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Sultry poetry loves company - Arnth Van Markham

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Sultry poetry loves company CHAPITRE DEUX : CEUX QUI MARCHENT DANS LES PAS D'ANDRASTÉ

Type de RP Classique
Date du sujet 4 Marchiver 5 : 13
Participants Arnth van Markham, Andra Valheim
TW Mention d’ouvrages à caractère érotique, vulgarité, sexualité
Résumé Arnth van Markham vient visiter la Commanderie de Starkhaven et est accueilli par Andra … dont il reconnaît le nom comme l’anagramme aisément identifiable d’une autrice de « L’hymne aux femmes des autres », célèbre recueil de poésies interdites en névarran.
Pour le recensement


Code:
[code]<ul><li><en3>4 Marchiver 5 : 13 </en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1140-sultre-poetry-loves-company-arnth-van-markham#14876">Sultry poetry loves company </a></li></ul><p><u>Arnth van Markham et Andra Valheim u> Arnth van Markham vient visiter la Commanderie de Starkhaven et est accueilli par Andra … dont il reconnaît le nom comme l’anagramme aisément identifiable d’une autrice de « L’hymne aux femmes des autres », célèbre recueil de poésies interdites en névarran..</p>[/code]

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« Tu es presque présentable, Andra. »

« Je voulais présenter mon meilleur profil. »

Le trait d’esprit, notoirement dépréciateur envers sa propre personne, arracha à son interlocutrice un reniflement amusé. Il est vrai que la mage avait, fait rare, fait un effort titanesque pour apparaître dans une robe de garde-acolyte qui avait connu un lavage fort récemment, avec un plastron lustré – une première et des cheveux qui allaient tous dans le même sens. La mèche large qui dissimulait la partie droite de son visage retombait à peu près élégamment sur ce dernier, et dans l’ensemble, Andra faisait à peu près honneur à ses devoirs de représentation de la Garde. Une rareté. Mais elle avait reçu des ordres, et avait appris depuis longtemps à ne pas badiner avec ces derniers, puisque de toute manière, cela ne servait à rien. En un sens, la Garde des Ombres avait inventé la servitude la plus totale, puisque tôt ou tard, la Souillure viendrait réclamer son dû. Et du reste, quand bien même elle aurait voulu fuir cette vie qu’elle n’avait pas choisie, son destin n’aurait guère été appréciable. L’un dans l’autre, le choix était rapide, si tant est qu’il existât. Alors puisqu’on lui demandait d’accueillir un grand nom, elle obtempérerait. Le fait de devoir redorer un peu le blason des mages du Cercle avait pu jouer, à moins que ce ne soit sa parfaite maîtrise de la langue de leur invité et le fait d’avoir vécu dans son pays qui avaient joué. Quoi qu’il en soit, Andra se retrouvait à attendre patiemment que l’ambassadeur du Nevarra à Starkhaven entre dans la Commanderie, lissant machinalement sa robe, affichant sa mine ordinaire, mélange de détachement et d’impassibilité, alors que sa comparse de la Garde prenait congés.

Le nom de Van Markham ne lui était évidemment pas inconnu. Apprendre les patronymes des grandes lignées du Nevarra avait été fort utile lorsqu’elle y avait été placée en garnison, surtout pour quémander des accès aux célèbres cryptes de cette nation aux coutumes particulières. Même si devoir se souvenir des cent cinquante branches secondaires de chaque famille – mais combien les Penthagast avaient-ils de cousins ! – lui arrachait encore des frissons d’horreur – parce que, par la culotte trouée d’Andrasté, combien de prénoms avaient chaque nevarran noble ! – et que leur simple mention lui arrachait des sueurs froides. Mais elle avait fait ses devoirs. Et savait donc à qui elle aurait affaire, présentement. C’était déjà un sacrifice pour la cause.

Finalement, un homme de haute taille et à l’allure martiale fut introduit dans la Commanderie. Bigre, était-ce une méthode nouvelle de négociations, que d’envoyer à la table des discussions un homme qui aurait pu la fendre en deux avec une hache ? L’idée était intéressante, surtout en ces temps quelque peu troublés. Droite, la main posée sur son bâton, la mage l’observa avant de déclarer formellement :

« Ambassadeur Van Markham, au nom de la Garde-Commandeure Senaste, permettez-moi de vous souhaitez la bienvenue entre les murs de notre Commanderie.

Andra Valheim, Garde-Acolyte. C’est moi qui serais votre guide et votre interlocutrice pendant votre temps parmi nous. »


Elle n’avait consenti qu’à une brève inclinaison de la tête, et son œil unique le fixait avec curiosité, cherchant à jauger l’homme derrière le titre, en dépit des considérations formelles. Un instant, elle se demanda quelle image elle pouvait renvoyer à cet homme, avec son visage qui n’aurait jamais une forme agréable à l’œil, et s’il considérerait comme une insulte ou non de ne pas avoir eu comme escorte un Garde de Rang, ou même une sommité locale. Mais avec les événements survenus à l’issue du Grand Tournoi, et compte tenu de la menace annoncée de l’Enclin, les plus hauts gradés croulaient sous les missions diverses et leurs journées n’étaient, hélas, pas extensibles. A moins qu’il ne s’agisse une fois encore d’un calcul quelconque dont elle se retrouvait tributaire malgré elle. Ce ne serait pas la première fois, après tout.
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La coquetterie allait contre tous ses principes, et s’il avait fallu remercier le Créateur tous les jours, nul doute qu’il aurait pris son armure et le rôle qui lui permettait de rarement en sortir pour sujet. Starkhaven avait mis à mal même cette petite paix, mais aujourd’hui – avec des gardes qui n’étaient pas que havenois – elle était aussi sauve que son humeur. Les missions diplomatiques ne lui plairaient sans doute jamais, mais la garde des ombres valait mieux que les aristocrates.

Seule concession, pour rappeler qu’il avait beau être soldat, il était aussi un peu plus, le liquide fleuri versé dans son bain. C’était cette odeur de forêt qui le suivait maintenant, et il pouvait presque voir le sourire appréciateur de sa mère. Au moins une personne, pouvait-il se consoler des regards curieux qui le suivaient dans Sullenhall. Au moins une personne convaincue, et il n’en faudrait qu’une de plus pour ses besoins. Il avait annoncé sa visite une petite heure plus tôt, et on lui avait assuré que quelqu’un serait libre pour l’écouter ; qui, il ne savait pas, ni à quel point il serait ouvert aux confidences…

La femme qui l’accueillit était une surprise.

« Ambassadeur Van Markham, au nom de la Garde-Commandeure Senaste, permettez-moi de vous souhaitez la bienvenue entre les murs de notre Commanderie.
– Je vous remercie du temps que vous m’accordez. »


Une formule convenue, qui gagnait du temps plus qu’elle ne faisait avancer. Si le genre de son interlocutrice le laissait déstabilisé, qu’elle soit mage lui plaisait pour une raison encore floue. L’ainé Vaël lui avait pourtant assuré qu’ils n’en savaient pas plus sur les engeances que le plus simple des paysans – pas en ces mots – mais le sentiment était déjà trop ancré.

« Andra Valheim, Garde-Acolyte. C’est moi qui serais votre guide et votre interlocutrice pendant votre temps parmi nous.
– Valheim… Comme… » Il chercha dans ses souvenirs ce que le nom lui rappelait. Il n’en connaissait personnellement aucun, alors où… Son visage s’anima soudain, mélange de surprise et de satisfaction. « Oh ! C’est vous qui avez écrit – Hymne aux femmes des autres, compléta-t-il en nevarran en baissant très légèrement la voix par soucis de discrétion, j’ai oublié le titre traduit ? »

Il la dévisagea plus attentivement cette fois, remarquant l’œil invisible – Et elles offrent plus à mon œil, qu’à tous les sens de leurs maris – et là où il n’y a rien naissent de nouvelles couleurs, que je ne vendrais pour aucune autre vue du monde – Quelques battements encore et entre tes jambes, la peau neuve et ternie se couvrent des mêmes teintes, lavant d’un coup ses traces à lui et ma honte à moi – et le visage, pas très beau, autour. Si c’était bien elle, ça expliquait des choses et ajoutait encore au scandale.

La bienséance aurait voulu qu’il change de sujet, mais l’Enclin attendrait. L’excuse de penser à des lieux meilleurs ne se refusait pas, et la curiosité qui battait ses tempes rougies prenait largement le pas.

« Vous prévoyez une suite ? »
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Son œil s’arrondit face à sa surprise … et soudain, sa bouche s’agrandit tandis qu’un rire franc, profond, vivant, retentit dans la pièce. Tout son physique parut changer brutalement. La silhouette ordinairement légèrement voûtée se redressa, et son visage marqué se détendit soudainement, les rides de fatigue se transformant en ridules mutines, tandis que l’hilarité laissait apparaître des dents à la blancheur de nacre, parfaitement alignées, perdues au milieu d’une expression chaleureuse, à mille lieues de la froide rigidité qui était ordinairement la sienne. Quant à son unique pupille, elle brillait d’une lueur malicieuse, chaleureuse, enveloppante. Andra n’était pas belle, et ne le serait jamais. Son physique quelconque serait défiguré à jamais, ajoutant au commun la laideur. Mais dans certaines circonstances particulières, privées, elle avait ce charme de ceux qui savent se plaire dans les excès et croquer à pleines dents ce que la vie pourrait leur accorder, ou plutôt, ce qu’ils sauraient lui arracher, morsure après morsure. En l’occurrence, l’amusement était extrême, face à ce solide gaillard, cet ambassadeur qui s’avouait amateur de littérature, et d’une qui avait été frappée d’interdiction dans son propre pays. On le lui eut dit qu’elle ne l’aurait pas cru, mais c’était sans doute mieux ainsi, elle pouvait savourer davantage la surprise plaisante. Voilà qui transformait une corvée diplomatique en une de ses rencontres savoureuses dont l’existence avait le secret.

Un instant, elle tenta d’imaginer Arnth penché, plus jeune, sur l’opuscule de mauvaises feuilles achetées sous le manteau au nez et à la barbe de ses parents, les joues aussi rougissantes qu’à présent – charmante vision – à la lueur d’une bougie volée à l’office pour décrypter les écrits interdits. L’image ajouta à son amusement croissant. Qui eut cru qu’une nuit d’ivresse et d’inspiration alcoolisée la conduirait à devenir la récipiendaire des fantasmes de tant de jeunes – et moins jeunes – gens, et à avoir son nom associé à une publication sulfureuse qui, cette fois, n’avait rien de fondamentalement contestataire ? Elle serait toujours plus connue grâce à ces quelques feuilles que par ses thèses sur la magie, ou encore ses écrits philosophiques. En même temps, les plaisirs avaient toujours été plus palpables au commun que les complexes traités métaphysiques, elle en avait conscience. Il n’empêche : la réalisation la frappait toujours, et montrait à quel point on était peu de choses, à quel point il était aisé de s’imaginer comme le pinacle de l’intellectualisme, quand on était finalement qu’un arrogant gratte-papier. Retrouvant son calme, mais l’œil toujours pétillant, elle déclara dans un nevarran parfait :

« Pardonnez-moi, Ambassadeur … Je n’imaginais trouver un … connaisseur averti en visite à la Commanderie. »

Reprenant en commun, elle ajouta :

« Venez, allons dans un endroit où il sera plus agréable de deviser des collaborations aux arts du Nevarra et de la Garde des Ombres. »

C’est donc tout naturellement qu’elle le conduisit dans l’endroit le plus logique pour une telle discussion, à savoir la petite bibliothèque de la Commanderie, où, à cette heure, ne se trouvait personne. L’invitant à s’asseoir, s’il le désirait, elle reprit la conversation là où ils l’avaient laissé – et à nouveau en nevarran :

« Pour répondre à votre question, une suite aurait pu dépendre des époux de Starkhaven, mais en ce moment, nous avons hélas d’autres préoccupations, et je crains qu’un Hymne aux engeances ne soit pas classé dans le même rayonnage. »

Dévisageant Arnth, Andra sentit son œil pétiller davantage, luisant de cette étincelle qui la caractérisait quand sa curiosité prenait le dessus, et qu’elle s’apprêtait à faire quelques bons mots. Il était très rare de la voir ainsi, entre les murs de la Commanderie, surtout en présence d’un inconnu, et nul doute que nombre de ses camarades seraient singulièrement surpris de son allure présentement, mais elle appréciait beaucoup trop cette situation caustique pour ne pas en profiter. Ainsi, elle demanda :

« Dites-moi, Ambassadeur, comment avez-vous réussi à vous procurer ce modeste opuscule ? Vous n’ignorez pas que sa lecture n’est guère … appréciée par la Chantrie.

