, elle pouvait espérer, encore un peu ? Est-ce que, surtout, elle pouvait enfin se dire qu’elle avait essayé ? Cette fois, sa voix ne vacilla pas. Elle ne fut pas plus haute qu’un murmure, et le rauque ne venait pas que des graves, mais bel et bien de cette honnêteté franche qui s’exprima enfin :

« Je peux partir, si tu le désires. Mais avant, je vais te répondre. »

Rarement une inspiration lui parut si longue, si lourde, si difficile. Rarement elle vit l’abîme avec autant d’acuité, avant de tenter de le franchir. Parce qu’à ce moment, elle faisait un choix, et que ce choix était capable de définitivement massacrer ce qu’il restait de cœur chez cette femme à l’allure sévère et dont les blessures, physiques, ne seraient jamais que le reflet d’une âme aux aspérités difficilement saisissables, car perdues dans les ombres des secrets jamais avoués. Elle espérait juste que cette autre âme aux plaies évidentes qui lui faisait face attraperait cette main tendue, pour l’enserrer et ne plus la laisser partir. Mais cela, elle ne pouvait pas le savoir. Vertige le plus terrible, alors, que de prendre tout de même ce risque, et de sauter à cœur joint devant soi.

« Je suis revenue parce que … »

Tu sais pourquoi. Pour la même raison que ta voix tremble devant moi.

« Parce que, à Antiva, je n’ai pensé qu’à toi. Et quand j’ai dû choisir entre … partir, ou rester, j’ai choisi ta voix. »

Sa main valide s’accrocha à la poche de son pourpoint, se referma sur son contenant, avant de se déplier en direction de Vera, pour finalement s’ouvrir et révéler l’anneau argenté, simple comme un souvenir et une promesse, à l’image d’elles, et de cette chambre du troisième étage. Les gravures à l’intérieur luisaient doucement, et la voix d’Andra parvint à ne pas se briser, adoucie par la tendresse profonde qui trouvait enfin à s’exprimer, dans ce geste d’offrande :

« C’est tout ce que j’ai ramené d’Antiva. Je n’y ai pas gravé de « toujours », ou de « à jamais », mais un « tant que tu voudras ».

Elle ne pourrait jamais lui offrir ces absolus, ou pour un temps limité, et n’aurait osé les imposer de la sorte, même pour exprimer ce que, peut-être, son fol espoir aurait tant voulu admettre. Mais elle pouvait lui offrir ça. Elle pouvait être à ses côtés, si Vera voulait bien d’elle. Si … s’il y avait la moindre possibilité de lui pardonner.

« Parce que … moi, j’ai envie de toi. Et je n’ai pas grand-chose à t’offrir, hormis une gueule cassée et un cœur un peu abîmé, mais qui bat plus vite quand tu es là, qui bat plus fort quand il pense à toi. »

Non, elle n’avait rien à offrir : pas d’argent, aucune situation, juste l’opprobre qui s’attachait à sa condition de mage, et la crainte de l’Enclin, ainsi que du destin d’une Garde des Ombres. Ni beauté, ni certitude : juste … la promesse d’essayer, passionnément, d’être à ses côtés.

« Si je ne repars pas … Si … je me bats pour rester avec toi … Peut-être que ce monde qui n’existe pas vivra autrement que sur le parchemin … »

L’allusion, évidente, à l’un de ses poèmes, résonna avec l’évidence qui s’énonçait enfin, et dans cette promesse de regarder au-devant, et non en arrière. Et elle demeurait ainsi, main tendue et cœur ouvert, plus vulnérable qu’elle ne l’avait jamais été, plus fière aussi, peut-être, comme si l’aveu n’était qu’évidence, et finalement, qu’un envol.

« Je suis revenue parce que j’aime te voir sourire, j’aime quand tu râles sur tes registres, j’aime quand tu es dans mes bras, j’aime quand tu lèves les yeux au ciel quand je dis n’importe quoi, j’aime quand tu comprends ce que je ne dis pas, j’aime quand tu danses avec moi. »

Et ça, Antiva n’avait pas été capable de le lui enlever. Antiva avait tout détruit, tout emporté, tout massacré, mais pas ses souvenirs, pas ce que son cœur pouvait ressentir, pas ce que son esprit se tuait à vouloir avec tellement de force. Andra était morte à Antiva, oui. Mais …

« Je suis morte à Antiva mais … j’ai choisi la vie, à Antiva. Et la vie, c’est … de prendre le risque d’être devant toi, sans arriver entièrement à rester debout sans me retenir à un mur, à te regarder, et à savoir que j’ai envie de rester. »

Ultime regard face à l'abîme. Et le saut, aérien, courageux. Le choix, accepté, de tenter une dernière fois de se saisir du présent, et d'observer l'avenir.

« Alors, je suis là, à te demander … de me laisser t’aimer, comme je le peux, et autant que tu le voudras. »


S’il te plaît, dis-moi de ne pas partir.
Demande-moi de rester.
Parce que je peux te promettre de t’aimer.
Hortense Harimann
Hortense Harimann
Salonnière de l'Acanthe
Salonnière de l'Acanthe
Hortense Harimann
Personnage
Illustration : Un abîme géant, cet abîme est mon cœur - Vera 011f5ca56cc03348d7b6ea2f5afdfaf0

Peuple : Humain
Âge : 36 ans
Pronom.s personnage : Elle
Occupation : Ancienne prostituée, désormais propriétaire d'un salon
Localisation : Hortense passe l'essentiel de son temps dans son établissement, l'Acanthe
Pseudo : Velvet
Pronom.s joueur.euse : Elle
Crédits : Nightingale, Anastasiia Horbunova ; Delilah Copperspoon, Dishonored 2 (winterswake & Sergey Kolesov & coupleofkooks & KOHTLYR) ; Nathie (signature)
Date d'inscription : 09/07/2021
Messages : 754
Autres personnages : Marigold
Attributs : CC : 11
CT : 11
End : 15
For : 11
Perc : 15
Ag : 13
Vol : 15
Ch : 15

Classe : Civile, niveau 2
Feuille
Joueur

 

https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t127-vera-and-the-scre
Un abîme géant, cet abîme est mon coeurFt. Andra Valheim


La tempête roule encore, houle implacable qui la submerge, silencie les assauts timides d’un cœur qui se lamente. « Va-t-en. » Impitoyable, la sentence n’en demeure pas moins appropriée : la confession de sa maîtresse a pointé la faiblesse dont Vera s’est rendue coupable, sous le couvert d’une liaison légère dont elle s’est rigoureusement employée à nier l’évidente emprise. « Tu te lasseras. » La colère est sourde à présent - lame dans les entrailles - et les regrets aigres. Idiote. Idiote. Idiote, mise en échec par sa propre affection. N’a-t-elle pas mieux à faire que de ramper aux pieds d’une femme ? L’orgueil palpite, et Vera s’y réfugie avec l’empressement d’une désespérée, s’accroche à ce sursaut de fierté comme un naufragé se cramponne aux vestiges de son bâtiment. La révolte plutôt que la chute. La déloyauté plutôt que le baiser cuisant de sa propre honte. Honte : de s’être laissée séduire, d’être tombée dans la toile, celle-là même qu’elle s’est si souvent amusée à tisser - araignée infidèle ; honte : d’avoir tressailli, lorsque l’absence était devenue cruelle et l’évidence intolérable ; honte, enfin : de s’être réjouie du retour inespéré d’une femme qui n’était rien et n’aurait dû rien être, mais qui demeurait, encore et toujours, malgré le désespoir de ses appels. « Va-t-en. S’il te plait. »

Elle risque un regard en direction de l’ombre, yeux cherchant malgré elle le sien. Les larmes qu’elle y trouve l’indisposent autant qu’elles la blessent. Et la gorge se serre, alors que les mots s’agitent dans sa bouche. Imprécations diverses - « Va-t-en ! N’as-tu pas entendu ? Je te demande de partir. Va-t-en ! » - qui ne dépassent pas les murmures du cœur. Ne reste que l’espoir, terrible, cruel, que la carcasse enfin s’agite et qu’Andra, finalement, disparaisse. « Hâte-toi. » Vite, avant que le fiel ne se répande… Vera sait comment effrayer les bêtes réticentes. Les mots comme des poignards…

« Je peux partir, si tu le désires. Mais avant, je vais te répondre. » Elle tonne de sa voix grave, la morte qui ne l’est plus. La maquerelle sent l’appréhension alourdir ses entrailles. Elle n’aime pas les compromis. « Non. Ce n’est pas nécessaire. » Les explications ne l’intéressent pas : la plaie est déjà ouverte, et la chair noire de la souillure d’un Enclin qui les poursuit. À quoi bon s’obstiner ? Les intentions ne comptent plus. Ne peuvent-elles pas simplement en finir ? Vera songe le lui intimer, s’apprête à le faire, mais Andra poursuit : « Je suis revenue parce que … Parce que, à Antiva, je n’ai pensé qu’à toi. Et quand j’ai dû choisir entre … partir, ou rester, j’ai choisi ta voix. »

« Ne fais pas ça. » Les muscles se tendent sous la robe de velours, tandis qu’à nouveau, Vera se détourne. Le piège est là, devant elle, entre ces lèvres familières aux reliefs désirés, qu’elle désespère de faire taire. Les graves ricochent, abîment l’armure - carapace de peur et de regrets. Je n’ai pensé qu’à toi. La lame glisse sur la plate, crisse férocement sur l’émail de sa détermination. Andra est douée avec les mots - trop pour leur propre bien. « Laisse-moi te conter ce qui n’existe pas, Savourer un monde qui ne sera jamais, Celui où j’aurai pu dire que je t’aimais, Celui où… »

« ― Andra… Le prénom de sa maîtresse roule péniblement sur sa langue, alors que la maquerelle croise les bras sur sa poitrine. Du coin de l'œil, toujours fuyant, elle perçoit la mage porter la main à son pourpoint.
C’est tout ce que j’ai ramené d’Antiva. »

L'ambiguïté de ce tout attire son regard ; une seconde d’égarement qu’elle regrette à l’instant où ses yeux rencontrent l’éclat argenté de l’anneau au creux de la paume d’Andra. « Non, non… non… » s’entend-elle geindre dans un souffle. Mais la garde, déjà, poursuit, insensible à sa détresse qu’elle pilonne de son affection. Et les coups fusent, redoutables, sanglants, délabrent encore davantage l’armure alors que gémit la conscience. La raison se veut implacable, malgré les assauts répétés de l’acharnée : il n’y a rien pour elle entre ces bras efflanqués, si ce n’est la douleur de l’absence et les ténèbres de son cœur. « Laisse-la partir. Tu n’es pas faite pour cela. » Assurément, et comme tant d’autres choses ! La vie a laissé ses traces, malmené l’enfant au point de tordre la femme. Engagement aux allures de couperet…  

Tant que tu le voudras.

