Quand il arriva, Niall et Nucci y étaient déjà ; ainsi tous étaient là, à l’heure et visiblement prêts. De prime abord tout était prêt… Les chaises… Les aiguilles… Les épées. La dernière lumière filtrait dans son dos, qui serait bientôt éteinte par la prudence. Jamais il ne comprendrait pourquoi les confrontations devaient se dérouler dans le noir, dans cette salle si parfaitement détachée du temps ; pour mieux isoler le moment de la vie courante, peut-être, pour moins sentir sa pression quand ils ressortiraient et aspireraient à nouveau l’air des hommes libres ?

« Enchanteur supérieur Vaël, mon très cher assistant du jour ! Cette pièce est devenue plus éclatante à votre entrée, cet effet me surprendra toujours, à croire que les grâces du Créateur vous suivent partout où vous allez. Devons-nous remercier le dîner d’hier soir, particulièrement réussi, ou bien avez-vous passé une agréable nuit ?
– Pourquoi pas les deux ? Si le Créateur veut nous bénir de son attention, aujourd’hui n’est pas le moment de se montrer ingrat. » Il parcourut la pièce du regard, du soleil – pourquoi ne le redoraient-ils jamais ? – aux figures qu’il était censé assister. « Tout semble prêt ? »

Il ignora une partie de ses mots, sage parmi les fous, laissant voguer les offenses possibles pour mieux étudier les visages rendus inconnus par l’ambiance. Il pouvait et devait admettre que l’aurait-il voulu, il n’aurait rien trouvé à redire ; une fois n’est pas coutume ne le voulait-il pas, et apprécia-t-il les efforts du Premier Enchanteur. Du chevalier-commandant ? Il salua ce dernier d’un signe de tête muet, aussi respectueux que mal à l’aise face à son sérieux. Non, la décoration intérieure venait définitivement de son collègue antivan. L’homme était grave comme la mort pendant les plus tranquilles des fêtes, mais il était en cet instant un rappel un peu trop vif de la situation. Il n’y avait qu’à espérer que Mirani serait avec eux pour savourer sa promotion, méritée si eue – un des rares avantages de l’épreuve était qu’on ne pouvait pas tricher. Le chevalier devait apprécier.

« Je vais aller à leur encontre, si ça vous va, informa-t-il le mage. M’assurer que tout va bien. Vous avez pensé au seau, j’espère ? »

Pas sa meilleure, de l’aveu général, mais ce n’était qu’à moitié plaisanterie alors qui le jugerait ? Il tourna le dos à la scène et ressortit en quête du duo manquant. Il n’eut pas à chercher bien longtemps, puisque les voilà qui arrivaient justement au bout du couloir, lui épargnant même de passer le seuil de la porte – après tout, où seraient-ils ailleurs ? Tout arrivait à point nommé, aujourd’hui, décidément le Cercle entier s’était surpassé. Avec un début si prometteur, impossible qu’elle ne réussisse pas.

« Tout va bien, messer ?
– Comme vous le voyez. »

La porte se referme derrière eux, ne laissant plus qu’un mince halo de lumière passer. Ça ne l’empêcha pas de détailler l’apprentie – s’il avait fallu clore la pièce avant toute chose, ils n’en étaient pas moins un peu à l’écart, bien que loin de toute discrétion, et il comptait bien en profiter. Impopulaire qu’il fut auprès des jeunes elfes, il n’était pas la plus grande source de peur : rafraichissant, non ? Et dire qu’on avait failli ne pas l’inviter !

« Je… »

On se souvient tous de sa première confrontation. Les yeux qui n’infirment pas tout de suite les rumeurs ; des plus farfelues ne restent bientôt que celles qui chantent la mort. D’abord les armures et leurs compagnons aiguisés qui font baisser les yeux, et ensuite seulement le soleil.

« Personne ne tient à te voir échouer, ici. »

Et les enchanteurs se souviennent de leur deuxième, où ils apprennent les choses à ne pas dire et les conseils à ne pas donner.

« Si je meurs, vous donnerez mes affaires à mes amis ? demande-t-elle enfin d’une voix sûrement plus ténue qu’elle ne l’aurait voulu.
– Quelles affaires ?
– J’en ai. » Même si son regard reste fuyant. « Un peu. Dans la table…
– Ça fait un bien léger héritage, interrompt-il, en partie parce que le temps presse et que l’assemblée présente n’est pas tellement réputée pour sa patience. Tout le monde a estimé que tu es prête, alors fais de ton mieux. »

La petite blonde croise enfin son regard, lui faisant se demander pourquoi il s’est porté volontaire pour ça, et hoche la tête – convaincue ou non, il ne saurait pas dire et ne se pose pas vraiment la question. Lui tournant le dos, il s’avance vers ce qui sera sa place pendant le rituel, comme le reste des personnes présentes, avant de passer la main.

« Premier Enchanteur. »

À vous.