Ce qui est fort dommage d’ailleurs, les vers consacrés aux Sœurs sont pourtant tout à fait laudateurs. »


Tes prières au bord des lèvres
Montent vers les cieux
Et je me moque avec fièvre
De ton divin époux qui darde sur nous ses yeux !

Oublie.

Laisse-moi respirer tes soupirs,
Et savourer sur tes lèvres le parfum de ton envie.
Cœur renversé, prisonnière de mon empire,
Corps frémissant, esclave de l’inassouvi,

Faillir !

Tes chants n’ont jamais été aussi fervents,
Que gémis au creux de ta nudité,
A ton corps suppliant,
A ton âme suppliciée,

Exulte !

Laisse-moi goûter un peu plus longtemps,
A cette acmée offerte pour ton culte,
Celui de ton centre palpitant,

Gémir !

N’oublie pas.
Chante pour moi,
Laisse-moi créer un autel à tes appâts,
Savourer sur le coin de ma langue ton émoi.

Aime !
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Il se renfrogna d’un coup, nettement plus énervé de ne pas comprendre la source du rire qu’il n’avait été ravi de découvrir l’identité de la femme. Quoi, n’avait-on plus le droit de lire ? S’informer de l’avenir de la littérature n’était plus la chose à faire ?

« Moquez-vous, gronda-t-il, c’est pas moi qui ai écrit tout ça ! »

Son visage, déjà vulnérable à la moindre émotion, était devenu écarlate – gêne et colère à doses presque égales, la première ne gagnant sa place que parce qu’il était difficile d’oublier les poésies derrière ce visage hilare. Emporté, il l’était, mais encore à moitié plongé dans ses souvenirs, dont elle illustre certains vers. Elle n’avait pas été bannie pour le sujet mais pour son traitement trop libre, avait-il entendu, et il n’avait plus de mal à voir pourquoi.

« Je vais trouver quelqu’un d’autre pour…
– Pardonnez-moi, Ambassadeur … Je n’imaginais trouver un … connaisseur averti en visite à la Commanderie.
– Et je n’imaginais pas l’auteur ici. »


Le ton restait sec mais il était déjà plus calme – pas à cause de la langue, dans laquelle il se disputait encore mieux et à laquelle il passa sans hésitation, mais un éclat ne pouvait guère être plus. Aussi bref que le rire de la garde, dont par ailleurs le visage quelconque calmait même les plus guerrières des ardeurs. Une personne qu’il n’avait au fond pas envie de frapper.

Il regretta le passage au commun qui lui fit perdre le début de la phrase mais supposa qu’il devait la suivre dans un endroit qu’il n’avait plus visité depuis longtemps : la bibliothèque. Un endroit dans lequel il avait apprécié déambuler mais dont il n’avait jamais occupé les chaises, et cette fois encore il resta debout. Comme si Moira apparaitrait à ses côtés le moment où il s’assoirait. Debout, personne ne vint le déranger à part… Andra, c’était, un nom plus ironique que l’anagramme qu’il avait connu. Sa voix acheva de le rassurer, maintenant qu’il n’était plus au centre de la conversation.

« Il faudrait demander à ma sœur, en réalité, je me suis contenté de rapatrier sa copie dans ma chambre. La censure soit louée, elle n’a jamais osé enquêter sur sa disparition. »

Elle devait le connaitre par cœur, au vu des pages cornées, et il s’en serait voulu de l’en priver s’il avait pensé plus loin que son propre intérêt à l’époque. Peut-être lui indiquerait-il où il était dans sa prochaine lettre – à l’autre bout du continent, il n’en avait plus besoin… Peut-être. Même maintenant, il n’aimait pas l’idée de se séparer du compagnon qui avait accompagné tant de soirées… Ni celle de le rendre à Mallory.

« Je me suis toujours demandé si ça venait d’expérience personnelle. » Fraction de réflexion, puis, plus rouge que quand il a eu le malheur de s’oublier sous le soleil mais inarrêtable : « Si les engeances ne vous attirent pas, un hymne aux démons ? Il parait qu’ils ont… des qualités. »
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Andra l’avouait : la situation l’amusait terriblement. Et de telles occasions étaient rares, depuis son arrivée à Starkhaven, et lorsqu’elle se trouvait dans un bastion de la Garde des Ombres en général. C’était en partie de sa faute : il lui fallait toujours du temps pour nouer des liens solides avec ses comparses de la Garde – soit parce que certains gardaient de leurs précédentes vies une défiance notoire envers la magie et que sa détentrice ne faisait guère d’efforts pour les rassurer, compte tenu des nombreuses rumeurs qui avaient l’habitude de l’entourer. Encore aujourd’hui, les accusations proférées par les templiers d’Hossburg lui empoisonnaient la vie. Même s’il était évident, depuis le temps, qu’elle n’avait jamais été pour rien dans les événements qui avaient causé son intégration dans son ordre actuel. Mais la marque d’infamie demeurait, pour qui savait la chercher. Et même ses bons offices forcés lors de la Quatrième ne suffiraient jamais à racheter son nom. Soit, donc, ses nouveaux compagnons se heurtaient à sa politesse froide et à son manque d’intérêt apparent pour de belles conversations sur les idéaux et l’espoir face à l’Enclin. Il fallait souvent un peu de temps. Les sorties dans les tavernes étaient des occasions parfaites pour cela. Là, Andra semblait tout à son aise, peut-être davantage que nulle part ailleurs, sauf peut-être à son étude, en train d’écrire un tome obscur que bien peu liraient. Cette double vie, cette double facette, elle l’avait héritée de sa vie au Cercle, où l’existence des reclus s’articulaient entre un hypocrite respect de commandements qu’il était de toute manière difficile de remettre ouvertement en cause – les menaces sur sa propre vie avaient tendance à réfréner les ardeurs, étrangement – et une certaine licence dans d’autres domaines. Personne ne l’ignorait, encore moins les templiers, dont certains profitaient allègrement de cette dernière d’ailleurs, directement ou indirectement. La jeune Andra s’était fondue avec aisance dans ce moule. Il continuait à l’influencer, qu’elle le veuille ou non, bien qu’il ait pris une tournure originale.

Pris la main dans le sac – ou plutôt le rouge aux joues – l’Ambassadeur arborait une teinte carmin du plus bel effet, mais la surprise passée et un endroit plus calme trouvé, la conversation continuée avec le ton de la complicité née d’un secret partagé, le Névarran répondit à sa question, et le sourcil d’Andra s’ourla d’une inflexion notoirement amusée, accent circonflexe prompt à la gentille taquinerie, alors que la confession de l’origine de sa lecture laissait suffisamment à son imagination fertile pour qu’elle n’en tire pas profit. La scène qui se dessinait dans son esprit aurait valu, à elle seule, quelques lignes pour écrire un vaudeville charmant. Du reste, cela lui rappelait les échanges sous le manteau au sein du Cercle, sans doute à un âge similaire, et se rendre compte que la jeunesse avait décidément les mêmes égarements lui procurait un agrément réel, de ceux qui arrivent avec la maturité, lorsqu’on se décide à regarder son parcours, et à philosopher sur les joies cachées de l’existence. Ainsi, elle nota :

« Une famille d’amateurs, donc. Je n’oserai demander le nom de votre sœur, mais je la remercie pour l’intérêt porté à mon badinage littéraire … et pour vous l’avoir fait découvrir, même involontairement.

Les auteurs aiment savoir qu’ils ont été lus, même si ce n’est pas mon ouvrage le plus … volontiers discuté en société, dirons-nous. »


Qu’on se le dise : Andra ne reniait aucunement ce débordement alcoolisé. Certes, ce n’était pas son travail le plus stylistiquement intéressant, loin s’en fallait, et il était certain qu’à choisir, elle aurait aimé être connue pour d’autres ouvrages. Mais peu importait. Du reste, une part d’elle s’était toujours amusée que ces pages sulfureuses puissent faire tourner les têtes, et que chacun s’interroge sur la part de vérité, sur l’identité de celle qui l’avait écrit. Ode aux laides, avait-elle écrit au cœur de l’opuscule. C’était sans doute son poème le plus personnel. S’en rendrait-il compte, Arnth Van Markham, en la regardant ? Peut-être, au vu de sa question. Qui lui arracha un sourire là encore franc, presque débonnaire, déplacé au creux de sa silhouette osseuse et longiligne, sur ce visage anguleux aux traits en partie déformés. Il enchaîna avec une suggestion, et cette fois, un petit rire lui échappa, rauque. Sa voix – grave pour une femme – répliqua, ses lèvres s’étirant en un demi-sourire dont le frémissement trahissait la suggestivité :

« On vous a bien informé. Les Démons du Désir ne sont pas nommés ainsi pour rien, bien qu’il serait réducteur de les cantonner au simple désir charnel. Mais il est vrai qu’un certain nombre ont des appâts à faire pâlir la Belle Oterra … »

La célèbre courtisane antivane, connue pour être l’une des plus belles femmes de Thédas, si on en croyait sa légende, était un nom apte à faire rêver le plus pur des esprits. Elle ajouta doucement :

« … Mais ce ne sont que des illusions, une pâle imitation de la vraie beauté, du réel plaisir. Les Démons singent ce qu’ils perçoivent comme nos désirs, mais sans avoir cette pulsion de vie qui attire et échauffe les sens, qui nous permet d’envisager les folies, parce que le regard de l’autre nous libère de nos contraintes.

Ce ne sera jamais, comme avec tous les Démons, qu’un marché de dupes, à la saveur avariée. Il est bien difficile de vanter de telles choses, ne croyez-vous pas ? »


Elle avait été bien trop sérieuse. Aussi retrouva-t-elle de la légèreté en glissant :

« Néanmoins, si le sujet est à votre goût, mon imprimeur a un nombre de libelles de cet ordre tout à fait fascinant. La qualité est très variable – c’est que le chapitre « Templières et Démons » d’Histoire de ma Vie de cet aventurier antivan connu est un classique qui a connu de nombreuses imitations peu glorieuses. »

Pour son autre question …

« Quant à votre autre interrogation … Si je dis oui, je perds l’attrait du mystère, n’est-ce pas ? Mais si je dis non, je perds celui de l’aventure. Oui et non, donc. »

La malice était visible sur le visage de la mage, qui indiqua :

« Cela dit, vous n’êtes pas le premier à me le demander. »

Était-ce la simple imagination qui avait provoqué l’écriture de ses vers ? Ou bien étaient-ils le reflet de frasques capables de défriser les dernières moustaches à la mode orlésiennes ? La première réponse était la plus innocente, et donc la plus décevante. Mais la seconde enlevait tout le charme du poète guidé par l’inspiration et sa plume. En vérité, comme souvent dans tout art, la réponse se situait à la frontière des deux, et en dehors de ces simples possibilités. Il n’était pas forcément évident de l’expliquer, et peut-être qu’en d’autres circonstances, elle ne l’aurait pas fait. Mais Arnth avait réussi, par la simplicité de son aveu, à faire naître chez la mage quelque chose d’assez rare : une bulle étrange de confiance. Ils étaient là, Garde-Acolyte et noble Ambassadeur, dans la bibliothèque d’une Commanderie, à deviser littérature pécheresse, comme hors du temps. Oubliées, les exigences diplomatiques, la cacophonie politique, l’Enclin, et probablement tout ce qui pouvait les séparer – rang, origine sociale, vie. Ainsi, elle osa confier :

« La beauté de la poésie, c’est de n’offrir qu’une vision, celle du poète. Ces vers étaient ma vérité, mes yeux, et en même temps, ils sont un mensonge, parce que je les aie tissés pour qu’ils ne reflètent que ma pensée.

C’est à la fois mon expérience, et ma création. »


Avant de conclure, se prenant au jeu :

« Donnez-moi votre préféré, je vous dirai ce qu’il en est. »
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Il n’était en réalité pas sûr que c’eût été involontaire – Mallory avait l’habitude de laisser trainer les affaires dont elle ne voulait plus, et celles-ci seulement, les autres si soigneusement rangées qu’elle en remarquerait tout de suite l’absence. Chaque emprunt avait autant de chance d’être un appât, cadeau indirect ou piège. Un livre négligemment posé sur sa table entrait-il dans ses plans machiavéliques ? Aucun moyen de savoir sans demander, et au fond il aimait autant ne pas savoir. Il aurait fallu écouter ses raisons, et deviner qu’elles étaient bonnes lui suffisait comme détail.