Il y a une porte derrière la formule, une échappatoire à laquelle se raccroche l’esprit alors qu’un nouveau « Va-t-en… » lui brûle les lèvres. Tant que tu le voudras. L’humilité de la tournure interpelle la matrone, tandis que remontent les échos d’une autre discussion, menée quelques mois plus tôt, dans l’intimité de son boudoir. Un choix anodin mais, déjà, la modestie de l’âme : s’effacer derrière la volonté de l’Autre, ne jamais s’imposer, malgré les tiraillements de l’envie, les hurlements du moi et le risque, conscientisé et accepté, de voir ses aspirations déniées. Tant que tu le voudras. Andra lui offre un pouvoir qu’elle n’est jamais parvenue qu’à arracher, dans son microcosme de violences et de domination.

L’armure craquèle.

« Ça ne change rien. » La raison se rebelle face à la douceur de ce je qui s’éclipse, menace d’emporter avec lui les - saines - angoisses qui la retiennent. Les aveux sont émouvants, pourtant : « Je suis revenue parce que j’aime te voir sourire. » ; quelle bêtise !... qu’elle se lamente de partager. Les larmes versées ne la trompent plus, pas plus que les rires offerts un peu trop généreusement, ou la chaleur dans sa poitrine - pour un regard, un sourire, un soupir. « Nous sommes deux imbéciles, ma chérie. » La tendresse du constat chasse la colère qui l’étreignait jusqu’alors, tandis que les yeux, tristes, retrouvent la gueule abîmée. Échange muet, d’où point l’affection si longtemps refoulée, comme un fleuve sortant de son lit. Mais la fatalité demeure…

« À quoi bon ? » Il y a de la lassitude dans la voix, un éclat de douleur et une once, involontaire, de reproche. Cette lutte contre elle-même l’a épuisée. « Il te faudra repartir. Dans deux jours, deux semaines, deux mois… Et alors, quoi, si je ne suffis plus ? » À quoi bon, Andra ? « Et quand bien même tu devais revenir… » Elle s’interrompt, glisse son regard sur l’anneau, toujours au creux de sa main. « Je ne peux pas. Pas avant… » La langue trébuche, piquée de bile. « Il y a des choses que tu ignores. Des choses qui me concernent et qui pourraient te concerner aussi, si… »  

Un soupir.
Ses yeux ne quittent pas le sien.
Puterelle et garde.
Mages.
« Si tu veux encore de moi. »

« Mais pas ce soir. J'ai besoin de temps. » Ce n’est pas ce qu’elle veut entendre, mais bien tout ce que Vera, pour l’heure, peut lui offrir. Une trêve dans la douleur, qu’accompagne une main tendre, sur la joue de la mage. « Et toi, de repos. »

Doucement, elle s’écarte, glisse ses doigts autour de ceux d’Andra, qu’elle referme autour de l’anneau, sans le toucher.

« Dors ici, ce soir. »

Reste un peu.
Encore un peu.




Adore her. She demands it.

She dreams of all the world bowing, but more than that. Loving her. Breathing her name.

Vera devise en #993366
Invité
Invité
Invité
Anonymous
Personnage
Feuille
Joueur

 

A quoi bon ? Les mots résonnèrent, lourds de tout ce qu’ils évoquaient, et chutèrent douloureusement dans le silence laissé par les dernières paroles d’Andra. La gifle, informulée, partit avec violence et écrasa son âme sur sa joue. Un éclat rougeoyant brilla dans son œil unique, et pour la première fois depuis le début de leur relation, la mage sentit son dos se raidir et elle toisa de sa haute taille, de cette allonge supérieure, la femme qui lui faisait face, laissant transparaître le goût amer de l’orgueil blessé et celui, bien plus dangereux, de la colère teintée de ressentiment. Pour la première fois depuis plusieurs mois, elle sentit ses muscles se tendre et sa mâchoire se contracter sous l’effet d’un sentiment âcre, puissant, et une fureur poisseuse se déversa dans ses veines, accentuant le noir de la pupille à la profondeur d’encre et grandissant un peu plus la silhouette drapée dans sa dignité foulée aux pieds. Pire, elle dut se mordre la lèvre inférieure pour réfréner la litanie impérieuse qui enflait et menaçait de tout emporter dans une moue méprisante qui n’aurait rien amené de bon, sinon le libre cours à une rage indicible dont elle se savait capable, et qui n’aurait pas manqué de briser définitivement non seulement le présent, mais également le passé. Et en dépit des regrets et de la douleur, si la garde pouvait concevoir le rejet, il lui eut été désagréable de devoir chasser également les souvenirs agréables qui pourraient demeurer. Vera avait besoin de temps ? Elle n’en avait pas à lui offrir. Pas avec l’Enclin à leurs portes, pas avec les âmes des morts qui pesaient trop lourdement sur ses épaules, pas avec le compte à rebours qui menaçait son existence … pas avec sa propre volonté, farouche, de vivre enfin son présent et de ne pas regarder un avenir dont elle connaissait le paysage : celui contenu dans un œil hideux, aperçu dans les tréfonds des Cents Piliers, et qui charriait la mort et la dévastation.

A quoi bon ? La question avait du sens. Elle la prenait en pleine face, comme un gant jeté à son visage, une insulte mal dissimulée. A quoi bon lier sa vie à la sienne ? A quoi bon s’encombrer d’une mage, d’une garde, d’une borgne ? Elle l’avait dit : elle n’avait rien à offrir, hormis elle-même. Et ce n’était pas suffisant. Parce qu’à quoi bon ? Les trois mots tournaient, encore et encore, dans son esprit, et l’amertume augmentait. Elle sentit son poing libre se contracter à son tour, et l’accès de violence qui la traversa l’aurait effrayé, dans d’autres circonstances. Soudainement, la tendresse qu’elle apercevait dans les yeux de Vera lui était insupportable, parce qu’elle lui rappelait qu’elle n’était pas assez. Que le présent qu’elle pouvait donner était compté, qu’une vie à ses côtés n’était pas suffisante. Qu’elle n’était pas, et ne serait jamais assez. Jeune, elle n’avait pas été assez belle. Puis, quand elle avait été douée et puissante, ça avait été assez. Plus âgée, elle n’avait jamais été assez : trop libre, trop garde, trop mage. Elle le voyait dans les yeux des autres, dans leurs excuses, dans leur pitié parfois. Alors elle avait pris les devants, préféré le secret pour ne pas encombrer. Mais chaque soir à se faufiler dans la chambre à l’étage ou à louer un lit dans une auberge, chaque rendez-vous à l’abri des regards, chaque soirée occupée à se jouer des autres était un rappel féroce qu’elle n’était pas, et ne serait jamais assez pour que quelqu’un l’accepte entièrement. Parce qu’elle n’était rien. Seulement des ennuis potentiels. Seulement un sceau d’infamie dont l’unique grâce était de mourir, un jour, dans la solitude et l’anonymat des Tréfonds.

A quoi bon ? La question était cruelle. Elle la vomissait, avec toute la force de sa rébellion mentale, et de cet œil qui se durcissait, autant que l’expression, redevenue de marbre, avec cette neutralité qui l’avait si souvent protégée, mais qui ne parvenait pas à emporter ce maudit œil unique qui jugeait avec toute sa hargne celle par qui la souffrance était venue. A quoi bon, certes, supporter l’opprobre d’une relation avec une ancienne prostituée, qui ne lui apporterait sans doute que moquerie ? Andra brûla de lui retourner l’interrogation, avec une vicieuse bassesse dont elle ne s’étonna même pas. Elle savait jusqu’où elle pouvait pousser, quand quelqu’un avait l’audace d’appuyer sur ses faiblesses. Un sourire torve manqua flotter sur son visage, qu’elle rattrapa de justesse. Mais elle tempêta avec virulence dans son esprit : « Il y a des choses que je ne connais pas ? Qui crois-tu que je sois, Vera ? Penses-tu réellement que je sois une de ces oies blanches que tu séduis et qui n’ont jamais rien fait d’autre de leur vie que de soupirer derrière tes jupons ?"

Qui crois-tu que je sois ?

A quoi bon ? La réponse lui brûlait les lèvres, lui déchirait l’estomac, et la main de Vera sur sa joue l’indisposait au plus haut point, comme le rappel que ses sentiments n’étaient pas suffisants. Qu’elle n’était pas assez. Encore. Et l’orgueil, à nouveau, éclata dans sa poitrine. Coup de grâce : la main aux doigts tant aimés se referma sur la sienne, emprisonnant l’anneau et son fer froid dans sa paume. Son œil ne quitta pas Vera tandis qu’elle l’invitait à rester. Et l’appel résonna comme de la pitié qui lui écorcha les oreilles. Non. Elle ne resterait pas. Pas pour s’entendre dire plus tard qu’il n’y avait pas de place pour elle. Pas pour savoir qu’elle n’avait pas été assez pour obtenir autre chose qu’un "A quoi bon.". Oh, après tout, c’était le jeu. Elle avait joué, et perdu. Elle avait accepté, enfin, d’être honnête, d’admettre consciemment vouloir davantage que ce qu’elle avait. Et elle était fière d’avoir eu ce courage, d’avoir honoré les promesses faites à Antiva. Mais il y en avait d’autres, là-bas, qu’elle devait respecter. Trop de sang avait coulé pour qu’elle n’ait pas certaines choses à accomplir. Elle ne s’encombrerait pas d’une vie d’attente. Elle refusait de ne pas être assez. Parce qu’elle méritait mieux. Parce qu’elle méritait plus, et cette réalisation brutale la calma étrangement. Elle pouvait concéder beaucoup, parce qu’il était énormément de choses qu’elle était incapable d’offrir à une femme. Mais pas, jamais, plus, de ne pas être assez.

A quoi bon ? Elle l’admit : sa mort annoncée rendait la question pertinente. Qu’elle le veuille ou non, elle était condamnée à une échéance inconnue, mais qui surviendrait immanquablement. Et cela faisait dix ans qu’elle avait passé l’Union et trempé ses lèvres dans le calice maudit, que la souillure rongeait son corps et dévorait son sang. Au mieux, il lui restait vingt ans. Au pire … Elle ne le saurait que le jour où l’Appel la prendrait. Ce pouvaient être cinq ans, dix ans … ou trois semaines. Et puis, il y avait l’Enclin. Antiva n’était qu’un début, écrit en lettres de sang à la surface de Thédas. Cependant, cela valait pour tout Starkhaven. Ceux qui n’avaient pas vu la mort en face ne s’en rendaient peut-être pas compte, mais ils étaient tout autant des cadavres en sursis. Néanmoins, cela avait du sens, et elle se sentit soudainement vidée, en se rendant compte qu’effectivement, elle ne pouvait être assez, tout simplement parce qu’elle était incapable d’offrir autre chose qu’un présent. Et c’était douloureux à en crever. Est-ce qu’elle pouvait en vouloir à Vera ? Oui. Mais … Tant que tu voudras avait-elle dit. Tant pis, après tout. Elles avaient été heureuses, sans se le dire. N’était-ce pas son lot ? La certitude de l’inéluctable l’écrasa. Et une once de faiblesse lui vint, qui manqua l’étourdir. Elle pourrait rester mais … Sa fierté se rebella à cette idée. Pas de consolation. Elle ne le supporterait pas. Andra avait toujours préféré les adieux : s’il n’y avait pas, plus assez … Mieux valait préserver les souvenirs. Sa main se leva, soulevant celle de Vera qu’elle agrippa doucement, pour la porter à la hauteur de ses lèvres – sans se baisser, cette fois. Elle l’effleura, d’un baise-main aérien, parfait, et chuchota contre la peau :

« A quoi bon ? Parce qu’on le pouvait. »

Parce qu’on le pourrait. Parce qu’on aurait pu. Être ensemble. Être heureuses. Tenter de l’être. Se tromper sûrement. Mais il y avait tant de cadavres dehors, tant de solitudes malheureuses, que trouver une personne qui pourrait, qui aurait pu, qui pouvait … Longtemps, elle avait été de ces êtres qui pensaient se satisfaire de rencontres éphémères, trop absorbée par un autre idéal. Mais Antiva était passée par là. Antiva avait été … ce catalyseur de vies où pendant une semaine, elle n’avait pu s’empêcher de constater ce qui importait, et ce qui devenait futile, quand l’enfer déferlait sur le monde et que les yeux se fermaient lorsque la chair était broyée par la masse de l’engeance. Personne ne mourrait avec le souvenir de la gloire, de la fortune, de la liberté aux lèvres : chacun mourrait avec ses fantômes. Avec une fermeté délicate, elle se dégagea des mains de Vera, de leur chaleur, pour retrouver la solitude de son propre corps sans ajout extérieur. Un dernier regard autour de la pièce, dans les recoins qui éclataient dans sa mémoire : là, l’ombre d’un peignoir un peu trop observé. Ici, la silhouette d’une écritoire empruntée. Et derrière, les draps avec ce parfum de frais, puis de sueur et de stupre. Elle avait toujours préféré cette deuxième flagrance, tandis que les vapeurs de la jouissance se dissipaient en ouvrant la fenêtre, et que son corps longiline s’encastrait dans l’ouverture pour lorgner la calme vie nocturne sous le Laurier, à n’entendre rien d’autre que les bruits de pas sur les pavés et les échos des existences tout autour, ignorées et ignorantes qu’elles étaient écoutées, observées, au troisième étage, avant que des bras souples ne se glissent contre son cou et qu’elle se retourne pour enlacer leur propriétaire et la ramener aux draps froissés et à l’odeur de Vera contre ces derniers. Les derniers flamboiements de colère la quittèrent, et au calme succéda la tranquille assurance d’avoir fait ce pourquoi elle était venue. Elle aurait tout le loisir, dans le secret de sa chambre dépouillée, à la Commanderie, de laisser éclater les sentiments qui lui entravaient la gorge. Là … Cela ne valait pas la peine d’abîmer, de s’abîmer. Elle avait passé l’âge de vouloir blesser autant qu’elle l’était. Restaient les souvenirs. C’était mieux que rien. C’était assez. Enfin, ça ne l’était pas, mais c’était à la hauteur de ce qu’elle était : pas assez. Alors, elle devrait s’en contenter. Un sourire flotta sur ses lèvres, et elle se détourna enfin pour s’avancer vers la porte.

« Si … ». Pourquoi est-ce que cette maudite locution éclata soudainement dans son esprit, traîtreusement, lui rappelant ce peut-être insidieux, cette fente lumineuse dans la dénégation de sa maîtresse ? Pourquoi s’arrêta-t-elle dans son geste, et sa main se referma sur du vide ? Pourquoi est-ce qu’elle ne parvenait pas à effectuer un autre pas ? Idiote, qui hésitait ainsi, à la merci de ce sentiment obsédant qu’il y avait peut-être un monde, si elle écoutait Vera, où elle serait assez. Qui crois-tu que je sois ? avait hurlé sa conscience. Je me moque de qui tu es, fut son corollaire. Et cela, depuis le début. Parce qu’Andra avait aimé Vera pute, et que ni les traces d’Orlais et d’un passé où elle savait parfaitement tenir le rythme d’une valse orlésienne réputée ne pouvaient effacer cela. Parce que Vera … parce qu’elle avait été capable de l’accepter mage, et garde, et que les rigoles de sang de son passé et de son présent ne charriaient peut-être pas pire repoussoir que ceux-là. L’image de Dolores sur son lit s’imposa à elle. Est-ce que ça faisait mal de mourir ? Pas autant que de vivre. Mais qu’est-ce que c’était bon, de ressentir cette douleur, parce que cela signifiait qu’on n’était pas encore un cadavre devant sa maison, comme l’avait été Bennett, déterminé à défendre une morte qui ne l’était pas tout à fait. Et Jorg, et Raffaele, et tous ces morts pour qu’elle vive …

Merde.

Elle leur devait d’essayer. Elle leur devait de vouloir le présent. Et si cela ne suffisait pas … Tant pis. Parce que Tant que tu voudras appelait Tant que je voudrais, et qu’après cela, elle pourrait ranger l’anneau en paix, et cesser de sentir sa brûlure contre sa paume. Elle aurait été au bout de ce qu’elle pouvait, de ce qu’elle était capable d’endurer, et n’aurait plus ni regret ni remord. Elle se retourna avec brusquerie, et combla à nouveau l’espace entre elles, d’un pas étrangement déterminé, malgré les tremblements qui agitaient l’assise délicate de ses jambes fatiguées. Son œil, une ultime fois, se posa sur Vera, chercha son regard gris, et tenta de transmettre toute la franchise qui se dégageait de la mage, toute sa fierté aussi, tandis qu’elle ouvrait finalement la bouche. Et la question résonna, simple et directe :

« De combien de temps as-tu besoin, pour savoir si tu veux un présent avec moi ? »

Parce que nous n’avons pas d’avenir.
Parce que je ne resterai pas pour cet avenir inexistant.
Parce que je ne resterai pas pour le passé.
Mais parce que je peux rester pour un présent.
Hortense Harimann
Hortense Harimann
Salonnière de l'Acanthe
Salonnière de l'Acanthe
Hortense Harimann
Personnage
Illustration : Un abîme géant, cet abîme est mon cœur - Vera 011f5ca56cc03348d7b6ea2f5afdfaf0

Peuple : Humain
Âge : 36 ans
Pronom.s personnage : Elle
Occupation : Ancienne prostituée, désormais propriétaire d'un salon
Localisation : Hortense passe l'essentiel de son temps dans son établissement, l'Acanthe
Pseudo : Velvet
Pronom.s joueur.euse : Elle
Crédits : Nightingale, Anastasiia Horbunova ; Delilah Copperspoon, Dishonored 2 (winterswake & Sergey Kolesov & coupleofkooks & KOHTLYR) ; Nathie (signature)
Date d'inscription : 09/07/2021
Messages : 754
Autres personnages : Marigold
Attributs : CC : 11
CT : 11
End : 15
For : 11
Perc : 15
Ag : 13
Vol : 15
Ch : 15

Classe : Civile, niveau 2
Feuille
Joueur

 

https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t127-vera-and-the-scre
Un abîme géant, cet abîme est mon coeurFt. Andra Valheim


La tendresse a disparu au fond de l'œil miraculé - comme un soleil qui s’éteint. Il fait froid, désormais : l’étoile est morte, soufflée par le verbe. Trop maladroit ou trop juste ? Vera l’ignore, perdue au milieu de cet océan de ténèbres glacées. Colère et mépris. Leur morsure est nouvelle, évoque en elle quelque terrible abysse. Un gouffre béant, qu’elle contemple en silence, les entrailles figées. Oh, qu’elle se trouve laide dans ce regard sévère ! Plus laide qu’elle ne l’a jamais été. Et ce reflet la blesse, comme les malédictions qu’elle devine sur les lèvres muettes. Les mots, pourtant, ne viennent pas, pas plus que les sourires, jadis offerts en quantité. Ne demeure que le silence, cruel, amer, et la certitude, terrible, d’un crépuscule qui s’achève. « Voilà ton œuvre. »

Les remords la suffoquent un instant, alors qu’Andra, enfin, s’ébranle. Lentement, dans un écho douloureux de cet autre soir où Orlaïs avait été leur scène, elle saisit l’une de ses mains pour la porter à ses lèvres. Le souffle caresse la peau, sans que la bouche, toutefois, ne la rejoigne pour y sceller son affection. Et, achevant là ce que le coeur a déjà pressenti : « À quoi bon ? Parce qu’on le pouvait. »

La morte se dégage de ses mains, tandis que son corps appelle désespérément le sien. Gorge qui se serre, sans que ne coulent davantage les larmes. À quoi bon ? La pudeur s’unit à la fatalité, et la carcasse s’immobilise. Elle ne la suppliera pas, ne se jettera pas à ses pieds. Le monde brûle dehors, mais elle aussi se consume : de peur et de colère, d’ambitions et de rancœurs. Feu vorace, qui dévore et détruit. « Ne te retourne pas. » implore la raison, alors que s’ébroue l’âme : « Regarde-moi encore un peu ! Comme autrefois. Rien qu’un peu… » Mais Andra, déjà, s’éloigne.

« Voilà ton œuvre. »
C’est sans doute mieux ainsi.
Un battement de cils, pour ravaler les assauts d’un chagrin qui déborde. Elle contemplera les ruines plus tard - lorsque la solitude aura regagné la chambre. Apnée.
Mais la porte ne s’ouvre pas.