« Mallory. Van Markham, également. Sa réputation ne va pas se ternir rien qu’en vous disant son nom, quoique je doute qu’il vous apporte grand-chose… »

D’une idée à l’autre, les rares femmes qui faisaient sa vie défilèrent dans son esprit – Mallory, Tina, Gail, combien avaient lu l’ouvrage ? L’image d’Ernestine glissée sous ses couvertures, à l’affut des pas menaçant de débarquer brusquement dans sa chambre, penchée sur le livre interdit s’imprime dans la seconde suivante, apportant avec elle un lot de sentiments dont il se serait passé. Peut-être avaient-ils lu les mêmes choses, les mêmes nuits, et il s’étonna presque que l’idée le mette si mal à l’aise. Il avait pourtant, malgré lui, imaginé, comme tout le monde, les moments intimes de (ou avec) ses coéquipières, mais l’idée d’y joindre sa fiancée ne l’avait jamais effleuré. Il secoua la tête ; au moins Andra n’en voyait-elle rien et sa présence l’empêchait de s’embourber dans son malaise.

« À moins que Felicio Terras ne soit votre autre pseudonyme, je ne pense pas avoir lu vos autres œuvres, malheureusement. Mais je suis parfaitement satisfait de ce sujet. »

Eut-elle acquiescé qu’il ne l’aurait pas crue – rédiger, entre deux poèmes, la moitié des manuels scolaires nevarrans ? Son accent, ou son absence, assurait qu’elle venait d’ailleurs, si son nom ne le trahissait pas déjà, et il doutait soudain qu’elle ait la référence.

« Euh, Terras a codifié les bases de notre enseignement. Nous l’avons étudié pendant des mois, j’aime autant parler de livres moins émondés. L’inconnu est toujours plus intéressant. »

Comme pour le prouver, il s’aventure sur le sujet qui lui est peut-être le plus inaccessible sur cette terre. Les échos du philosophe matinal lui reviennent, pâles à côté de la conviction de la femme, alors qu’ils avaient semblé si pertinent quand il les avait écoutés. Mais ce concret, quoiqu’il en manque encore, lui parle plus – refus plutôt rassurant pour lui qui n’était pas convaincu que fricoter avec les démons soit une très bonne idée.

« Vous en connaissez plus que moi, déclina-t-il de répondre même à une question rhétorique. Un autre mage m’a dit s’amuser à chercher le vrai sous l’illusion et j’ai pensé que c’était possible pour un côté plus charnel, mais je ne me risquerais pas à vous en convaincre. »

Parle, parle pour ne pas voir la magie, pour ne pas devoir chasser les images de mort à nouveau. Comme tout le monde, il avait été élevé avec les histoires d’horreur – plus encore, parce que son père n’avait jamais aimé ces gens contre lesquels l’épée ne pouvait rien. L’image de leurs pouvoirs dormait sous la sympathie, l’intérêt et les explications rationnelles de l’Immatériel, mais elle restait présente. Grondement plus menaçant chaque fois que son regard tombait sur un bâton.

Il préférait se concentrer sur son visage, tellement plus vivant. Rajeuni, presque, et rassurant tant pour la magie bouillonnante que l’ennui qu’il avait craint d’éveiller. Il avait fini par comprendre que tout le monde n’aimait pas parler de soi, alors si en plus il ne faisait que répéter de vieilles questions ? Mais elle ne semblait pas la lui reprocher, et il décida de croire son sourire. Et qui était Arnth pour résister à l’opportunité de vanter ses préférés.

« La vraie réalité doit être fade, en comparaison. »

Il réfléchit, cherchant la porte de sortie : Mallory disait toujours qu’il répondait trop facilement. Sans succès.

« Il y en a une sur la chasseuse dans les bois… Enfin, elle est dans la forêt. Je ne sais plus si elle chasse, ramasse des baies ou cherche du bois ? Elle commence parNe rentre pas encore. Je les aime presque toutes, mais les quelques lignes de contexte étaient agréables ! … et la fille… jolie. »

Il n’y avait pas d’illustration, mais il la voyait comme si elle était devant lui – robe verte entrouverte, yeux perçants, longs cheveux ramenés en arrière, autant à la forêt qu’à la poète. Elle était en un sens plus chaste que d’autres, en ce qu’il était content en la lisant, sans réelle envie de plus – d’y être, si jamais, seulement pour regarder.
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Un très bref instant, une lueur particulière s’alluma dans l’œil d’Andra, et son expression devint légèrement mélancolique, mais elle se maîtrisa suffisamment rapidement pour son interlocuteur ne s’en rende pas compte. Le prénom avait réveillé en elle des souvenirs … oh, des souvenirs ! Elle n’avait pas fait le lien immédiatement, connaissant la propension des nobles névarrans pour les arbres généalogiques de plusieurs lieues, et s’était dit qu’il s’agissait probablement d’une cousine très éloignée, ou quelque chose du genre. Tout de même, quelle situation drôle ! Un rien gênante, pour d’autres, mais elle avait depuis longtemps appris à se défaire de cette appréhension étrange consistant à porter de l’intérêt à la manière dont les autres l’appréhendait. Elle avait appris à être en paix avec elle-même – du moins, à peu près. Elle n’avait pas honte de son existence, pour tourmentée qu’elle ait pu être parfois, pour mouvementée qu’elle ait pu être souvent. Le jour où elle avait débarqué en Orlais, la rancune aux lèvres et la rancune au cœur, elle s’était jurée que puisqu’elle avait désormais l’insigne privilège de parcourir le monde, comme le dernier des cochards pouvait le faire pourvu qu’il ne soit pas né mage, elle profiterait de chaque instant arraché à ses devoirs. Ainsi, elle était devenue cette silhouette rigide dans les commanderies, qui se transformait en écumeuse de ruelles à la nuit tombée. L’appétit de vivre de ceux que la mort aimait trop n’avait pas de limites. Quelle ironie, de se dire que la Chantrie, en voulant sa perte, l’avait précipitée à ce point dans le vice. Elle en appréciait d’autant plus son existence libre. Libérée aussi.

La disgression du névarran lui permit de mettre temporairement de côté cette réminiscence. Elle n’avait pas besoin de l’explication pour comprendre – à peu près du moins – la référence, mais apprécia néanmoins l’effort fait. Et puis, cela lui fournissait des informations sur son interlocuteur, qui, comme elle le subodorait, n’était pas exactement un homme de lettres, bien qu’il ait reçu une éducation plutôt soignée, comme la plupart des nobles. Cela avait eu jadis tendance à la navrer, de voir tous ceux qui avaient eu cette chance ne pas en profiter davantage. Mais enfin, c’était comme tout. Le riche de naissance ne comprendrait jamais la rapacité de celui qui s’était élevé à la force du poignet. Ainsi, celui qui était voué à l’illettrisme n’aurait de cesse de se gorger de ce savoir si précieux quand l’autre pourrait le dédaigner à volonté. Mais il s’intéressait à la littérature, au moins un peu, car en dépit du sujet, Andra avait la plume suffisamment alerte pour que ses écrits, quels qu’ils soient, soient le reflet de son appétence pour les écritures subtiles et les figures de style délicates. Une raison supplémentaire de ne pas avoir honte de son plus sulfureux ouvrage, qui était loin d’être un amas pompeux ou sans aucune subtilité comme tant d’autres. Peut-être était-ce la raison de son succès, également. Son expression se fit songeuse, tandis qu’il expliquait que sa suggestion démoniaque était liée à la confidence d’un autre mage. Il n’était pas impossible que ce dernier ait voulu jouer un tour au profane … ou alors évoquer d’autres choses. Elle n’était pas opposée néanmoins à discuter de l’idée, pour mieux la réfuter.

« Cet autre mage n’avait fondamentalement pas tort. L’Immatériel n’est que notre reflet, et nous renvoie à ce que nous sommes, à nos émois les plus forts et nos pulsions les plus profondes. Le Désir y apparaît dans toutes ses facettes, les plus belles comme les plus sombres.

Mais, pour vous donner une comparaison … Avez-vous jamais été avec une compagnie qui, pour charmante qu’elle soit, n’avait d’autre ambition que de vous satisfaire benoîtement, sans aucune … surprise. C’est exaltant sur le moment, et terriblement vide passé un certain temps.

Les démons s’appuient sur nos vérités, mais ce qu’ils offrent est illusoire. Un peu comme si vous payez une courtisane pour qu’elle vous aime : elle vous le dira, mais il n’en sera rien. »

L’Immatériel faisait peur parce qu’il était entouré de tous ces mystères, de cette métaphysique chantriste qui le rendait si peu palpable aux yeux des êtres dénués de magie. Par cette crainte perpétuellement alimentée, la détestation des mages était entretenue, ainsi que l’ignorance. Pourtant, même s’il manquerait toujours l’appréhension de ce visu de ce monde étrange, il n’était pas, selon Andra, impossible de faire comprendre ce qui était à leur portée. D’où ses métaphores certes purement profanes, mais qui lui semblaient appropriées pour faire comprendre, tout en montrant qu’il n’existait jamais entièrement une vérité pour quelque chose d’aussi mouvant, et que les catégorisations trop franches n’avaient pas d’intérêt. En un sens, elle aurait pu tenir exactement le même discours que le précédent interlocuteur porteur de magie d’Arnth, quoique dans des publications académiques afin de démontrer l’importance de considérer les mythes pour ce qu’ils étaient – des mythes donc – et de ne pas se laisser entraver dans ses recherches. Mais c’était là un champ tout à fait autre, et bien éloigné de la littérature érotique. Celle-ci avait pour but de sublimer la réalité de la chair, de rêver à des embarras délicieux. La vérité, là encore, était un concept par trop limité pour s’en satisfaire. Ce qu’elle pointa avec élégance :

« Le plaisir intellectuel et le plaisir de la vie appartiennent tous les deux à des temporalités différentes. On y trouve des satisfactions différentes, et pourtant similaires. »

Le premier avait l’émoi solitaire, le second le souffle chaud d’autres corps. Le premier était le secret de son propre jardin, le second le délice partagé de ses fruits. En attendant, elle était curieuse de savoir quel était celui d’Arnth dans la première catégorie. Le choix était intéressant. C’était peut-être l’un des poèmes les plus simples du recueil. C’était aussi un des plus personnels, et en vérité, le choix en lui-même était notoirement comique, mais cela, elle le lui expliquerait peut-être. Mais il avait une forme de douceur, d’affection, qui transparaissait clairement. Andra ferma un instant son œil et se perdit dans ses souvenirs. Les mots, eux, vinrent seuls :

« Ne rentre pas encore.
Reste avec moi.
Ne te dérobe pas.
Oublie le cantor.

Ici, il n’y a que tes yeux, ta bouche, ton visage,
Et mon regard sur toi.
Tu es belle. Comme j’aimerai que tu me croies
Quand je te le murmures dans la verdeur de l’orage.

Donne-moi quelques minutes.
Tu es partout, dans ces bois.
Ton pas sur la mousse le rend de soie.
Et le vent frissonne au contact de ta nuque.

Les frondaisons nous cachent aux yeux des autres,
Alliés précieux, témoins silencieux. Et mon émoi,
A te voir partir, ils seront à jamais les seuls qui le voit.
Ils attendent la fin de ta maraude.

Ta chasse git. Ton arc est abandonné. Sais-tu seulement,
A quelle point cette proie
N’a jamais été celle que tu croies ?
Prisonnière, j’attends mon châtiment.

Tu te penches pour ramasser ton dû.
Je parcours le corsage sournois,
Et mon souffle s’en souvient, comme mes doigts.
Je te cueille à mi-parcours. Baiser éperdu.

Ne rentre pas encore.
Laisse-moi t’aimer comme autrefois,
Et murmurer au creux du chemin étroit,
Que l’amant que tu rejoins ne t’adorera pas comme je le fais chaque fois. »


Sa voix s’éteignit, douceur délicate, émotion rauque sous la tonalité de contralto. Chaque phrase était le témoignage d’un baiser oublié, et d’une tendresse abandonnée. Elle hésita, puis avoua :

« C’était le préféré de Mallory aussi. »

Temps suspendu.