Vera observe sa maîtresse s’arrêter sur le seuil, fatum suspendu à cette main qui ne trouve pas de poignée. Alors quoi ? Secondes aux allures d’éternité, au creux desquelles la prudence musèle les assauts du cœur ; Andra finalement, se retourne et, de quelques pas maladroits, regagne le champ de leur tragédie. Et l'œil, à nouveau, irradie.

« De combien de temps as-tu besoin, pour savoir si tu veux un présent avec moi ? »

Combien de temps ? La question la soufflette, pulvérise les remparts de son renoncement, sans qu’aucune réponse claire, cependant, ne se substitue au silence qui les écrase désormais. Combien de temps ? « Ce n’est pas… » Si simple, brûle-t-elle de compléter, sans le faire. Jeu d’ombres dangereux : Vera sait la fierté derrière la volte-face, sous le sursis si douloureusement offert. Andra, elle le devine, ne souffrira d’aucune dérobade. Et pourtant…

Et pourtant, ce n’est pas si simple. Renoncer le serait davantage.
Mais la question demeure.
Combien de temps ?
Combien de temps, Vera ?

« Je ne sais pas. » Les mots sonnent mal dans sa bouche, lui prêtent des airs indécis qu’elle ravale d’un soupir. « Ce n’est pas… » ce que je voulais dire. Mais l’esprit s’agite et les phrases butent, se mélangent et les oreilles sifflent. Combien de temps ? « Tu tournes la chose comme s’il s’agissait d’un caprice. » Il y a des reproches dans la voix, qui monte malgré elle. « As-tu seulement conscience de ce que tu demandes ? Tu étais morte, bon sang ! Morte, et en train de pourrir… » Cadavre anonyme à la peau violacée. Elle n’avait même pas eu de tombe sur laquelle se recueillir. Juste ses cauchemars et ses poèmes. « Ne peux-tu pas… » me laisser du temps ?

Combien de temps ? « Il te faudra repartir. Dans deux jours, deux semaines, deux mois… »
Il y a des templiers dans les rues et des charniers à Antiva…
Alors combien de temps, Vera ?

La colère meurt sur ses lèvres, alors qu’éclate ce réel un instant écarté. Et son corps, soudain, lui semble lourd, si lourd… « À quoi bon ? » La question demeure, mais le prisme est différent désormais. Vacuité vertueuse. Qu’importe les fantômes lorsque le monde agonise.

Qu’importe les fantômes lorsqu’elle la regarde.

« Assieds-toi, s’il te plaît. »

Un murmure, et ses armes à ses pieds.



Adore her. She demands it.

She dreams of all the world bowing, but more than that. Loving her. Breathing her name.

Vera devise en #993366
Invité
Invité
Invité
Anonymous
Personnage
Feuille
Joueur

 

TW : Toxicité


Le silence enflait, et chaque seconde avait des allures de sentences à perpétuité. Andra s’accrochait comme elle le pouvait aux dernières forces qui lui restaient, pour maintenir sa posture debout, malgré l’épuisement et la douleur qui la rongeaient. Et, dans le visage de Vera, elle se surprenait à entrevoir le double de sa propre face creusée et hâve, tendue par les émotions éperdues comme la fatigue souffreteuse. Elle avait caressé du doigt ce moment, dans les quelques pensées qu’elle s’était autorisées, à la fin d’Antiva, rêvassant doucement à ce qu’aurait pu être ce présent qui se dessinait tout en aspérité, et non en ondulations délicates comme elle aurait aimé que l’amour le soit. Idiotie évidente : deux femmes aussi heurtées ne pouvaient que taillader le cœur de l’autre, un coup de couteau à la fois, plutôt que d’être capables de l’embrasser pleinement. De s’embrasser entièrement. Et le pire, c’était qu’en voyant la souffrance sur le visage de Vera, Andra sentit une once de satisfaction coupable, perverse, en se disant que puisqu’elle avait si mal, il n’y avait pas de raison pour que son amante ne ressente pas la même chose, comme un ultime partage, un dernier râle d’agonie, qui eut été bien plus joli s’il s’était paré des atours du plaisir, comme avant. Mais hier était perdu dans les décombres d’Antiva, aujourd’hui sombrait dans les ruines de leurs cœurs, et demain s’abîmerait dans les restes de leurs souvenirs ébréchés. Elle aurait dû partir. Elle aurait dû s’enfuir dans la nuit noire, la laisser l’engloutir, pour ne plus revenir. Laisser derrière elle les copeaux de son myocarde brisé, et sentir les larmes couler, sans se retourner. Abandonner ses regrets, et n’accepter que la doucereuse consolation de la fin approchant, dans la gueule d’Andoral. Partir, loin, très loin d’un avenir dont il ne restait rien, hormis des nuages crevant comme des chiens.  Pourquoi alors sentait-elle son corps se tendre vers Vera, et le muscle battant dans sa poitrine cogner furieusement, comme s’il espérait encore, comme s’il espérait toujours, comme s’il ne parvenait pas à s’empêcher de l’aimer, et de vouloir qu’elle l’aime en retour, comme s’il s’accrochait à cette folie, qu’il existait un monde où elles auraient pu être heureuses, au moins un peu ? Pire, pourquoi ne parvenait-elle pas à chasser entièrement l’envie de s’approcher, de prendre l’autre femme dans ses bras, de chuchoter dans son cou tout ce qu’elle n’arrivait plus à lui dire, de sentir sa chaleur contre elle ? Pourquoi n’arrivait-elle pas à cesser de vouloir, quand il eut été si simple d’attendre sereinement le refus, puis d’enfin s’en aller, et accepter qu’elle n’était pas femme à être aimée ?

Et cette incertitude qui tombait, pavé dans l’océan qui semblait les séparer, et qui l’éclaboussait de son incapacité à décider, chaque goutte acide ruisselant sur sa peau cloquée par la douleur de ne jamais obtenir la franchise d’un sentiment qui lui était refusé. Elle l’encaissa, une fois encore. Elle observa Vera se débattre avec sa propre confusion, avec les mots qui venaient difficilement, avec ces hésitations qu’elle avait si peu l’habitude d’entendre, chez la femme si sûre d’elle, si calculée dans ses mouvements, ses intentions, ses yeux gris qui jugeaient le monde autour d’elle avec la même dureté que les regards qui lui étaient adressés, et qui avaient eu le malheur de la faire chavirer doucement, une confidence à la fois, un abandon à la nuit, un regard à chaque fois qu’elle la rejoignait la nuit et la quittait le jour. Pourquoi est-ce que la tendresse revenait crépiter dans son corps, au bout de ses doigts, en la voyant ainsi ? Pourquoi était-elle sensible à cette vulnérabilité rauque qui perçait, y compris sous l’éclat de la voix qui s’éleva soudain, à la mesure de la peine infligée, dont elle n’avait sans doute pas pris pleinement conscience ?

Un éclair – ô douleur fulgurante ! Elles ne pouvaient se comprendre, parce que si le temps avait fui Andra, il n’avait été qu’une infinie litanie pour Vera. Antiva était si proche dans son esprit, quand sa maîtresse avait eu le temps de vivre, pendant qu’elle était en train de ne pas mourir. Trois semaines, c’était peu. Trois semaines, c’était un deuil qui éclatait, dévorait, consumait, s’éteignait. Trois semaines les séparaient, et chacune comptait pour une existence. Dans la première, il y avait les aveux qui avaient été murmurés peau à peau, dans des mots qui se passaient de syllabes, d’un corps à l’autre à défaut d’un cœur à l’autre. Dans la seconde, il y avait la douce connaissance d’une possibilité qui se formait, morte-née, d’une histoire qui n’avait pas encore commencée, et dont les points d’interrogation s’étaient exclamé leur désarroi soudain par des points définitifs, sans suspension ni tirets, juste des points laids, noirs et trop ronds, sans aucune aspérité auxquelles s’agripper pour ne pas sombrer, seulement la certitude d’une fin amère. Dans la troisième, il y avait l’acceptation que l’amour ne serait jamais. Et dans ce 20 Longnuage, la réalisation qu’un gouffre les séparait, celui qui avait englouti Antiva. Parce qu’Andra avait vécu plus intensément que jamais durant les jours de l’attente d’une fin qui n’était pas venue, et qu’elle avait vue, qui s’était imprimée dans sa chair et dans son âme, en lettres de sang et de crasse, celles qui composaient les regrets d’une survivante et suintaient à travers le ressentiment d’une laissée en arrière, laissée pour compte, libre de tout compte et comptant les dettes qui s’étaient inscrites peu à peu dans son cœur, à son insu, et dont elle était désormais la seule à porter l’usufruit. Andra s’était battue pour vivre, à Wycome, dans ce long coma, abandonnée à son sort car impossible à sauver, et pourtant incapable de ne pas périr. Mais elle ne s’était pas battue pour continuer à vivre, comme Vera perdue au milieu de l’Enclin, des événements de Starkhaven, et de sa solitude. Elle n’avait pas vu les jours défiler, les heures se recroqueviller, les secondes s’immoler dans la morne lenteur d’une existence entourée de noirceur. Elle n’avait pas ressenti cette peine odieuse, presque absurde, à l’annonce d’une mort qui n'en était pas une, d’une disparition loin, si loin de la Minandre et de ses embruns près desquels elle aurait tant voulu emmener Vera, un jour, pour lui chuchoter de jolies caresses et laisser ses mains épeler des mots doux, sous le couvert de saules pleureurs qui souriaient pourtant aux amours discrètes. Andra n’avait pas connu la douleur du deuil, seulement le poids de l’espérance, la réalisation de sentiments sans avenir, et puis … l’espoir, brutal et fou, la certitude qui succédait à la presque mort, l’envie sans concession de tout renverser, et l’absolue nécessité d’accomplir ce qui avait été laissé en suspens, parce qu’elle avait vu ce qui les attendait, et que le feu l’acier le sang les emportaient, pour ne laisser que ruine agonie et terreur. Alors, plutôt que de les subir, il y avait le désespoir évident de ne pas céder, et de tenter, dans l’intervalle avant la fin attendue, de connaître bonheur et paix. Au moins un peu. Sauf qu’il lui avait fallu mourir, pour en être capable. Alors que Vera avait dû vivre. La différence était de taille. La différence était insupportable. La différence crissait sous les reproches, sous la souffrance qui teintait chaque nouveau mot jeté à ses pieds, sous la compréhension, enfin, qui se nouait au creux des questions lasses.

L’ultime murmure vint, reddition attendue, espérée, pourtant si amère, et Andra sentit une émotion profonde la gagner, alors que l’invitation chuchotée était tout ce qui les séparait de la chute finale – de son propre départ, définitif cette fois. Les regrets face à ce qu’elle avait infligé à Vera, face à sa propre faiblesse, à ses démons qui la hantaient – et n’avaient pas besoin d’être dans l’Immatériel pour la faire trébucher – l’envahirent, ainsi que les remords. Mais après tout, elle n’avait jamais été capable de ne pas blesser les personnes qu’elle aimait. Elle n’avait jamais été capable de ne pas être une déception. Gamine quelconque, fille porteuse de la maudite magie, mage incapable de croire réellement dans sa damnation, partenaire volage, amante fuyante, amoureuse pas assez courageuse pour espérer surmonter les traumatismes qui l’enfermaient, amie futile, mentor incapable … Il n’y avait pas de raison que cela change. Il n’y avait pas de raison qu’elle réussisse quelque chose de bien. Parce qu’elle serait toujours prisonnière de son passé, du regard horrifié des siens, et de leur violence qui avait apposé sa marqué sur son corps, mais aussi sur son âme d’enfant, puis d’adulte. Vera avait raison d’avoir peur. D’avoir mal. De ne pas lui faire confiance. Parce qu’elle ne pouvait finalement pas promettre d’être suffisamment forte, toujours. Elle pouvait seulement lui jurer qu’elle espérait si fort, à ses côtés, qu’elle avait réussi à revenir de l’enfer. Et ça devait bien compter pour quelque chose, non ? Est-ce que c’était suffisant, de pouvoir, de vouloir ? Est-ce que … Est-ce que ? Les questions étaient sans réponse, parce que la réponse était Vera. La certitude enfla, et balaya tout. Son corps agit seul. Andra se vit avancer, entourer l’autre femme de son bras valide, l’attirer contre elle, et chuchoter enfin ce qui ne consolait pas, mais qui était tout ce qu’elle pouvait offrir :

« Je suis désolée. »

Elle la répéta, cette phrase qui n’avait pas de sens, cette phrase qui en avait tellement. Désolée de ne pas avoir été assez forte, désolée de t’avoir blessée, désolée d’être revenue, désolée de te vouloir malgré tout, désolée de t’aimer en dépit de tout, désolée de te faire encore du mal, désolée de ne pas avoir compris, désolée de ne pas être davantage. Elle était désolée de cette désolation qui les frappait, qu’elle avait causée, et de cette situation désolante, ne pouvait qu’assurer s’efforcer de construire la solitude lancinante qu’elle avait laissée derrière elle. Antiva était une terre brûlée, mais la sienne était à Starkhaven, et de son propre fait. L’étreinte était douce, malgré la douleur. Elle la relâcha pourtant, chercha les mots qui pourraient expliquer, n’en trouva aucun. Elle ne pouvait que dire qu’elle comprenait, au moins un peu, et qu’elle consentait à rester pour l’écouter, pour entendre l’abîme qui était du côté de Vera, les chaînes qui la retenaient à son tour. Elle s’aperçut que sa main s’était à nouveau glissée dans celle de son amante, comme si ses doigts ne parvenaient jamais tout à fait à se libérer de ceux de l’autre femme, comme s’ils cherchaient, sans même le vouloir, le réconfort de leur chaleur, la certitude qu’ils étaient encore capables de se lier, comme quand ils s’étaient mêlés dans l’ivresse des premiers soupirs, ou dans le silence des premiers fantômes. Elle ne la retira pas. Elle s’assit doucement, appuyant délicatement contre la paume pour faire en sorte que Vera l’imite. Et chuchota, finalement, la question qui la hantait :

« Si je n’étais pas partie … qu’est-ce qui te retiendrait ? »

Si je t’avais laissée m’aimer, est-ce que tu l’aurais fait ?
Hortense Harimann
Hortense Harimann
Salonnière de l'Acanthe
Salonnière de l'Acanthe
Hortense Harimann
Personnage
Illustration : Un abîme géant, cet abîme est mon cœur - Vera 011f5ca56cc03348d7b6ea2f5afdfaf0

Peuple : Humain
Âge : 36 ans
Pronom.s personnage : Elle
Occupation : Ancienne prostituée, désormais propriétaire d'un salon
Localisation : Hortense passe l'essentiel de son temps dans son établissement, l'Acanthe
Pseudo : Velvet
Pronom.s joueur.euse : Elle
Crédits : Nightingale, Anastasiia Horbunova ; Delilah Copperspoon, Dishonored 2 (winterswake & Sergey Kolesov & coupleofkooks & KOHTLYR) ; Nathie (signature)
Date d'inscription : 09/07/2021
Messages : 754
Autres personnages : Marigold
Attributs : CC : 11
CT : 11
End : 15
For : 11
Perc : 15
Ag : 13
Vol : 15
Ch : 15

Classe : Civile, niveau 2
Feuille
Joueur

 

https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t127-vera-and-the-scre
Un abîme géant, cet abîme est mon coeurFt. Andra Valheim


« Assieds-toi, s’il te plaît. » Il y a un gouffre à ses pieds, immense et sans lumière, une flaque de ténèbres qu’elle redoute d’approcher. Au creux de l’abîme, elle le sait, les monstres guettent. Elle sent leurs yeux morts sur sa chair affolée, entend les os claquer - clac, clac, clac ! - tandis qu’elle se penche au-dessus du précipice. Cadavres aux visages familiers, spectres mugissants et rêves brisés… Lui faut-il vraiment sauter ? Vera, après tout, a toujours préféré la fuite. D’Orlaïs, d’abord - dans cette carriole brinquebalante et anonyme, dont il lui semble entendre encore les roues battre le pavé ; puis des hommes, cet homme, et les femmes ; son fils, aussi ; et toutes ces vies caressées et invariablement repoussées, parce que l’Autre ne lui a jamais suffi, parce que l’Autre n’a jamais pu comprendre, la comprendre, les comprendre, ces monstres au fond de l’abîme.

Il y a un gouffre à ses pieds, et ce corps qui vient se presser contre le sien, ce bras qui l’attire, l’enserre. Un sursis. « C’est fini. ». Les ombres reculent - un peu - alors qu’elle se réfugie près de ce cœur qui palpite, l’irradie de sa chaleur - soleil. Doigts qui se referment autour du buste, s’accrochent aux épaules. Elle voudrait se fondre en elle. « Je suis désolée. » La voix d’Andra résonne, coffre brûlant qu’elle désespérait d’oublier ; un voeu misérable - celui qu’elle disparaisse, rejoigne le mausolé de ses regrets -, et une angoisse sincère - celle de la solitude survivant à l’oubli. « Je suis désolée. » répète-t-elle et les mots la pénètrent à mesure qu’elle réalise, ramassée contre son âme, que c’est bien là tout ce qu’elle attendait. Des excuses : pour le silence insupportable de son absence, et cette vie fracassée ; « Je suis désolée. » ; « Moi aussi. »

L’étreinte s’achève sans un mot. Pudiquement, Vera s’écarte, relâche doucement l’emprise de ses bras. Phalanges qui se frôlent ; Andra vient glisser sa main dans la sienne, tandis qu’elle s’installe au bout de ce lit, théâtre de leurs soupirs, de ses cauchemars, et l’invite, d’une pression tendre, à la rejoindre. Un regard - échange muet. « Le faut-il, maintenant ? » Oui. Elle le lit au fond de l'œil fatigué, dans la langueur des muscles abîmés, l’affaissement de la poitrine. La mort sur leurs talons…

Vera s’assoit au bord du lit.
Un murmure : « Si je n’étais pas partie … qu’est-ce qui te retiendrait ? »

Un bosquet anonyme. La carcasse déchirée d’un moulin. Les pierres sont humides - il a plu, ce matin -, rongées par les années, mais la jeunesse est sauvage. D’un bond, il s’élance : les mains agrippent, les pieds poussent. Monter, vite et haut, toujours plus haut, pour l’impressionner, elle, cadette moins téméraire. Froussarde ? Elle proteste : « Tu es un idiot ! » Des éclats de rire, quelques encouragements… Quand, soudain, la main se fourvoie, s’accroche au mauvais moellon. Pierres qui se détachent, comme les doigts à leur surface. Et le garçon glisse. Trop haut. Trop vite. Poupée de chiffon qui chute. Le sol se rapproche. Bientôt, l’impact…

Un hurlement.
Bras tendu, elle observe le corps qui se fige, suspendu dans les airs.


« Des fantômes. » Une confession piteuse aux allures d’évidence, qu’elle balaie d’un soupir agacé, alors que les mots, à nouveau, viennent à lui manquer. Mais comment nommer ce que l’on s’est juré de taire ? « Simplement. Elle comprendra. » Vera baisse les yeux sur les doigts au creux de sa paume, caresse d’un regard la peau meurtrie, souillée. Maudites. Oui. Elle comprendra. Alors... « Le temps ne les efface pas. Ni leurs visages, ni leurs noms. Ni le mien. »

« Béatrice… » La surprise, d’abord - d’Antoine et des autres. La défiance. Puis le chagrin sur le visage de sa mère. On l’isole - prudence : l’enfant est agitée - ; patriarche zélé : Montsimmard ou Ghislain ? Aux soldats de l’Ordre de s’en charger. Bientôt. Le message est parti, ils ne devraient plus tarder.

Et les os claquent. Clac, clac, clac.

« Il y a eu un incident pendant la procession. » Elle ne précise pas laquelle, portée par le flot de ses souvenirs. La marche, la foule, le bruit… Et ces caisses étranges, les plumes d’encre. Le lyrium, dans ses poumons, avait manqué la rendre folle. « Tout m’est revenu en plein visage, comme lorsque tu as allumé cette bougie, la première nuit. » Il avait suffi d’un regard pour que la mèche s’embrase. Le Voile avait tremblé. Vera aussi.

« ... confiance confiance confiance tu ne peux pas lui faire confiance confiance confiance Béatrice Béatrice elle va partir si tu lui dis Béatrice Béatrice Béatrice si tu lui dis si tu lui dis tu ne peux pas lui faire confiance… »

Il y a un gouffre à ses pieds, des démons à ses oreilles.
Et cette main dans la sienne.