« Au moins, vous savez maintenant d’où lui vint ce livre. Sauf si votre soeur a une homonyme parfaite.»
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Voilà une comparaison guère flatteuse, qui lui vint avant qu’Andra ne la complète ; pour peu il s’inquièterait que les démons s’en offensent, mais il appréciait trop la prévisibilité des filles des rues pour y voir une critique immodérée. Il y avait d’ailleurs la différence fondamentale que les serpents gagnaient rarement, mais c’était sûrement une réflexion trop naïve pour compter.

« J’espérais mieux, avoua-t-il. Des créatures qui peuvent lire les âmes devraient faire mieux que celles qui ne voient que l’argent. Embellir quelques coins pour pousser l’homme où elles le veulent, jouer sur ce qu’on ne suspecte pas… » Il haussa les épaules. Il n’y avait jamais réfléchi en réalité, mais il les imaginait au moins plus profonds qu’une catin. « J’imagine que s’ils ne font que personnifier une unique émotion, les moyens sont limités. Vous proposent-ils au moins des mots quand vous écrivez ? »

À défaut d’idées, ils devaient avoir une réserve inépuisable de synonymes – ce qu’ils pouvaient offrir aux autres il ne savait pas, mais il ne pouvait imaginer vivre avec eux toute sa vie sans jamais rien en tirer. Oh, elle n’aurait aucun mal à l’y faire croire, maitre d’idées et de phrases qu’elle était ; la cascade de pensées qui s’égrenait sans qu’il en voie la source l’assurait qu’autant qu’elle savait de quoi elle parlait, autant elle savait pourquoi, et jusqu’à où elle avait réfléchi avant d’estimer le concept digne d’être énoncé. Arnth n’avait que le cœur et l’inspiration, qui se laissaient aisément convaincre par l’intelligence – surtout quand il n’avait pas décidé de refuser son interlocuteur en bloc. Ça n’empêchait qu’il restait pour l’instant convaincu que les démons avaient une utilité cachée.

Il écouta pour la première fois la poésie qui l’avait bercé, les échos des pierres remplaçant les bruissements de feuilles, pris de nostalgie. Presque trois ans qu’il n’avait plus entendu sa langue, et elle revenait enfin, inchangée ; elle lui manquait d’autant plus que le havenois et son accent prétentieux ne convenaient à rien. La voix rauque, si adaptée aux angles durs du nevarran, ne resterait sans doute pas longtemps dans sa mémoire, mais il l’appréciait.

« Vous avez bonne mémoire. Merci. »

Sa voix est plus douce quand il sourit, peut-être est-ce ce qui encourage l’aveu.
Il cligne des yeux. Avant d’oublier de le faire totalement.

« Vous la connaissiez ? »

Bien sûr qu’elle la connait, elle connait son poème préféré. Sa main se serre spontanément autour du pommeau trouvé à l’aveugle, au moins un appui familier dans la surprise. La question n’attend pas de réponse, mais la stupéfaction demandait à sortir, chassée par la consternation.

« Je ne sais pas si je dois d’abord m’indigner qu’elle ne m’ait rien dit ou m’excuser d’avoir volé votre présent. Vous étiez proches ? »

Il fouille rapidement ses souvenirs, sans effort puisqu’il sait qu’il n’y a rien. Pris de sueurs froide, il envoie une courte prière à qui l’entend – que ce soit une blague, qu’un éclair foudroie Mallory sur-le-champ, qu’un éclair le foudroie. C’est une bonne nouvelle en soi, une nouvelle piste à discuter, mais ses pensées lui ont déjà échappé quelques bornes plus loin, au pays des enfants cachés et des sorcières… L’épée d’abord, réfléchis plus tard. Avec un effort concentré, il remet ses sourcils à hauteur normale et relaxe les épaules.

« Pardonnez-moi, ça ne me regarde pas. Je lui demanderai directement. J’en suis juste… surpris. » Il parvient même un petit sourire résigné, les malédictions repoussées plus profond dans son crâne. « Qui eut cru que je lui devais toute cette conversation ? »
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« Ma comparaison est un peu cruelle, je l’avoue. C’est … en réalité, leurs moyens sont illimités. Ils puisent dans vos désirs les plus secrets, les mieux gardés ou les plus honteux, dans les espoirs que vous avez enfoui profondément, aussi. Le désir est infini, après tout. On peut promettre à quelqu’un la vie de famille qu’il n’aura jamais. On peut promettre l’amour de la personne aimée. On peut promettre de connaître, une fois dans sa vie, le plaisir le plus exquis, le plus décadent, le plus onirique. On peut promettre la simple caresse d’un baiser volé, ou la lubricité d’une orgie débridée. On peut offrir … ah, tout est permis. Même ce que vous n’imaginiez pas, ou qui restait comme une ombre dans un recoin de votre esprit.

Mais ce qui est offert n’aura jamais la beauté d’une relation mutuelle, le charme d’une union librement désirée, le plaisir d’une autre personne contre soi. Ce ne sera qu’une ombre. Elle sera vraie, en ce qu’elle sera ressentie, en ce qu’elle prendra appui sur ce qui nous est précieux. Mais elle sera vide de sens.

Et elle sera un sinistre jeu de dupes. »


Etrange discours, pour une vile maléficienne, n’est-ce pas ? Il faudrait qu’elle le recopie pour l’envoyer au Cercle d’Hossburg, avec ses compliments. Andra était depuis trop longtemps sensible à l’Immatériel et à ses dangers pour pouvoir en parler librement, mais avec le recul et la prudence induite par celle qui, de facto, avait pu voir ses dangers. Avoir quitté le giron de la Chantrie n’empêchait pas de maintenir une attitude raisonnée vis-à-vis des ombres rôdant au sein de l’Immatériel. Surtout que ces dernières ne manquaient guère d’armes pour lui murmurer leurs tentations. Curieusement d’ailleurs, elle avait été rarement tentée sur le terrain du désir brut. Peut-être parce qu’elle trouvait fort bien seule à le contenter, merci beaucoup. Ou peut-être également car, aussi curieux que cela puisse paraître, elle n’en faisait pas un impératif de son existence. Elle avait bien vécu, profitait avec allégresse de certains plaisirs. Mais elle n’avait jamais éprouvé de regrets vis-à-vis de sa condition de mage puis de Garde des Ombres, et de ce qui pouvait y être associé. Pour la première, il lui semblait intolérable que de telles règles soient instituées au sein des Cercles, mais il s’agissait là d’un constat général et non personnel. Non, ce n’était pas le terrain sur lequel allait les démons dans son propre cas. Ni l’inspiration d’ailleurs, tout simplement parce qu’elle avait une opinion de ses talents suffisamment haute – et un certain succès tout de même pour le confirmer – pour que de telles promesses soient insipides à ses yeux.

« Ils peuvent vous promettre la créativité la plus folle, le succès … Vous proposer leur aide. Quitte, en effet, à tenter de vous appâter avec quelques propositions. »

Qui apparaissaient certes parfaitement calibrées, et pourtant … Était-ce intéressant, de se voir souffler ses propres mots ? L’orgueil du lettré qui sommeillait chez Andra en était fort offensé. Son attention fut néanmoins bientôt attirée par un sujet de conversation plus intéressant, et peut-être plus piquant – plus dangereux, peut-être aussi. Tout le monde n’aimait pas en apprendre trop sur la vie privée de ses frères et sœurs. Sauf quand on vivait dans un village perdu et que ce concept n’avait qu’une acceptation très limitée, mais elle n’était plus dans les Anderfels, et avait face à elle, en l’occurrence, un noble. Qui donc, parlait de sa sœur. D’un autre côté, elle s’était trop avancée, et en soit … eh bien, quand le vin est tiré, il faut le boire, comme dit le proverbe. Elle hocha la tête à sa question :

« Oui. »

Oui, elle avait connu Mallory Van Markham, et en conservait des souvenirs … qui étaient loin d’être désagréables. Jusqu’à quel point étaient-elles proches, en revanche, n’était pas forcément une information qu’il lui semblait aisée à délivrer, surtout que cela empiétait sur la vie privée de l’autre femme, et qu’Andra n’y tenait pas nécessairement. Enfin, au vu de ce qu’elle avait dit, Arnth pouvait avoir une assez bonne idée de ce qu’avait été leur relation, mais elle préféra ne pas exactement lui donner satisfaction. Elle se perdit dans ses souvenirs, à la place. Soirées dans des tavernes à l’abri des regards, conversations profondes, une réception diplomatique donnée par des orlésiens. Les loups sur les visages avaient certains avantages, la mage s’en était vite rendue compte. Mais tout cela appartenait au passé, et à quelques lettres envoyées.

« J’admets que je ne l’aurai pas cru non plus. Aussi idiot que cela paraisse, je n’avais pas vraiment fait le rapprochement malgré vos patronymes … Comme j’avais plutôt l’habitude de familles nobiliaires étendues, lorsque j’étais au Nevarra, je m’étais dit que vous étiez vraisemblablement un cousin … »

Relativement éloigné, mais cela ne lui sembla pas utile à indiquer. Notoirement amusée de la situation néanmoins, elle pépia :

« En même temps, des présentations familiales n’étaient pas vraiment à l’ordre du jour. Je doute que ma personne ait reçu beaucoup de suffrages positifs. »

Il n’y avait pas d’amertume dans sa phrase, seulement une réelle ironie, ainsi que, sous-jacent, l’admission crue d’un fait contre lequel elle ne pouvait rien.
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Les phrases faisaient sens, à première écoute, alors pourquoi le tout n’en avait-il pas le plus mince début ? Il ne comprenait plus rien aux démons vus par Andra, pour peu qu’il comprenait avant, si ce n’est qu’elle illustrait parfaitement les défauts des mages. Incompréhensibles. Par leur faute ou parce qu’il était incapable de visualiser une ambiguïté invisible, ils se plaçaient trop loin des hommes sans en informer leur corps ; dans un monde idéal ils n’existaient pas, et dans le meilleur des imparfaits ils étaient tous ensemble loin des gens normaux. Triste gouvernement qui ne leur donnait aucun des deux.

Il aurait aimé savoir ce qu’ils lui proposeraient, mais se ravisa le temps qu’il fallut pour mettre la pensée en mots. Il ne pouvait qu’espérer que chacun se cantonne à un mage sans illuminer les esprits des autres – qu’ils leur soufflent comment manipuler leurs interlocuteurs, et… Tiens, oui, ils feraient de bons espions. Par quoi il entendait qu’ils feraient les pires adversaires – mais peut-être l’étaient-ils déjà, et chaque prince avait son apostat pour le conseiller et dévoiler les sentiments de ses interlocuteurs.

« Savez-vous quelle ombre je veux voir, au plus profond de moi ? »

Kendric, Tylus, tous deux en auraient été capables, alors sa peur était justifiée – non qu’il ait, à sa connaissance, à cacher, mais l’idée d’être ainsi ouvert aurait dérangé n’importe qui. Forcément.

« Je déduis, s’ils ne font que tenter, que vous parvenez à les ignorer ? C’est un combat que je n’aurais pu vous reprocher d’avoir perdu, mais j’apprécie que vous ne l’ayez pas fait : il est plus agréable de s’être attaché à vos mots qu’aux leurs. »

Toutefois, s’il interprétait mal, le fond avait-il toujours un intérêt, puisqu’il ne pouvait venir que d’elle et de son passé, peut-être, et ses rencontres… C’était le moment de rappeler sa promesse – il n’en fit rien. Sa vision surpassait la réalité, finalement, et si Mallory avait un lien quelconque avec sa poésie préférée il préférait ne pas savoir. Écarter les deux sujets était le plus sûr pour lui comme pour la courtoisie.

« Les van Markham sont une famille assez réduite, en réalité. Certains aiment se disperser pour se sentir omniprésents, mais mes grands-parents, et ceux qui les ont précédés, ont estimé qu’il valait mieux un tronc solide que dix branches oubliées. »

Mallory et lui ne devaient avoir, en tout et pour tout, que trois cousins – l’équivalent d’une autre famille décimée par la peste.

« Que la terre m’avale si Mal en a quelque chose à faire ! Nous étions assez proches pour qu’elle vole la moitié de mes tenues, et le seul secret qu’elle ait eu devrait être une simple connaissance ?»