« ... mal elle va te faire du mal Béatrice mal mal mal mal ils t’ont toujours fait du mal mal mal mal elle aussi elle va te faire du mal il n’y a que toi toi toi toi toi rien que toi toi seule toi toute seule Béatrice…»

Ses yeux viennent chercher le sien. Elle voit sa perte au fond de l’orbite vide. Doigts qui resserrent leur étreinte.

« Tu le sens, n’est-ce pas ? » Le Voile qui vibre... Les monstres s'agglutinent de l’autre côté du miroir. Voraces, bruyants, grouillants.

Ses doigts se resserrent autour de la main d’Andra.

« Ne me force pas à le dire. »

Laisse-moi te conter ce qui n’existe pas, a-t-elle écrit un jour. Savourer un monde qui ne sera jamais.
Celui où j’aurai pu dire que je t’aimais,
Celui où la magie ne me condamne pas.


« Ne me force pas à le dire. »



Adore her. She demands it.

She dreams of all the world bowing, but more than that. Loving her. Breathing her name.

Vera devise en #993366
Invité
Invité
Invité
Anonymous
Personnage
Feuille
Joueur

 

La chaleur de l’étreinte de leurs corps se dissipait doucement, et pourtant, leurs mains liées la maintenaient encore, comme s’il était impensable qu’elles se quittent tout à fait. Andra tenait les doigts de Vera contre les siens, et son pouce caressait doucement l’intérieur de la paume de son amante, attendant patiemment qu’elle parvienne à parler, pressentant les ombres autour d’elles, qui entouraient l’autre femme. C’était si facile, de les reconnaître, quand on vivait entourée des mêmes silhouettes fuligineuses au goût amer et à l’odeur rouillée de regrets. Elle se souvenait encore de cette nuit où elle s’était rendu compte, avec une acuité rauque, que le visage de Vera aurait pu être le sien, quand elle parlait avec mépris de la Chantrie. Elle se revoyait découvrir ce qu’elle avait déjà deviné : si les fantômes ne se partageaient pas, ils se reconnaissaient entre eux, parce que les cicatrices de l’âme n’étaient visibles qu’à ceux qui avaient les mêmes inscrites dans leur être. Et elle avait mesuré, brutalement, à quel point cette liaison pouvait être différente des autres, parce que ce qui l’avait toujours séparée de ses maîtresses pouvait trouver une résolution. Parce qu’elle avait le sentiment confus, déroutant, vertigineux, que Vera pouvait la comprendre, et qu’elle-même savait lire ses silences autant que ses paroles. Et c’était bien là toute la douleur qui l’avait si souvent étreinte, d’ériger des barrières qu’elle regrettait de ne pas voir les femmes de sa vie franchir. Cruauté, que de reprocher aux autres de ne pas parvenir à abattre les murs qu’elle maintenait avec tant de ferveur autour d’elle, pour se protéger de la pitié qui viendrait immanquablement, pour ne pas se souvenir, pour contenir les Anderfels dans un recoin de son existence, enfermé à double tour dans sa mémoire et ses cauchemars, marqué au fer rouge sur son corps. Lâcheté, que de ne pouvoir s’ouvrir complètement, malgré l’amour et la passion, parce qu’il y avait cette certitude qu’une telle souffrance ne pourrait jamais être appréhendée par une autre. Elle avait refusé au Cercle, d’abord par refus de la compassion mal placée, puis pour ne pas s’appesantir sur son passé. Elle n’y avait pas pensé à Hasmal, parce que Nyree était trop jeune – déjà trop croyante sans doute. Elle avait failli, au Nevarra, mais n’avait pas voulu infliger à Mallory l’horreur d’un tel récit, et voir la souffrance dans ses yeux, en l’imaginant enfant livrée à la vindicte de la foule. Et tant d’autres fois, tant d’occasions manquées … Et toujours, le silence et les ombres qui s’épaississaient, à jamais les souvenirs qui hantaient et qu’elle affrontait seule. Viennent celles de Vera : elle les attendait.

Et elle entendit son amante leur prêter voix, évoquer ses fantômes. Andra affermit sa caresse douce, comme pour encourager délicatement Vera, la soutenir, sans la brusquer. Elle sentait la tension dans son corps, et attendit patiemment que les mots viennent. Ils vinrent, confirmant simplement ce qui s’était avoué en silence au détour d’une danse orlésienne, dans cette même chambre : le prénom qu’elle aimait tant dire pendant l’amour n’était sans doute qu’un prête-nom, et l’ancien devait gésir en Orlais, au milieu des chimères d’antan, de cette réalité qui s’était dissipée pour une raison qu’elle ne connaissait pas encore, mais qui paraissait s’avancer vers elle. Elle s’en doutait. Et il convenait de l’accueillir avec révérence, cette confession qui éclatait à mesure que les paroles s’entrechoquaient, que le sujet changeait brusquement. Silencieuse, mais l’œil attentif et rivé vers Vera, la mage écoutait. La référence à la procession ne lui disait pas grand-chose : à son arrivée au matin, elle avait certes échangé quelques mots sur ce qui s’était passé en son absence, mais l’essentiel avait tourné autour des mesures prises par la Garde pour faire face à la menace de l’Enclin. Elle avait cru comprendre qu’il y avait eu des troubles durant la procession, et des blessés, mais … Une onde d’inquiétude la submergea, tandis qu’une vague amère de remords enfla dans sa poitrine. Elle n’avait pas été là. Vera avait été seule pour … Elle ne savait exactement quoi, mais elle avait été seule pour affronter ses fantômes, et rien que pour cela, Andra s’en voulut douloureusement. Instinctivement, son étreinte sur sa main se renforça encore, comme pour lui redire à quel point elle était désolée, d’avoir failli, pour l’assurer de son soutien, de sa présence, désormais. L’élan expliquait pourquoi tant de Gardes des Ombres ne se risquaient pas à aimer en dehors de fugaces liaisons : leur devoir imposait de ne pouvoir accomplir ce besoin impérieux de soutenir l’être aimé, quoi qu’il se passe, d’être à ses côtés dans les bons et les mauvais moments. Et il y avait la certitude, au bout, de partir un jour. La réalisation aurait pu la faire douter. Au contraire, elle ne fit qu’affermir sa résolution, car Andra eut l’absolue certitude qu’elle ferait tout pour revenir auprès de Vera, désormais. Et sa pulsion de mort, peut-être, trouva là de quoi s’éteindre doucement. Un fantôme d’écarté, peut-être qu’il en serait de même pour l’un de ceux qui hantaient la maquerelle ? L’allusion à la bougie allumée la fit tiquer un instant. Qu’est-ce que … ?

La garde se remémora l’intensité des baisers échangés, tandis qu’elles passaient enfin cette porte, ses mains qui se perdaient sur le corps de l’autre femme, leurs lèvres qui se dévoraient peu à peu, à la mesure de la démesure du désir qui parlait et perlait, et sa frustration de ne pas voir entièrement Vera dans la pénombre de la chambre, l’agacement à l’idée de perdre une seule seconde loin de la chaleur de ses bras, et la magie, utilisée si futilement pour allumer une bougie, et profiter de la nudité si ardemment dévoilée, si hardiment désirée. Le geste était à la fois anodin et … Son œil se posa sur Vera. Elle se souvint de son corps soudainement tendu face au sien, dans leur étreinte. Comme maintenant. Elle se remémora de la réaction de son amante quand elle avait usé, à nouveau, de la magie, pendant l’amour, cabotinage pour surprendre une femme aux talents émérites dans l’art érotique, puis plus tard, quelques fois, pour partager simplement le plaisir offert et se gorger de son expression de surprise, de ses questions, de temps en temps, sur cet usage si particulier de ses pouvoirs. Elle se surprit à songer à l’expression étrange qui flottait sur ses traits, quand elle la voyait avec un de ses imposants tomes de théorie magique. Elle entendit à nouveau cette première interrogation personnelle, sur sa vie au Cercle.

Andra comprit avant que le Voile ne claque contre son esprit, et que le mugissement lent des Peurs et de la Colère ne crissent à ses oreilles, de leurs doigts noirs et acérés, tandis que leurs serres s’approchaient lentement de leurs silhouettes. Elle observa, soudain, la silhouette de Vera face à elle, qui paraissait si évidente, et discerna les tourments autour de ses contours tremblants. Plutôt que de compartimenter, pour une fois, elle fit le choix de se focaliser sur l’espoir que lui inspirait cette femme dont les doigts serraient si forts ses phalanges, faisant appel aux souvenirs doux qu’elles avaient ensemble, et s’efforça de projeter cette atmosphère apaisante autour d’elles. Elle savait éloigner les fantômes, parce qu’ils ne seraient jamais aussi puissants que ceux qui la rongeaient, quand elle pensait aux Anderfels. Dans l’Immatériel, elle sentit son esprit rejoindre celui de Vera, et l’étreindre doucement, comme dans la réalité. Elle se plut, en tout cas, à l’imaginer. Parce que oui, maintenant, elle le sentait. Elle la sentait, à ses côtés dans cette vie et ailleurs.

Andra sut qu’elle pouvait ne plus être seule.

La détresse de l’aveu l’émouvait douloureusement, alors qu’elle aurait tant voulu dire, pour rassurer Vera, pour … Mais les mots lui manquèrent. A la place, elle recouvrit, lentement et avec une brève grimace, leurs deux mains liées de celle qui pendait inerte jusqu’à présent, et se servit de son bras non blessé pour caresser la joue de son amante, avec une extrême délicatesse. Ses lèvres se posèrent sur celles de Vera. Elles lui murmurèrent simplement l’évidence : Je sais. Le baiser, très chaste, ne dura qu’un effleurement, et pourtant, elle eut la sensation qu’il était le plus profond qu’elles aient jamais échangé. Parce que ce lèvre à cœur trahissait le cœur à lèvre qui se jouait, dans l’acceptation de l’autre, dans ce que cela pouvait signifier. Il y avait, soudain, toute l’histoire de Vera au creux de leurs mains jointes, dans le silence de cette chambre qui narrait le récit de ce qu’elles étaient l’une pour l’autre. Et la compréhension se fit, des autres silences, des autres vérités, des confessions à demi-murmurées. L’appréhension, aussi, brutale et terrible, du danger qu’Andra lui faisait courir, à fréquenter une apostate, fut-elle tolérée.