Vexé à plus d’un niveau, il ne faisait guère plus d’efforts pour masquer son emportement, même s’il était bien loin des éclats de réelle colère et qu’il était clair que rien ne visait Andra. Il croisa les bras en soupirant.

« Enfin, il faut croire qu’elle ne vous a pas parlé de moi, non plus. Je ne sais qu’en déduire de ma réputation. »
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Certaines questions avaient plus de poids que d’autres. Surtout quand il s’agissait de deviner des secrets. Lentement, Andra se releva, et sans cesser d’observer l’Ambassadeur, préféra s’installer contre le mur, légèrement appuyée, ses bras croisés devant elle. De biais, elle pondéra sa réponse. En vérité, depuis le début de cet entretien pour le moins incongru, la mage se demandait qui était réellement ce noble qui s’abaissait à discuter longuement avec une manipulatrice de magie, une apostate pour tout ce qu’il en savait, une Garde-Acolyte qu’il ne connaissait qu’à travers une publication de poésies galantes. Rien que le fait qu’il ait révélé cette lecture, qu’il en ait parlé, qu’il continue à l’entretenir de démons attirait fatalement son attention. Parce que le commun des mortels n’aurait pas osé avoir cette conversation, et surtout pas en de tels termes, engoncé dans les certitudes chantristes. Sans parler de l’aveu du départ qui ne cadrait pas avec ce qu’il était attendu d’un noble ambassadeur. L’homme était singulier, ou en tout cas, ce qu’il lui donnait à voir l’était. C’était rafraîchissant. Original, à tout le moins. Bien sûr, ce pouvait être une fausse image. Mais quel intérêt de jouer au Jeu avec elle, qui n’avait aucun poids politique, qui ne pouvait rien apporter ? Elle n'était même pas Garde de Rang. C’était donc, aussi improbable que ce soit, autre chose qu’une illusion projetée et fabriquée. Et par conséquent, cela en disait potentiellement long sur la personne qu’était Arnth Van Markham. Alors, à la question qu’il venait de lui poser, il convenait d’analyser soigneusement tout ce qu’elle avait entendu ce jour-là. La réponse lui parut évidente. Croisant le regard du nevarran et le fixant soigneusement, Andra déclara :

« La liberté. Vous voulez être libre de vos mouvements, de votre vie, qu’on vous offre l’existence tranquille dont vous rêvez. Peut-être, sans doute aux côtés d’un être aimé. »

C’étaient des pensées qui ne pouvaient que trouver écho chez quelqu’un comme elle, bien qu’elle ait toujours eu du mal à comparer les chaînes que s’imposaient les nobles pour répondre aux attentes de la haute société et celles, tangibles, qui avaient pu être les siennes. En un sens, rien n’empêchait Arnth de tout envoyer paître et de refaire sa vie. Au Cercle, c’était impossible, car il était le seul horizon imaginable. Et non, la Garde des Ombres n’était pas une réelle échappatoire. Déjà parce qu’il était plus que limité, et que l’immense majorité des mages des Cercles ne verraient jamais un recruteur approcher. Ensuite, parce qu’il s’agissait, quoi qu’on en dise, d’une sentence de mort, et que tout le monde n’avait pas envie de passer son existence les pieds dans les engeances. Mais la liberté ferait toujours rêver. Ce n’était pas pour rien qu’elle était le murmure le plus commun de l’Immatériel et de ses habitants. Du révolté au simple rêveur, tous y songeaient. Et il n’y avait pas une notion aussi contradictoire, aussi conflictuelle. L’esclave comme l’Altus pouvaient y songer de concert. Le laboureur et son maître se l’imaginaient différemment, mais l’imaginaient ensemble. Pour les uns, la liberté serait de choisir son destin. Pour les autres, de simplement en avoir un. Peut-être que la différence résidait dans cette nuance. Ceux qui avaient tout rêvaient que cela ne leur coûta rien, quand ceux qui n’avaient même pas le loisir de posséder ne pensaient qu’à grapiller une parcelle de cette richesse qui miroitait dans leurs prunelles. Et il y avait une ultime catégorie, enfin, qui n’aspirait qu’à avoir le droit d’envisager cette chute ou cette élévation. Sauf qu’ils étaient prisonniers de leur nature, et prisonniers des chaînes qu’on leur avait imposées, par la voix de textes écrits de main humaine et professés comme la parole d’une divinité éloignée, qui n’aurait donc que faire que l’on parle à sa place. Cela, elle ne pouvait pas le dire. Elle se contenta néanmoins de répondre brièvement à sa question suivante :

« Si ce n’était pas le cas, Ambassadeur, nous ne serions pas en train de parler, car vous n’auriez probablement personne en face pour le faire. »

On en revenait toujours à cela : la possession, la transformation en abomination. Et cela pouvait venir d’un petit détail, d’une minuscule envie, qui enflait, jusqu’à devenir insupportable. Jusqu’à laisser la porte entrouverte pour l’irréparable. Des souvenirs lui vinrent. Elle les chassa. Il était plus agréable – mais tout aussi dangereux – de songer à des chuchotements plus doux, à la sensation de chatouillement dans son cou, par un souffle humain et non les doigts méphitiques d’une Ombre. Il était plus agréable de songer aux parenthèses heureuses de son existence, quand bien même il était étrange de les aborder avec … Arnth. Distraitement, elle commenta :

« Mes excuses, j’avoue qu’après avoir appris à identifier les quatorze branches Penthagast, j’ai pensé que ce n’était pas une exception locale … »

Curieusement, l’Ambassadeur semblait plus … vexé, oui, c’était le terme, de ne pas avoir été mis au courant des affaires privées de sa sœur que par leur potentiel contenu. C’était, là encore, inattendu. Et étrangement attendrissant, de voir ce solide gaillard se rembrunir à l’idée que sa sœur aînée ne l’ait pas tenu au courant de ses secrets, ou qu’elle n’ait pas parlé de lui. Cela montrait une fratrie soudée. Unique en son genre, aussi, parmi tous les nobles qu’elle avait pu côtoyer, de naissance ou de titre. Avec amusement, Andra se rendit compte qu’Arnth lui plaisait. Au sens amical du terme. Mais il y avait quelque chose de réconfortant dans sa présence intimidante, et dans cette affection fraternelle qui ne s’attardait pas sur le cœur du sujet, à savoir la personne se trouvant en face de lui. Avec un sourire sincère, elle le contredit donc :

« En vérité … Elle m’a parlé de vous. D’un frère cadet, en tout cas. Fort, avec un sacré tempérament, bon soldat, bon camarade … et surtout, son fidèle soutien. Mais je ne connaissais pas votre prénom, et c’était bien avant votre départ comme Ambassadeur. »

Parler n’était pas réellement ce qui les occupait, à l’époque. Elle préféra ne pas émettre cette pensée à voix haute. Avec précaution, elle demanda :

« Vous pensez que votre père aurait accepté une telle fréquentation ? »

Un instant, elle se perdit dans ses souvenirs, à nouveau. Et avoua :

« C’était moi, qui préférait ne pas ébruiter cette relation. Je pensais … que c’était mieux pour elle. N’en veuillez pas à votre sœur. »
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Ce ne fut que quand elle eut émis sa théorie qu’il réalisa combien les grandes lignes étaient limitées – ambition ou liberté, vengeance ou amour, et on avait fait le tour. Encore fallait-il choisir, mais dans l’idée la discipline n’était pas si dure, et si vague que la réussite d’Andra n’était plus très inquiétante. La simplicité de l’homme était parfois un réconfort. Il hocha la tête, à ses supposés rêves de liberté (si seulement ils étaient un peu moins distants) comme au rappel de l’ultime sentence des mages. Comme aux Pentaghast qui devaient au même moment tourmenter son père – c’était une lignée sympathique mais elle promettait de ne pas le rester longtemps.

« Vous aviez raison. La plupart des nobles doit être comme eux. »

Relativement intéressants également, et il était plus qu’heureux d’en revenir à plus humain que l’aristocratie. Y avait-il plus éloigné que la cour que la vie privée de sa sœur ? « Oh. » Une vague d’affection (et de fierté) l’enveloppa au rapport des mots, qu’il doutait être ceux de Mallory mais dont il croyait le contenu. C’était sa façon de décomposer les hommes sans omettre les domaines moins flatteurs, et même si la mage avait résumé, le bon qui en ressortait lui suffisait.

« Je n’en veux ni à elle ni à vous, bien que la raison du secret m’échappe. Mallory aurait convaincu notre père de ce qu’elle voulait, au prix de notre paix à tous si besoin. »

Mais telle n’était pas tout à fait la question. En aurait-elle eu besoin ? Qu’avait Andra de si dérangeant ? Il l’observa un instant, dressant un inventaire exhaustif ; une accumulation malheureuse, mais au fond…

« La magie s’excuse au Nevarra, et il n’y avait pas d’enclin à l’époque. Tant que je fais mieux, il se serait fait une raison – je suis sûr que vous n’aviez pas que des inconvénients. »

L’absence de descendance en était un ; à l’époque elle aurait eu une chance, garde des ombres ou pas, et il pouvait l'affirmer avec toute la conviction du monde. Il n’osait imaginer la réaction si elle avait proposé de conscrire Mallory pour fuir à Starkhaven, mais il n’y avait pas besoin de l’en informer alors qu’elle était déjà si hésitante à en parler. Il la regarda curieusement, cette femme qu’il avait failli avoir à défendre implicitement et dont il savait si peu.

« … Elle vous manque ? » Un court silence passa, comme s’il fallait doser l’indiscrétion pour passer inaperçu et qu’une voix qui se voulait douce n’y suffisait pas. « Vos parents n’auraient pas accepté, eux ? »
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Un hochement de tête pour toute réponse : les questions intimes se contentaient souvent de cela. Andra ne s’était pas attendue à ce qu’un noble, aussi peu conventionnel soit-il, lui ouvre son cœur. Au moins jugeât-elle ne pas s’être trompée, ou au moins, avoir touché quelque chose. En même temps, n’était-ce pas l’ivresse ultime que la liberté ? Tous la cherchaient, d’une façon ou d’une autre : elfes avides d’échapper à leur condition, roturiers fatigués … et nobles désireux de s’échapper de leur cage dorée. Quant aux mages … leur existence était une condamnation à l’enfermement. Curieux néanmoins, de constater à quel point personne ne se satisfaisait jamais de son sort ? Elle-même après tout aurait pu rêver de se libérer des entraves de la souillure, et ses recherches portaient sur cette question, alors qu’elle était plus libre que nombre de ses semblables. Elle en avait conscience, du reste, et c’était sans doute pour cela qu’elle avait accepté son sort avec résignation. Mieux valait la mort lente de la souillure à celle, rapide, délivrée par une lame de templier. Celle-là ne l’empêchait pas, au moins, de vaquer à sa guise, à peu près et de mener une vie qui avait le mérite d’être plus aventureuse que celle qu’elle aurait eue en restant entre les quatre murs du Cercle. Mais on ne se satisfaisait jamais entièrement de sa condition, car la réelle liberté, sans doute, n’existait pas, ou si peu. Sans cesse, des chaînes, visibles ou invisibles, venaient la limiter : amour, richesse, pouvoir, statut, tradition … Tant de mots creux, pour tant de maux douloureux.

L’amour, peut-être, demeurait l’élément le plus consolateur – le plus dangereux, aussi. De toutes les cruautés infligées aux mages, celles de contrôler à ce point leur vie privée avait toujours semblé à Andra l’une des plus atroces. Oh certes, la liberté de mœurs qui régnait dans les Cercles n’était pas galvaudée, quoique les auteurs aient parfois une imagination un peu trop débordante, car ce n’était pas non plus des lieux de débauche aussi prononcés que certains écrivains de mauvaises feuilles avaient tendance à dépeindre. Mais … il est vrai que la question n’était pas entourée de beaucoup de tabous. Précisément parce que les apprentis vivaient ensemble, et que les aventures galantes des uns et des autres étaient rapidement connues, ne seraient-ce que par les malheureux voisins de chambrée qui éprouvaient quelques difficultés à fermer l’œil face à des amants … enthousiastes. Et c’était bien là tout le problème : l’attrait charnel était toléré, les relations longues considérées avec suspicion, surtout entre sexes différents, car une grossesse demeurait une impossibilité, une malédiction. Andra se souvenait des discussions des autres apprenties, des peurs, des potions échangées, des conseils plus ou moins farfelus … et des demandes chuchotées, parce qu’on savait déjà qu’elle avait des connaissances à ce sujet. Et il y avait les silences, quand l’enfant arrivé était emporté. Le regard sentencieux de ces sœurs chantristes … elle n’avait pas oublié. Mais c’était leur lot, n’est-ce pas ?

Vivre en dehors du Cercle permettait de goûter, au moins un peu, à cette liberté si fugace d’aimer sans barrière. Andra en avait pleinement profité. Un peu trop, auraient dit certains. Jamais trop, répondait-elle souvent. Mais de cette existence tumultueuse, il y avait quelques relations moins éphémères que les autres. Elle avait tendance à les éviter. Mais parfois, même les amoureux de l’instant se laissaient aller à caresser l’éternité. La vie de Garde n’y était pas propice. C’était sans doute mieux ainsi. Restaient les souvenirs, quelques regrets, et l’impression fugace d’avoir effleuré du doigt ce qui aurait pu être. Comment expliquer cela à quelqu’un qui donnait cette impression soudaine que tout aurait été possible ? La mage s’était attendue à beaucoup de réaction, à de la gêne, et à cette once de dégoût qui venait si souvent colorer les prunelles de ses interlocuteurs. Mais non. Et c’était surprenant, suffisamment en tout cas pour qu’elle se demande si … Non. Il était futile d’y penser. Il n’empêche. L’espace d’un instant, elle se demanda ce qu’aurait été sa vie, dans le cas contraire.

Comment expliquer à un homme qui déclarait, entre les lignes, qu’il n’aurait pas eu de mal à vous avoir comme belle-sœur, qu’être mage et garde des ombres – et autrice de recueils érotiques - n’étaient pas les derniers de vos défauts ? Andra se mordit la lèvre inférieure.  L’ombre d’un sourire passa sur ses lippes, et elle finit par répondre :

« J’en avais un certain nombre, croyez-moi. »

Elle ne voyait pas, à vrai dire, ce qui, dans toute sa personne, n’était pas un défaut. Femme, mage, roturière, laide – elle avait depuis longtemps abandonné toute illusion à ce sujet – et accusée d’être une maléficienne … Cela faisait beaucoup. Trop. Personne n’aurait voulu de quelqu’un comme elle dans sa famille, pour sa fille, et elle le comprenait. Peut-être, si les rôles étaient inversés, aurait-elle eu exactement la même réaction. Elle était condamnée aux ombres, et non à la lumière. Au secret, et non aux présentations. Cela lui allait. Cela ne pouvait que lui aller, parce qu’elle n’avait pas le choix. Restait alors, la question muette : et si … ? Elle s’interdit d’y penser, fermement. Mais son cerveau, traître, glissa vers des années antérieures, vers des souvenirs doux. Un rire résonna dans son esprit, chaud et libre. Un souffle imaginaire caressa sa nuque, lui arrachant un léger frisson. Ses doigts se refermèrent dans le vide, pendant qu’ils s’entremêlaient avec une main invisible. L’aveu lui échappa :

« Oui. »

Mallory lui manquait. Bien sûr. Les moments de bonheur étaient trop rares pour ne pas être regrettés. Elle ne savait que dire d’autre. En un sens, c’était déjà trop. La question suivante, heureusement, l’empêcha de développer. Son sourire se figea en un rictus à l’expression difficilement déchiffrable. Son œil, auparavant légèrement perdu dans le vague à l’âme de ses souvenirs, s’étrécit, et une lueur sombre brilla dans l’unique prunelle. Une bile amère, âcre, chancre étouffant qui envahit son cœur, se déversa dans sa gorge. L’écho de voix lointaine lui revint, et cette fois, il n’avait rien d’agréable. Surtout, ce qu’elle entendait, c’était sa propre voix de gamine terrifiée, ses suppliques. Mais Papa et Maman n’étaient jamais venus la sauver. Parce que Papa et Maman étaient comme les autres. D’une voix particulièrement maîtrisée, et donc à la neutralité presque monochrome, elle expliqua :

« Je n’ai pas revu mes parents depuis le déclenchement de mes pouvoirs. »

Une expression sinistre lui vint. Elle remisa sa mèche de cheveux bruns derrière son oreille, dévoilant l’intégralité de son visage à l’Ambassadeur.

« Rassurez-vous, j’ai tous les jours un miroir pour me souvenir d’eux. »
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Arnth n’en doutait pas, les défauts apparaissaient et disparaissaient mais n’étaient jamais vraiment absents – il les voyait, chez Andra comme chez les autres, aussi clairement que les qualités. Ceux de la femme n’étaient pas si cachés qu’elle aurait aimé faire croire : trop brusque, impolie ; mal tenue ; bavarde et fière, et encore en lutte contre la satisfaction bovine qui rôdait. Il ne savait rien de ce qu’ils avaient été du temps de Mallory, mais imaginer les versions passées des hommes ne l’avait jamais intéressé. À quoi bon, alors qu’ils ne reviendraient jamais et que personne ne voulait les y forcer ?

« Certains en commun avec Père, nul doute. Nous n’attendons rien de mieux qu’humain. »

Mais le passé était le passé, et quelle importance si elle avait évolué à partir d’horreurs ou si elle avait toujours été normale ? Mallory ne reviendrait pas. Ce n’était pas tant remuer le couteau dans la plaie que scruter une cicatrice sous la lumière d’une flamme trop proche. Jusqu’à ce qu’elle se réveille, peut-être ; mais Andra seule voyait la limite, invisible à Arnth et à sa curiosité.

Il ne va pas jusqu’à insister, aussi satisfait que… dérangé, par la réponse. Il aurait préféré une dénégation – une coupure franche. De quoi abandonner le sujet ou le poursuivre sans remords, avec une distance rassurante. La garde s’attendait-elle à ce qu’il rapporte leur discussion à sa sœur ou était-ce une confession parfaitement innocente ? La sincérité n’avait pas de sens, quand elle ne venait pas naturellement – pas d’altruisme selon Tylus – et elle avait réfléchi. Plus à Mallory qu’à ses parents, auxquels il crut plus volontiers.

Un léger tressautement lui échappa à la vue de l’orbite presque vide, de surprise seulement. Il avait vu pire.

« J’espère que vous vous êtes crevé un œil pour moins leur ressembler. »

Il n’y croyait pas, bien sûr, et quantité de reproches lui venaient en imaginant la réalité. Que les mages révoltent, c’était presque normal ; mais que des mages, futurs Gardes des Ombres, soient rejetés par les peuples qu’ils devaient protéger, par les hommes que l’unité et la confiance auraient pu sauver ? Une campagne amicale était un vœu naïf, mais au moins son absence était-elle inévitable : les mages pleins de haine ne l’étaient pas.

« La magie compense une famille amnésique, apparemment, déclara-t-il en désignant du menton la salle ornée de bleus et de plumes abandonnées. Vous n’avez pas l’air de souffrir de solitude. »
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« Rien de mieux, et parfois, rien de pire, n’est-ce pas ? »

La question resterait sans doute en suspens, et la réponse également. Andra savait que ces rêveries sur ce qui aurait été, et ne serait jamais, ne mènerait jamais à rien. Arnth ne pouvait pas non plus l’ignorer. L’humanité et ses folies avaient détruit cette relation qui demeurait chère à son cœur, en la jetant au creux de combats insensés, pour mieux la convaincre de la mort qu’elle portait au bout des doigts. Malgré le retour en Névarra, bref, après la Quatrième, les deux femmes avaient rapidement compris que rien ne serait comme avant. C’était long, deux ans, après tout. Restaient néanmoins les souvenirs, et l’ombre des regrets qu’elle avouait. La mage avait beaucoup étreint, mais peu aimé, au cours de sa vie. Peut-être parce que la première trahison avait été trop vivace. Peut-être parce qu’elle s’était convaincue de ne pas être capable d’être la personne qu’il fallait à celles qu’elle aimait. Peut-être parce que son existence la condamnait à des aventures qui, brèves et longues, ne conduiraient jamais qu’à des séparations douces et amères, à jamais douces-amères. Cela ne l’empêchait pas de songer, parfois, furtivement, à ces moments hors du temps, où elle avait été heureuse. Au moins un peu. A un rire qui résonnait encore dans ces oreilles, avant de le faire taire en basculant contre un oreiller déjà malmené. Au silence complice, dans les forêts avoisinantes, à l’abri des regards, avec le ciel pour seul horizon, et la conscience que l’éternité ne vaudrait jamais ces minutes abandonnées. Quel plus bel hommage à ces années que d’admettre la vérité, à savoir qu’elle y pensait encore, qu’elles avaient constituées, patiemment, une partie importante de son paysage intime, et qu’en dépit de tout, celle qui les occupait demeurait dans ses pensées ?

Elle ne pourrait pas dire la même chose de sa jeunesse, et de la fin brutale qui scella la sortie de l’enfance, et le massacre de l’innocence. Son visage redevint plus neutre, et elle darda son œil – et l’orbite vide dévoilée – l’ambassadeur, manifestement surpris par son apparence entière mais qui n’avait pas eu, comme d’aucun, un pas en arrière ou une manifestement faciale de dégoût. En vérité, s’ils n’avaient pas eu, jusqu’à présent, une plaisante conversation, Andra aurait pu être passablement offensée par son commentaire. A la place, sa gorge tressauta, et son rire se déploya. Il n’avait rien, néanmoins, des éclats précédents chaleureux et colorés. C’était ce rire froid, monochrome, à l’expression insondable et qui n’atteignait jamais la dureté de son unique prunelle. C’était un rire rauque, douloureux, profond, désagréable, comme un raclement contre un crâne, une sensation d’irritation. Il emplit la pièce, la balayant comme une brise vorace. Et l’œil unique luisait, posé sur l’Ambassadeur, en dépit des tressautements qui agitaient ses épaules osseuses face à cette hilarité moribonde.

« Cela leur aurait été trop agréable. »

Sa réponse claqua. La froideur du ton n’en rendait le caractère horriblement monotone, sans aucune hausse ou baisse de voix, sans tremblement, comme si ce qu’elle énonçait était passablement normal, que plus dérangeant. Elle sentit les muscles de son visage s’étirer en un mince sourire tout aussi distant, en entendant le constat de l’Ambassadeur. Une lueur indéfinissable brilla un très bref instant au fond de sa prunelle sombre.
TW : Violences sur mineur:
L’éducation reçue au Cercle, les prouesses permises par la magie … Rien, jamais rien ne lui rendrait les années d’enfermement, rien ne compenserait ce remugle infâme qui lui prenait la gorge à chaque fois qu’elle repensait aux Anderfels, au point de lui rendre insupportable le moindre accent, le moindre rappel. L’amour des livres, des mots, du soin des maux, et le plaisir d’amitiés ou d’amours cachées n’aurait pas la saveur d’une existence choisie, ni le doux son d’un souvenir sincère, plutôt que la douleur secrète de n’être jamais qu’une étrangère au milieu de la foule, qu’un stigmate vivant de ce que l’ignorance et la crainte pouvaient causer. Voilà pourquoi elle avait choisi de porter fièrement les marques de son infamie : pour ne pas oublier ce qu’elle avait été, et ce qu’elle ne serait pas. Pour porter sa haine, et subir le mépris. Pour vivre, et savoir qu’elle aurait dû mourir. Cela, elle ne pourrait jamais lui expliquer. A la place, elle posa son regard cyclopéen sur l’homme et demanda :

« Et vous, Ambassadeur ? La perspective d’une ambassade de plein pied rendrait-elle cette cité moins solitaire ? »

Ou bien n’était-ce que consolation, que murs de pierres pour se construire une défense et se sentir moins aliénés au milieu des autres qui vous regardaient passer ?

« La magie n’est jamais cause de solitude. Seule l’ignorance l’est.

Et à tout prendre, mieux vaut être seul que mal accompagné, et choisir ses actions en fonction de ses goûts, pour soi-même et non pour les autres. »
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Son ambassade, actuellement simple étage qu’il louait avec son propre argent, la voudrait-il vraiment ? Il l’imaginait grande, toute en pierres et aux draperies sobres qui rappelleraient sa patrie ; habitée de vrais ambassadeurs et de visiteurs ; des cheveux roux qui trainent, un bureau, des lettres et tout ce qui n’avait aucune place dans sa propre chambre. Une ambassade au sens le plus politique du terme, mais jamais il ne l’imaginait vide. Était-ce cela le problème ? Embourbé dans la propagande des alliances, peut-être perdait-il en effet son temps alors qu’il aurait déjà fini seul.