Qu’est-ce qu’elle ferait si … ? La mage se refusa à dire les mots dans son esprit. La Chantrie ne lui enlèverait pas Vera. Ou la Chantrie le payerait, d’une manière ou d’une autre. Cette promesse, elle la grava dans son âme, et son œil brilla brièvement d’une lueur implacable. Jamais elle ne supporterait que cette institution si haie puisse lui enlever encore quelque chose. Jamais elle n’accepterait de se voir retirée un autre pan de sa vie. Sinon, elle ne répondait pas des conséquences. Peut-être qu’ils avaient raison, tous ces grands de ce monde : des mages libres et s’aimant, cela ne pouvait que les amener à leur perte. Parce que les démons de Vera étaient de leur faute, comme les siens. Et sa rage enfla, âcre et puissante. Dans un autre monde, elles auraient été fières de tout ce qu’elles pouvaient accomplir, elles auraient pu partager ce trait d’union si particulier, le proclamer. Mais par la faute des bigots, Andra était borgne et Vera était pute. Etait-ce une vengeance suffisante, que de s’aimer en dépit de tout ? Non. Mais c’était un défi hurlé à la face de ce monde stupide, que de savoir que deux apostates pouvaient se trouver, et bâtir quelque chose contre eux. La fermeté de sa résolution aurait pu surprendre la garde, qui se sentit pourtant envahie par une immense sérénité. Advienne que pourra : s’il le fallait, le monde brûlerait pour elles. L’évidence vint dans la voix, calme et déterminée :

« Je t’aime. »

Je t’ai aimée pute, je t’aimerai mage. Je t’aime Vera, ou une autre. Elle n’avait pas besoin de le dire : elle comprendrait.

« Je t’aime peut-être davantage encore. »

Je t’ai aimée différente, je t’aimerai mon égale. Je t’aime Vera, et tout ce que cela peut signifier. Elle n’avait toujours pas besoin de le dire : elle comprendrait.

Le Voile vrombissait, mais les esprits chassaient les démons. Fantômes des âmes contre fantômes du passé. Andra chassa les cheveux qui barraient son visage, révélant l’entièreté de sa face, et ses yeux – vide et vivant – se posèrent sur Vera :

« Tes fantômes seront les miens, si tu le veux. »

Son regard se durcit, et le Voile hurla, tandis que sa puissance magique se déployait soudainement, et que le feu qui l’animait brûlait avec voracité :

« Et je ne laisserai personne me prendre encore quelque chose au nom de la magie. »

Parce que l’Immatériel lui-même explosera avant que cela n’arrive.

« Je te le promets. »
Hortense Harimann
Hortense Harimann
Salonnière de l'Acanthe
Salonnière de l'Acanthe
Hortense Harimann
Personnage
Illustration : Un abîme géant, cet abîme est mon cœur - Vera 011f5ca56cc03348d7b6ea2f5afdfaf0

Peuple : Humain
Âge : 36 ans
Pronom.s personnage : Elle
Occupation : Ancienne prostituée, désormais propriétaire d'un salon
Localisation : Hortense passe l'essentiel de son temps dans son établissement, l'Acanthe
Pseudo : Velvet
Pronom.s joueur.euse : Elle
Crédits : Nightingale, Anastasiia Horbunova ; Delilah Copperspoon, Dishonored 2 (winterswake & Sergey Kolesov & coupleofkooks & KOHTLYR) ; Nathie (signature)
Date d'inscription : 09/07/2021
Messages : 754
Autres personnages : Marigold
Attributs : CC : 11
CT : 11
End : 15
For : 11
Perc : 15
Ag : 13
Vol : 15
Ch : 15

Classe : Civile, niveau 2
Feuille
Joueur

 

https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t127-vera-and-the-scre
Un abîme géant, cet abîme est mon coeurFt. Andra Valheim


Elle doute, d’abord ; un soupçon d’angoisse qui lui pique la gorge, tandis que, de l’autre côté du Voile, les monstres s’agitent encore.  « ... trop tard trop tard trop tard trop tard perdue perdue tu t’es perdue c’est trop tard trop tard trop tard… » Les démons sifflent à ses oreilles. « Se livrer, c’est mourir. » se souvient-elle avoir jadis pensé lorsque, ramassée sur le sol d’une autre chambre, plus étroite et plus froide que le théâtre actuel de leur tragédie, elle s’était crue condamnée. « T’en fais pas. Je ne dirai rien. » Lachlann avait tenu parole. Neuf années de silence complice, sans que rien ne lui soit jamais réclamé - ni tribut ni faveur. Rien… Rien que l’assurance de sa présence, là-bas, par-delà les murailles étroites de ce Cercle que sa naissance lui a toujours interdit de fuir. L’existence d’une alternative, même brumeuse, même boueuse ; un « et si » comme porte de sortie, qu’elle le sait pourtant incapable de franchir. Son fardeau à lui ; le sien est différent : plus sournois, plus amer. Un cœur qui peine à se dévoiler, et l’aigreur des regrets. « et si » : la formule ne lui est pas non plus étrangère.

L’oeil est attentif, prévenant, sans que le choc encore ne s’y lise ; Andra ne saisit pas, pas tout de suite… Le souvenir convoqué, après tout, est quelque peu lointain, anecdotique - un frisson dans la pénombre. Et puis, elle la perçoit, cette lueur dans le regard ; compréhension - redoutée - de ce qui ne parvient à être dit, malgré l’obligeance de ces âmes qui s’observent. L’évidence, toutefois, perce désormais les ombres. Et les doigts se crispent autour des siens - doucement, un témoignage. Elle la sent : contre son corps, et au-delà, derrière cette réalité qui les condamne, dans cet ailleurs qui effraie. Un nid de cauchemars, qu'elle perçoit Andra repousser. De ses mains d’abord - caresse contre sa joue -, puis de ses lèvres - leur premier baiser, depuis...

Il n’y a plus de masque derrière lequel se réfugier.
Elle s’offre telle qu’elle est - se désespère parfois d’être - : vulnérable, seule, pathétique. Apostate.
Cadavre en sursis.

« Je t’aime. » Les graves la fauchent tandis qu’elles s’écartent. Une caresse sur ses plaies ouvertes, alors que l’affection éclate et hurle enfin son nom. Vera en connaît tous les accents, pour en avoir si souvent imité les notes ; sa besogne, travestie en tendresse. « Je t’aime. » L’envolée est bien peu coûteuse lorsqu’elle est glissée sans la pesanteur de l’affect - passion désinvolte pour apaiser les âmes sensibles, rassurer les esprits blessés. « Il y en a toujours pour tomber amoureux. » lui avait-on soufflé à l’aube de sa carrière lorsque, jeune fille, elle s’était inquiétée des élans de ses premiers amants. L’inverse a toujours été plus rare, plus mesuré. Des « Je t’aime. » qui ont réellement importé, Vera en a connu bien peu - l’éternelle malédiction d’un cœur asséché par les intrigues. Et celui-ci ?

Celui-ci a le parfum dangereux des amours qui comptent.
Et Vera ne parvient pas à le regretter.
Plus maintenant.

« Je t’aime peut-être davantage encore. »

La gueule abîmée se dévoile : chair lardée, orbite vide, lèvre entamée. Et la maquerelle observe, silencieuse, les ruines muettes si rarement offertes ; stigmates impressionnants, qui ne l’ont jamais impressionnée - tout juste surprise, la première fois, puis intriguée au fil de leurs entrevues. Les nouveaux sillons qu’elle y trouve ne changent rien à l’affaire. Aucune répugnance au fond des yeux gris, mais l’éclat brûlant de son affection, mêlé de reconnaissance, à mesure que la voix d’Andra tonne : « Tes fantômes seront les miens, si tu le veux. Et je ne laisserai personne me prendre encore quelque chose au nom de la magie. Je te le promets. »

Le regard est fiévreux à présent, brûlant d’une détermination que Vera ne connaît pas à son amante et qu’elle découvre dans un frisson. Andra palpite à ses côtés, impressionnante de puissance, et les démons, finalement, se taisent. Ne reste désormais plus que cette promesse, imprimée dans le silence de la chambre et dont Vera mesure doucement, par préhensions mesurées, toute la portée. Solitude brisée.  « Elle pense ce qu’elle dit. » Vraiment ?

Un nouveau regard.
Vraiment.

Que dire, à présent ? Elle s’interroge, alors que « Merci. » lui brûle un instant les lèvres, sans toutefois les franchir ; merci… Merci sonne mal, comme une supplique et cette soumission lui déplaît. Vera n’a plus envie de s’écraser. Elle brûle désormais :  la fureur d’Andra a ranimé les cendres qui couvaient là, tapies au fond de ses tripes, dissimulées sous d’épaisses couches de honte et de peur. Vingt années de silence coupable, à étouffer la pétulance d’un don qui n’a jamais fait que la condamner : à l’exil, à la rue, à l’oubli, à la solitude…  

Elle n'est plus seule face à l'abîme.

Doucement, ses mains se pressent sur la joue de la garde, et les mots glissent finalement de sa bouche, comme une évidence : « Tu es belle. » ; belle oui, comme la frénésie d’un incendie, comme un soleil d’été ; belle à en pleurer.

Il y a de la tendresse dans son regard. De la fierté, aussi. Et si les larmes lui viennent, si les pupilles scintillent, ce n’est que de joie. Celle d’avoir trouvé son alternative.

Et sans détacher ses yeux du sien : « Béatrice. C’est mon nom. »

J'existe.



Adore her. She demands it.

She dreams of all the world bowing, but more than that. Loving her. Breathing her name.

Vera devise en #993366
Invité
Invité
Invité
Anonymous
Personnage
Feuille
Joueur

 

Les yeux de Vera l’observaient, mains sur ses joues, l’une pansée douloureusement et l’autre marquée seulement par le passage des ans. Andra ne détourna pas le regard, son œil se plongeant dans ceux de l’autre femme, et il lui semblait que leurs prunelles se chuchotaient les promesses informulées que sa virulence venait de dévoiler. Qu’il était étrange de se voir ainsi dans le regard d’une autre. Qu’il était étrange de se voir dans une autre. Vera était celle qu’elle aurait pu devenir, dans une autre vie, et elle était ce qui aurait pu être le destin de Vera. Apostates, mais dont le pluriel masquait les destins contrariés et dissymétriques. La maquerelle était demeurée libre, mais à quel prix ? La mage avait racheté sa liberté, mais à quel prix ? Désormais, la garde repensait à ces petits riens qu’elle avait pris plaisir à découvrir, au fil de leurs rencontres, chez son amante, et qui désormais, prenaient une dimension insoupçonnée. Son goût du secret, sa curiosité pour la magie, son amour pour les belles choses qu’elle pouvait désormais s’offrir, l’ambition qui brillait dans les yeux gris calculateurs … Est-ce que sa propre âme était aussi lisible et en même temps si mystérieuse, une fois qu’on la connaissait, sans savoir tous ses secrets ? Lisait-on dans son œil l’amertume et la haine, la révolte et la volonté absurde de prouver sa vertu, face aux vicieux qui se drapaient dans la leur ? Elle l’ignorait, mais avait rarement été aussi honnête, dans la vulnérabilité de la chair fatiguée et des sentiments mis à nu. Et tandis qu’elle voyait Vera avec un œil nouveau, il lui apparut qu’elle aimait peut-être davantage encore qu’auparavant être vue par ces yeux-là. Parce qu’ils étaient similaires au sien. Parce qu’ils étaient siens.