Il n’y aurait pas d’attente avec une ambassade de plain-pied, et paradoxalement c’est elle qu’il attend. Stupidement.  

Il ne répond pas, ce qui fait un aveu en soi. Créateur qu’il déteste cette ville. Pourquoi Andra ne pouvait-elle pas se jeter sur sa route au Nevarra ?

Sa vulnérabilité n’est rien face à celle que témoigne l’œil et la voix de la mage, même lui le reconnait, et n’hésite pas à l’apprécier – loin de la gêne qu’aurait pu amener le rire et l’éclat noir dans l’œil unique.

« Vous le pensez, ou vous essayez de vous rassurer ? »

Il était fermement du côté des mensonges s’ils simplifiaient la vie – il aimait affronter la vérité, mais si se convaincre de son bonheur était plus rapide qu’escalader laborieusement le deuil, il était pour. Pas besoin d’âme à nu pour vivre. Il aurait cru qu’Andra était de même avis, mais elle avait l’air de demander une pause – quelques minutes de plaintes et d’accusations. Il n’était pas sûr d’être le bon pour écouter, mais que lui en coutait-il d’apprendre un peu plus sur cette femme ?

Comprendre combien valait sa parole et son affection. Mallory n’avait plus rien à y gagner, mais elle était de toute façon déjà loin, laissant les deux havenois honoraires seuls. Ne jamais rencontrer ses héros… Allez savoir si c’était adapté – et si Andra était un potentiel héroïque.

« Mon ambassade ne sauverait peut-être pas tout, mais elle ferait son office. Une bonne nation au sein de mensonges. »

« Vous estimez que la Garde est une bonne compagnie ? »
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« Je le vis, Ambassadeur. »

L’assertion fut prononcée avec une sérénité étrange, comme un constat simple, qui ne souffrait nulle contestation. Andra le disait souvent : elle vivait avec une moitié de visage. Cela appelait à des conséquences. Pendant de nombreuses années, elle avait vécu avec moins que cela, avec un visage dont il restait si peu, et avait autant souffert des affres de la rééducation, des multiples sorts et onctions offertes pour lui redonner forme humaine que des regards des autres, du dégoût provoqué, de l’horreur tue, ou si mal dissimulée, voire de la froide détestation. Elle vivait en mage, et cela suffisait à provoquer, bien souvent, les mêmes émotions. Elle vivait en garde des ombres, et si elle eut pu en tirer du respect, demeurait la marque maudite qui ne la désignait pas comme Garde, mais comme Garde-Acolyte. Elle vivait. Là était sa vérité, aussi douloureuse qu’elle soit à supporter. Parce que longtemps, elle avait regretté la mort. A quoi bon survivre, pour une telle existence ? A quoi bon survivre, tout simplement ? N’était-ce pas une farce grotesque, que de ne pas parvenir au néant, et devoir traîner dans la lumière un corps massacré, une face béante ? Souvent, dans ses premiers temps au Cercle, elle s’était posé la question, tour à tour rageuse ou désespérée, incapable de soutenir la réalité de ce que lui renvoyait son miroir. Incapable de supporter son reflet dans les yeux des autres surtout. L’âme d’un tiers n’était jamais que le pire juge de ceux qui n’avaient rien à offrir que misère et laideur. Mieux valait la solitude. Mieux valait enterrer ce qui avait été, et ne serait jamais plus. Mieux valait s’entourer de personnes qui, à défaut de comprendre, ne jugeaient pas. Ou si peu. C’était pour cela qu’elle appréciait quelqu’un comme Hector de Granbois. Il avait une réputation encore pire que la sienne, et elle était capable – aussi odieux que ce soit – de concevoir comment on pouvait passer sa propre famille au fil de l’épée, pour y avoir rêvé, secrètement, un peu trop de fois. Il se moquait de ce qu’elle était, et elle le lui rendait bien. Mais c’était l’ignorance et la haine qui l’avait conduite là, et non sa magie. C’était la détestation, biberonnée dès le plus jeune âge à la tétée du Cantique, au remâchage sans cesse assenée de la faute crépusculaire d’une population qui n’avait jamais choisie d’être ce qu’elle était, qui lui avait coûté son œil, son visage, son corps, et son existence. Cela bien sûr, il était impensable de le dire. Mais la réalité n’en était pas pour le moins altérée, celle de sa vie entière.

Il suffisait de faire avec. De se contenter de quelques satisfactions mineures. Et si, pour Arnth, une ambassade de plein pied y pourvoyait, elle comprenait. Même si … au vu de ses dires, le problème resterait sa fonction, et sa localisation. Il y serait plus à son aise, mais jamais à l’aise, n’est-ce pas ? Là encore, elle garda la question pour elle-même, du moins pour un temps, parce que l’homme reprenait, et que son interrogation était d’une cruauté délicieuse pour Andra. Là arrivait la limite des confidences. Parce qu’elle ne pourrait jamais expliquer ce qu’elle ressentait réellement pour la Garde des Ombres, cet inextricable sensation de dégoût et de reconnaissance mêlée. Deux fois, elle lui avait dû la vie. La première l’avait conduite au Cercle, la seconde l’avait arrachée à l’épée templière. Impossible de le nier, inutile de l’effacer. Mais il y avait des choses qu’elle ne pardonnerait jamais, et qui lui brûlaient encore les mains. Dans la Guerre, Victoire. Dans la Paix, Vigilance. Dans la Mort, Sacrifice. Tout dépendait de ce qu’on appelait sacrifice, paix, guerre, mort, vigilance. Demeurait la bile âcre au fond de sa gorge. Subsistaient, en écho, les visages des morts, les cadavres charriés par le poids des années, et les cris de la terre qui sarclaient les champs dans son enfance, pour mieux massacrer les Anderfels et faire saigner cette terre noire et désolée.

« La Garde est un devoir. Mais face aux engeances … il n’est pas de meilleure compagnie. »

Elle ne l’avait pas choisie. Elle ne l’estimerait jamais. Elle croyait fermement à son utilité. Rien de mieux, et parfois, rien de pire, en effet. Ou plutôt, rien de pire, et parfois, rien de mieux. Comme son ambassade. Ce qu’elle souligna, curieuse :

« Plus de pierres vous mettrait-il à l’abri de ces mensonges ? Cela dit … n’est-ce pas la base même de la politique ? J’ai du mal à voir en quoi Starkhaven est différente, mais peut-être pourrez-vous m’éclairer. »
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« Je le vis, Ambassadeur. »

Il était des gens dignes de confiance – Arnth en avait même fait un classement pendant la période où il ne vivait que par ça. Papa et Mallory raturés dix fois en tête de liste, maman, rayée elle aussi par culpabilité, puis enfin seulement famille ; famille, ma classe, l’armée, les dalatiens, les elfes, les mages, les artistes, les gardes des ombres. La liste avait rejoint les autres au fond de son tiroir et disparu de sa mémoire, mais la conclusion inexpliquée avait laissé sa trace. La Garde prenait tout le monde, les pires avant les meilleurs, et n’attirait que les premiers – quel homme de qualité choisirait de partager le sang d’un monstre endormi s’il avait accès à une vraie armée ? Certains faisaient sûrement exception, preuve en était la mage devant lui, mais la vaste majorité était justement un accompagnement instable, sans terre ni attache, préférable à peu de choses. Si ce n’était la solitude.

La diplomatie ordonnait de laisser le mensonge et le déni en paix, mais il cherchait en vain la limite qu’il pécherait à dépasser. Était-il au stade où une indiscrétion de plus ne changerait rien ou loin derrière ? C’aurait été du gâchis de se taire maintenant, alors qu’il avait enfin un interlocuteur qui se fichait du Prince, mais les civils aussi appréciaient le tact. Paraissait-il.

« La Garde est un devoir. Mais face aux engeances … il n’est pas de meilleure compagnie.
– Sur le champ on n’a plus le choix, » souligna-t-il.

Enfin une formulation qu’il comprenait – en guerre, des mercenaires qui occupaient les deux tiers d’une tente valaient les soirées à les écouter boire. Solidarité forcée, confiance arrachée. C’est différent de l’ambassade, où rien n’allait de soi.

« Plus de pierres vous mettrait-il à l’abri de ces mensonges ? Cela dit … n’est-ce pas la base même de la politique ? J’ai du mal à voir en quoi Starkhaven est différente, mais peut-être pourrez-vous m’éclairer. »

Le visage de Kendric Vaël lui donnait envie d’arracher les yeux de son fils. C’était plus physique que politique, ceci dit.

« Je ne m’y connais peut-être pas assez en politique pure, mais d’où je viens, les officiers ont des rivaux évidents et ils se distinguent au combat, pas à leur charisme. Je ne dis pas que Starkhaven est pire que Val Royaux ou Antiva, même si j’en aurais envie – disons que c’est tout le cercle qui me déplait, ici ou ailleurs.

Une ambassade représente le pays, et si je décide de la faire honnête c’est ainsi qu’on verra le Nevarra. »


Il était l’autorité sur la question, réalisa-t-il soudain : s’ils l’avaient choisi plutôt qu’un autre, c’est que son approche était la plus à l’image de leur culture. Ça lui donnait bien le droit de critiquer celle des havenois, non ?

« On ne sera jamais à l’abri tant que le Prince nous voit, mais j’aurais une porte à claquer devant les… » Il fronça les sourcils. Les mots affluaient, tous présentables et tous imprécis. « … les nobles. »
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Acquiesçant, Andra réfréna l’allusion qui lui venait : « En dehors, non plus, Ambassadeur. » Telle était la sentence de la Garde, de la conscription, et de ce que l’Union engendrait : quand bien même, finalement, elle décidait de la quitter, la souillure la rattraperait. Une fois le sang de l’engeance ingurgité, il n’y avait plus de choix. Plus réellement. C’était le prix à payer pour être immunisé à l’infection ignoble, et pour la combattre. Mais cela, elle ne pouvait le dire à une personne extérieure à leur Ordre. Amusant, comme la Garde des Ombres partageait avec le Cercle cet amour des rituels secrets : Union ou Confrontation, après tout, quelle différence ? On en mourrait bien dans les deux cas. Au moins, certains qui passaient l’Union l’avaient choisi volontairement, bien que le volontariat eut un sens différent quand on ignorait précisément ce pour quoi on s’engageait. Plaisirs des secrets et du mensonge. Finalement, elle pouvait comprendre en un sens le dégoût d’Arnth pour la politique. Ce devait être usant, de lutter contre toutes les araignées du monde. Et pourtant … la part rationnelle de son être, celle qui n’aimait rien d’autre que le plaisir de la controverse intellectuelle, parfois contre elle-même, admettait une chose simple : les illusions, parfois, souvent, en matière politique, n’étaient pas si inutiles. Du moins … Elles pouvaient, rationnellement se comprendre. Alors, paraissait l’éthique : que dire ? Que faire ? Quel était l’idée du Juste ? La question, longtemps, l’avait passionnée. Parce que le Juste n’était pas Liberté, et pourtant … elle l’aimait secrètement, douloureusement, de cette affection des personnes dont le sens moral, mis à rude épreuve par leur existence, trouvait tout de même à s’indigner de ceux qui avaient le pouvoir de tout changer, et ne l’utilisaient pas à bon escient. De ceux qui écrasaient pour imposer leurs vues, et transformaient l’Injuste en Tyrannie, et non le Juste en Liberté.

Andra avait depuis longtemps intégré le fait qu’elle ne serait rien. Née dans la boue et la crasse, le Cercle avait eu au moins le mérite de lui fournir une éducation hors de portée de son milieu de naissance – et dont elle avait allègrement profité, non sans ressentir un décalage profond avec la plupart de ses camarades, dont peu étaient issus de la profondeur des campagnes andériennes, peu peuplées par nécessité. Là où certains avaient le privilège de ne pouvoir considérer leurs études que comme une poursuite de ce qu’ils avaient pu appréhender, elle avait dû travailler durement pour rattraper ce retard, et la honte était longtemps demeurée présente, comme la volonté de moduler son accent pour le rendre moins paysan. Elle avait adopté la diction des autres, pour se fondre dans une masse dont son corps fragmenté la séparait déjà. Elle aurait pu s’élever, dans la hiérarchie de cet endroit qu’elle n’aimait pas. Les agissements des autres, et l’Injuste, en avaient décidé autrement, frappant Liberté de l’épée honnie de la Tyrannie qui se voulait Vertu. Désormais séparée du commun des mortels par le sang de l’Union, elle avait, en dépit de ses mêmes réticences, obtenu un grade honorable. Et doutait qu’une mage puisse jamais aller au-delà. Les affaires de la cité n’étaient plus de son ressort, et ne devaient en être. Pourtant … elle continuait, par ses actions effectuées dans la torpeur de la nuit, dans ses ombres mouvantes, à s’y mêler, offrant ses services parce que c’était Juste, mais parce qu’elle était aussi Libre de le faire. Réfléchir et agir, impossible de séparer les deux : dommage, trop n’avaient l’usage ni de l’un, ni de l’autre. Son œil se posa sur le nevarran, et un éclat y brilla. Ironie, que les nobles n’aimant pas les nobles. Qu’ils se réjouissent : cela leur faisait un point commun avec le peuple.

« Si les pierres vous semblent honnêtes, qu’est-ce qui vous retient de les y amener ? Vous n’avez pas eu d’interdiction, non ? »

Des rumeurs entendues, elle avait cru comprendre que le Prince se moquait complètement de la présence névarrane, alors …

« Pourquoi ne pas être général, et non politique, dans cette entreprise, si cela vous convient mieux. La logistique n’en sera que plus évidente. Conférez avec votre état-major : qu’est-ce que la couronne névarrane – et votre père – peut avoir comme accords commerciaux, politiques, diplomatiques, pour vous permettre d’adosser quelques modestes lignes contractuelles d’aide pour obtenir une bâtisse quelconque ici ? Plusieurs Guildes et autres prêteurs pourraient être intéressés, je gage. Sans parler de vos compatriotes déjà installés ici. Il y en a quelques-uns.

On nourrit davantage une armée honnête qu’un ramassis de forbans, vous en conviendrez. Et pourvu que l’armée défende les siens, on l’entretient d’autant mieux. »


Son œil jaugea Arnth, et elle acheva, sur un ton léger :

« Bien entendu, il ne s’agit que d’un commentaire égaré. Une Garde, fut-elle de rang, ne saurait avoir d'avis sur la question. »

Balivernes.
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Il attendait sa réaction avec une certaine impatience, pour être franc – Andra paraissait regorger d’opinions, qu’à défaut de suivre (ou comprendre) il ne refusait jamais. Quitte à les oublier dans l’heure, l’ambiance de fond en restait. Et à s’en fier à son regard, elle en avait un, de point de vue.

« Si les pierres vous semblent honnêtes, qu’est-ce qui vous retient de les y amener ? Vous n’avez pas eu d’interdiction, non ?
– Avec quel argent ? » Où qu’aient été les bras, ils étaient assurément trop menaçants, et il les ramena croisés contre son torse, un peu trop avancé mais au moins désarmé. « Je ne vais pas dépenser nos ressources dans un bâtiment qu’on nous doit ! C’est au Prince – le mot dégoulinait de mépris salé – de payer pour cette ambassade, et j’ai mieux à faire que jouer à l’architecte dans son jardin parce que nous n’avons ni place ni » putain c’est quoi le mot ça finit par ment au pire y’a budget mais « financement ! »

« Votre Excellence, merci tout d’abord pour votre présence, c’est un honneur et un plaisir de vous accueillir. J’ai remarqué que vous parliez de couple Orlaïs-Nevarra, alors que notre directeur parlait plutôt de tandem, ou de moteur. Pensez-vous que ça indique un déséquilibre, un reflet dans les valeurs, avec plus d’émotions chez Orlaïs alors que nous sommes plus pragmatiques… ? »

Oh, intéressant. Maintenant qu’il le disait… Il avait définitivement préparé sa question, en revanche, ils ne pourraient rien demander de normal. Non qu’il en ait l’ambition. Écouter lui suffisait. Il risqua un coup d’œil vers Mallory, penchée sur le carnet, non sans une pensée noire envers le couple qui chuchotait devant eux. Et le respect dans tout ça ?

Le gars tutoie le directeur, il en fait dix fois trop.
Genre, toujours ?
Il lui a proposé un sandwich une fois. Je sais pas ce qu’il veut de l’Am. mais il le veut fort

« En effet, oui, nous utilisons couple alors que vous préférez moteur… Il y a plus l’image d’avancement, mais je préfère couple. Je ne pense pas que ça indique un quelconque déséquilibre ou un investissement démesuré de notre part, seulement des priorités différentes. Un couple a ses hauts et ses bas mais reste ensemble, et il y a l’idée de compte commun, de dettes communes, qui me semble particulièrement important en cette période. »

Kendric Vaël était infidèle à plus d’une femme.

Il la construisait quand il voulait, il l’achetait même, s’il suffisait d’une maison et d’une pancarte « ambassade » pour compter. Il aurait préféré, en un sens, même si ce n’était pas non plus de son ressort, mais il paraissait qu’il fallait être diplomate et inévitable (Mallory) et éviter d’envahir Starkhaven sur un malentendu (Ernestine). S’il avait suffi de pointer une épée et ordonner, lui et Andra auraient été les bonnes personnes ; mais on voulait ses résultats sans ses méthodes. Le renoncement de la Garde des Ombres était une bénédiction autant qu’un défaut. Il n’enviait pas son droit de tout oublier, malgré son dédain pour les affaires de la haute ; ne pas comprendre tout un pan de la vie de Mallory devait avoir contribué à leur séparation.

Contrairement à l’annonce, tout un groupe d’hommes armés entra dans la salle alors que ses occupants se levaient à la hâte, imitant les premiers rangs. C’est lequel ? Il n’osait pas demander, yeux fermement dirigés vers l’avant. Sitôt assis, le carnet posé entre eux vint piquer sa main.

Ambassadeur chauve, garde du corps à gauche, notre conseiller debout.

Le temps d’un regard, il était parti et il n’eut qu’un mince sourire pour la remercier.

Comment définir un ambassadeur ? Il ne savait pas. Mais c’était définitivement un rôle politique, quand on ne voulait pas prendre les armes – ergo, un rôle dans lequel un général n’avait pas sa place. Un général sans armée gardait sa prestance ; mais un ambassadeur sans titre ? Il n’était rien, n’avait rien, ne faisait rien. Si personne ne s’inclinait, personne ne l’écouterait, qu’il crie ou qu’il boude. Du moins était-ce ainsi qu’il l’avait approché, ignorant délibérément l’impossibilité qu’était « on n’écoute pas un inconnu qui pointe sa lame contre vous ». On lui avait demandé de bien faire et de se lâcher plus tard, alors il avait accepté ces règles ; mais plus il écoutait Andra, et plus se posait la question de leur choix, plus il doutait. Peut-être commencer du bas suffirait-il ?

Une armée.
Une armée.
Une armée, à lui.


Il hésitait à quitter la salle pour réfléchir, et le silence s’étira un moment avant qu’il ne réponde, encore pensif, sourd à la légèreté retrouvée de l’écrivaine.

« J’ai essayé les contrats pour les soutiens, mais je réfléchirai à quelque chose de plus direct. » Les mêmes regards pleuvaient que quand il regardait avec trop d’intérêt la part de tarte réservée au fantôme, cette fois accompagnés de l’entrain coupable qui manquait autrefois. Depuis quelque temps les lettres, au contraire de leur absence, se faisaient redoutées, et il espérait en finir de cette idée avant que d’autres ne puissent être envoyées avant les approbatrices. « Vous n’en direz rien à ma famille, n’est-ce-pas ? »

Ils méritaient de n’être mêlés à rien de havenois.
Ils mériteraient d’être avertis.
Il auraient les deux, dans quelques semaines, s'il cessait de sourire.
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Un instant, Andra se demanda si elle s’était bien fait comprendre du névarran, avant de se dire avec philosophie qu’au fond, cela importait peu. D’une certaine façon, en de tels sujets, chacun voyait toujours ce qu’il avait envie de voir dans les conseils des autres, et si elle avait réveillé quelque chose d’autre que la résignation agaçante chez l’Ambassadeur … Eh bien, c’était juste qu’il avait besoin d’un coup de pouce pour prendre des décisions qui seraient in fine les siennes. Parce qu’en soit, elle trouvait ridicule de s’accrocher à des comptes d’apothicaire pour savoir ce qui était dû ou non dû par le Prince de Starkhaven, mais n’était pas non plus certaine que des méthodes « directes » soit une si bonne idée, du moins, suivant ce que le vocable désignait. Néanmoins, ce n’était pas de son ressort, et son statut l’empêchait de s’en mêler plus avant. Elle se souvint néanmoins avec un brin de nostalgie d’un visage qui ressemblait à celui d’Arnth et qui adorait lui parler en long, en large, et en travers de ses projets, avec finalement une seule envie, celle d’avoir une oreille attentive pour poser ses idées, dérouler ses plans, et avoir l’espace pour les discuter à voix haute sans qu’en vérité l’avis d’Andra soit réellement demandé. Non pas qu’il n’était pas écouté, si elle le donnait, mais elle préférait poser des questions ou se contenter de quelques interjections pour laisser Mallory s’exprimer, lui fournir cette bulle où elle pouvait construire, douter, s’énerver sans jugement ni crainte. Et il en était de même quand elle se laissait aller, de temps en temps, à parler de ses recherches magiques, qui, par essence, devait paraître très absconses à l’autre femme, même si leur application très pratique avait au moins l’avantage de fournir un caractère tangible à ses explications, ce que d’autres domaines de son art ne permettaient pas.

La question d’Arnth, néanmoins, la renvoya à une réalité que le plaisir d’avoir à discuter avec lui, et peut-être celui, peu avouable, d’admettre enfin la réalité d’une liaison qui avait tant compté, avait temporairement masqué : ces années, aux yeux des autres, n’avaient pas existé. Il n’y avait que Mallory et elle-même qui en avaient une connaissance réelle. Ces années n’avaient existé que pour elles-deux dans toute leur plénitude, et même si elle l’avait choisi, même si cela lui avait semblé logique, à l’époque … Elle se trouva soudainement à le regretter, et à percevoir, avec douleur, ce qu’elle n’avait jamais eu : l’acceptation d’une belle-famille, la chaleur d’un autre foyer qui, peut-être, aurait pu l’accueillir. Enfin, c’était ce qu’Arnth disait : elle doutait sincèrement que les parents de l’homme aient été si accommodants. Mais si jamais … S’il y avait pu … Une onde de regrets l’envahissait, et elle n’aimait guère ce sentiment. Il était trop tard, pour en avoir. Trop tard, pour se complaire dans ce qui aurait pu être, et ne serait jamais. Comme bon nombre de choses, dans son existence, il n’y avait qu’elle qui les connaîtraient réellement, intimement. Sa vie était condamnée à être vécue dans l’ombre. Que certains puissent en découvrir des bribes, ainsi, ne reniait pas cet état de fait. Elle chassa l’aigreur, et indiqua avec élégance :

« Si j’avais eu quiconque à contacter, Arnth, croyez-bien qu’il eut été malvenu de ma part d’effectuer un tel geste. »

Attrapant son bâton, elle pointa la porte et continua :

« Allons, venez, je crains que nos palabres, au demeurant fort agréables, n’aient quelque peu entamées votre projet de visiter notre Commanderie, et je m’en voudrais de me mettre ainsi en travers de vos devoirs.

Je vais vous faire la visite. »


Ils auraient ainsi le loisir d’échanger plaisamment sur le trajet, quoique sur des sujets qu’il était correct d’évoquer en public, davantage du moins que les poésies érotiques, les démons, la politique, et les liaisons cachées. L’aparté, néanmoins, avait été bienvenue, et instructive. Même si, Andra s’en rendit trop bien compte, le vague à l’âme qui la saisissait et la saisirait, le soir, dans sa chambre, l’amènerait à se souvenir des beautés du Nevarra, et d’une en particulier. Peut-être même qu’elle sortirait le mouchoir précieusement brodé et qu’elle le humerait, secrètement, honteusement, douloureusement, pour se souvenir de ce qui n’était plus.

Mais cela lui appartenait. Et en dépit de la douleur, elle se surprit à remercier silencieusement Arnth pour avoir ravivé la douceur des nuits d’été et la passion des baisers qui réchauffaient l’hiver.

Rien ne pourrait jamais les lui enlever.
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Sultry poetry loves company - Arnth Van Markham