Lentement, sa main valide s’enroula autour des doigts qui se pressaient contre sa peau. Son œil n’avait pas quitté Vera. Et ce qu’elle lisait dans les yeux gris aimés la transperça doucement. Le regard des autres n’avait été que rarement doux, depuis ses douze ans. C’était peut-être ce qui avait été le plus douloureux, à ses débuts au Cercle, que d’apprendre à vivre avec les yeux emplis de dégoût, parfois de pitié, mais jamais neutres. Le jour où son visage lui avait été arraché, elle avait perdu le droit d’être ignorée, comme si ceux qui l’avait martyrisée avaient réussi à apposer leur marque maudite pour l’éternité, en la contraignant à subir ce que la haine avait forgé. Et elle avait compris bien vite, en se cachant pour effectuer ces gestes si simples mais qui lui demandaient tant, comme réapprendre à manger sa nourriture avec ce qui lui restait de mâchoire, que les monstres, même s’ils le désiraient, ne pouvaient pas vivre dans les ombres. Parce que la lueur des torches les forçaient à montrer leur faciès difforme à la foule, pour que cette dernière puisse rire et se convaincre qu’elle était normale. Qu’elle n’avait rien à voir avec l’horreur. Idiots : le mal était davantage contenu dans ces moqueries putrides que dans les lambeaux de peau grotesques qui ne masquaient pas le trou béant qui s’était un jour appelé visage. Alors, elle avait appris à en faire fi, de ces regards. Mais ils lui pesaient, car ils étaient le rappel sempiternel de ce qu’elle était, de ce qu’ils voyaient : une poupée grotesque, malmenée et déchirée, à peine raccommodée, à jamais souillée. L’adolescence et ses émois n’avait pas arrangé l’affaire : comment espérer le regard des autres, quand elle n’osait voir son propre reflet dans un miroir ? Comment s’imaginer gravée dans des prunelles aimantes, quand elle ne s’aimait pas ? Personne n’aimerait une bête hideuse : beaucoup s’étaient chargés de le lui rappeler. Elle avait cru, pourtant, un jour, que peut-être … Mais non. Elle pouvait être un corps auprès de qui se réfugier, prêt à aimer, mais rien de plus. Comment aurait-il pu en être autrement ? Et Andra avait ravalé ses larmes, bravement. Pendant un moment hors du temps, elle avait vu du désir dans les yeux d’une autre. Elle avait été le centre de son attention. N’était-ce pas suffisant ? N’était-ce pas déjà plus que ce qu’elle avait jamais obtenu ? Et pendant longtemps, elle s’était contentée de ces maigres regards, se contemplant dans les yeux de ses amantes, et en se gorgeant de la vision de leur plaisir parce qu’elles étaient belles, sous ses mains, et qu’ainsi elle pouvait s’approcher de ce qui lui serait à jamais dénié.

Il y avait eu d’autres regards, moins évanescents, et non moins brûlants. Les mêmes yeux que la première fois avaient fini par se parer de tendresse pour l’amante honteuse, à mesure que le visage se reconstruisait et que le talent transparaissait. Avaient-ils jamais aimé ? Andra l’avait cru, si fort. Y croyait-elle encore ? Elle n’avait pas le choix. Cela faisait trop mal de se dire que les yeux aimés ne l’avaient jamais réellement regardée. Imaginait-elle les regrets qu’elle apercevait dans les prunelles de ses souvenirs, le dernier soir avant son départ du Cercle – sans qu’elle ne le sache, la promesse de se retrouver vite, et la voix distante, qui savait déjà ce qui se tramait dans les tréfonds de la Tour, et qu’il s’agissait d’un adieu, et non d’un au revoir ? Peut-être. Après, elle avait cherché sa liberté dans les yeux des autres, à dépasser sa condition de mage, ou à se faire aimer en dépit de cette dernière. L’amour au-delà du Cercle avait alors le parfum de l’exotisme, puis celui de la vengeance contre les armures qui l’avaient maintenue enfermée. Parfois, il avait eu le goût des occasions manquées, des amours mal assumées, dans le regard un peu trop jeune qui la suivait, à Hasmal. Être la première femme aimée, n’était-ce pas l’assurance de regards uniques, d’être un peu aimée ? L’égoïsme n’avait jamais été si loin dans ses motivations de séductrice impénitente. Et pourtant … elle avait lu, dans les yeux bleus, l’affection muette. Elle l’avait vue, elle s’était vue plus belle qu’elle ne l’était, inconséquente et amère. Et elle avait fui, pour ne pas subir ce regard dont elle n’était pas digne. C’était mieux ainsi.

Les yeux de Mallory, eux, avaient prêché la curiosité, dès leur première rencontre. Elle se souvenait de leur lueur, quand ils la suivaient, sans jamais être lourds ou inquisiteurs, comme si Andra était une énigme que la Van Markham se devait de résoudre. La névarrane voyait la femme qu’elle était dans le temps présent, et l’avait aimée ainsi, avec ses ombres et ses silences. Très vite, la mage avait lu l’affection dans son regard, quand elle restait un peu trop longtemps, après l’amour, que ce n’était pas raisonnable mais que Mallory la laissait allongée dans ses draps pour aller voler de quoi manger dans les cuisines, et que la nourriture finissait immanquablement oubliée sur un meuble, pendant que les draps se froissaient à nouveau, pour faire taire la tendresse et ne voir que le désir. Elle la voyait dans la fierté étrange qui saisissait sa cadette quand une de ses amies la complimentait sur le « beau jeune homme » qui l’accompagnait à un bal, et la faisait danser avec agilité, camouflé derrière son masque. Cruelle ironie, que d’être enfin vue en étant cachée.

Oui, Mallory la voyait dans son présent. Et elle n’avait pas supporté de se voir dans ses yeux, fatiguée et amère, avec la Quatrième. Parce qu’elle se dégoûtait, et qu’il lui était insupportable d’être observée avec douceur. Ces regards appartenaient au passé heureux, pas à ce présent de cendres. Elle n’avait pas été capable de se hisser à la hauteur des yeux de Mallory, et lentement, la lueur dans ces derniers s’était éteinte. Alors, Andra était partie. Parce qu’elle ne pouvait admettre de voir un jour le dégoût dans les prunelles aimées, encore, même en s’en allant, même en sachant qu’il était des cicatrices impossibles à refermer, des batailles impossibles à remporter. Il aurait fallu qu’elle soit en mesure de se combattre elle-même, et elle n’y était jamais parvenue. Des regards, après, il y en avait eu d’autres. Mais ils n’avaient pas la délicatesse des matins du Nevarra, ne chuchotaient pas les mêmes espoirs que les soirées d’Hasmal, et n’avaient pas le frisson des nuits des Anderfels. Et la garde s’était résignée, peu à peu, à ne se chercher qu’en bribes dans les yeux des femmes qui peuplaient sa vie, et à n’obtenir que le fantôme de leurs soupirs, pour quelques heures, afin de combler son désir étrange d’être vue, quand elle détestait être observée, alors qu’elle ne cessait d’imposer son visage à la face du monde.

Les yeux de Vera étaient différents. Ils avaient cette neutralité qui avait toujours paru glisser sur ses cicatrices. Puis, ils s’étaient emplis de curiosité. Et une nuit, de désir, et Andra avait éprouvé le frisson de se trouver belle dans l’anthracite qui l’observait. Elle sentait l’affection, sous la langue mordante, et la reconnaissance implicite du passé exposé sous les cicatrices, jamais nié, comme l’appréciation du présent et de ses cabotinages. Alors, face à ce regard qui s’emplissait d’un maelstrom d’émotions, qui semblait passer de la reconnaissance à la tendresse, qui brûlait autant que le sien, la mage se sentit vue, entièrement, pour ce qu’elle était et avait été, pour ce qu’elle n’osait être mais devinait dans la sensation incandescente de ne pas être seule. De ne plus être seule. Et ce « tu es belle » résonna dans son âme, longuement. Est-ce que les monstres pouvaient être beaux ? Son œil fixa ceux de Vera, vit l’émotion dans les larmes difficilement contenues, dans la pression contre sa joue.

Si les monstres étaient beaux, alors elle pouvait être aimée. Si les monstres étaient beaux, alors elle pouvait être désirée. Si les monstres étaient beaux, elle avait le droit d’exister.

Les doigts, doucement, s’appliquèrent à chasser les larmes qui perlaient au coin des yeux de Vera et coulaient doucement. Les monstres, à défaut d’être beaux, savaient protéger. Les monstres, quand ils étaient beaux, défendaient avec d’autant plus de férocité les pupilles qui les autorisaient à ne pas être différents.

Andra regarda Béatrice.

« C’est un très joli nom. »

Et dans son tintement d’Orlais, la mage chercha à apercevoir, dans les yeux de Vera, les souvenirs de Béatrice.

« Je t’ai aimée Vera, je t’aimerai Béatrice. Dis-moi simplement qui tu veux être, avec moi. »

Le prénom importait-il ? La garde lui laissait le choix. La personne demeurait la même. Elle avait juste de nouvelles lueurs dans le regard, et, avec le temps, elle prendrait plaisir à les découvrir. Mais son propre œil finit par se fermer, de fatigue et de douleur, tandis que son corps entier la lançait, et qu’Antiva se rappelait à elle. Quand elle le rouvrit, elle le posa une ultime fois sur son amante, et chuchota :

« Maintenant … je peux rester. Si tu le veux toujours. »

Pour cette nuit. Pour le lendemain.
Pour aussi longtemps qu’elle le voudrait.
Pour aussi longtemps qu’elle la regarderait.
Pour les yeux de Vera, et le gris de Béatrice.
Contenu sponsorisé
Contenu sponsorisé
Personnage
Feuille
Joueur

 

Un abîme géant, cet abîme est mon cœur - Vera