Il assiste plus Mirani que Nucci aujourd’hui, et son attention s’en ressent : il a beau écouter, les réactions de l’apprentie l’intéressent plus que le déroulé qu’il connait par cœur. Il ne dit rien aux coups d’œil qui échappent à la jeune fille, rien non plus aux traits d’esprit du premier enchanteur, rien encore quand le chevalier-commandant s’avance pour discourir à son tour. D’abord calme, la colère s’éveille quand il amène Tevinter, puis la malédiction, dans l’affaire. Était-ce bien nécessaire ? L’histoire est loin et n’en déplaise à messer Molony, Mirani n’y est pour rien. Peut-être fallait-il un peu de défaitisme pour contrebalancer la légèreté de l’Antivan, mais il prendrait dix doses de la seconde si ça mettait l’apprentie à l’aise.

« Au cas où vous l’auriez oublié, » se permet-il à mi-voix, audible mais ne coupant pas trop la sérénité (perdue) du lieu. C’est uniquement les derniers mots qu’il cherche à dissiper avant qu’elle ne se laisse tromper par leur solennel : en effet, les démons existent, tout comme ils ont toujours existé. Ce n’est pas une nouvelle menace que l’on t’apprend. À moins qu’il ne soit le seul si influençable – difficile de lire quoi que ce soit sur le visage de l’elfe.

« Si vous échouez, les templiers accompliront leur devoir. Vous mourrez. »

La désapprobation bout sous son ton froid, bien que soigneusement retenue, et il s’applique à la calmer pendant que le templier partage sa dernière information. Il s’agirait de ne pas attirer de démon maintenant pour un simple désaccord interne… Impossible de dire si ça aiderait Mirani – si seulement ils en savaient plus que des on-dit et trois bulletins de notes il serait plus confiant à encourager l’irritation, mais sans connaitre ses forces il ne peut que la chasser et espérer la miséricorde du Créateur.

« Bien sûr, l’Apaisement est toujours une option. Si vous la préférez à la réalité, il n’est pas trop tard. »

L’apprentie, et c’est tout à son honneur, n’a pas l’air d’hésiter une seconde, même plutôt défiante malgré l’appréhension qui ne quitte pas ses traits. Elle secoue la tête, et s’éclaircit la gorge quand il fronce les sourcils.

« Non. Je vais– je souhaite essayer.
– Très bien. Allez-y. »

Elle est consciente des risques ; ils n'ont plus qu'à regarder. Qu'elle soit encore debout le laisse plutôt confiant.

Mansilla s’estompe sur quelques mots rassurants, et la jeune Mirani disparait. C’est plus de courage qu’il n’en aurait eu, et il regrette de ne plus pouvoir le lui dire ; cet abandon, auquel il rechigne devant tant de templiers, témoigne d’une force aussi méritée que celle qu’elle doit maintenant au démon. Peut-être le compliment est-il l’arme qui lui manque pour chasser la Peur.

Il ne réagit ni à la voix chaude dans son dos ni au jugement clinique qu’elle apporte, déjà plus concentré sur l’Immatériel que l’ici. Trouver l’apprentie parmi les monstres, l’émotion parmi les sentiments qui l’étouffent, est une tâche à part entière qui se cumule avec l’ancrage de son corps mais pas avec la conversation, et il ne peut que compter sur Nucci pour reconnaitre sa présence de loin.

Mirani est seule. Je suis seule. L’enchanteur Vaël est censé être présent, mais où ? Les ombres sont partout, et il ne peut être qu’une d’entre elles… Je ne vais pas toutes les accueillir, pourtant. Chasser le démon ne veut pas dire trouver l’enchanteur caché, si ? Il ne fait qu’observer, il n’y a rien à faire à part attendre, juste attendre et ne pas écouter les laisser parler c’est bientôt fini

Combien de temps encore ? Ils vont t’oublier ici. T’ont déjà oubliée, sans doute.

Non, non, je n’arriverai pas à rentrer sans eux ! Ils –

Bien sûr que tu ne peux pas. Tu veux rester ici, n’est-ce-pas ? Avec quelqu’un qui te comprend vraiment. Nous pouvons te garder, Mirani, te donner des yeux qui voient vraiment et que personne ne crèvera. Montre-leur que tu es mieux ici, en sécurité, loin de tout, avec de vrais amis. MONTRE-LEUR !

Elles sont horribles. On ne nous a pas entrainé pour ça. Ça fait des années que je les supporte, tout pour rien. Et si je réussis ici ils inventeront pire la prochaine fois…

Tu as raison. Sacrifice.

Tout est plus bruyant ici, et je n’arrive même pas à voir qui parle. Tout est si accordé qu’on dirait qu’une seule personne, alors que ce sont des dizaines d’éclats, non ? Un essaim de mouches, comme disait… je sais plus. Je n’ai même plus son visage. C’est quel cours les essaims ? Quel… Je l’ai eu l’année dernière. Pense, Mirani. Il avait raison. Des petites voix qui font illusion d’unité. Je peux juste les séparer pour moins les entendre, juste… Comment on s’entend penser, ici ? L’enchanteur et les templiers, ils sont là, comment ils font, comment comment comm

« L’Immatériel a été stabilisé, l’apprentie devrait pouvoir arriver à sa Confrontation. »

Le paysage se calme, autant que possible ici. Le chien berger a fini son rôle, alors ? Il retient un rictus insultant, guère impressionné par le résultat. Amuse-toi avec le géant au lieu des vers, l’elfe. Il acquiesce toutefois, pour les épées et contre Peur. Oh oui, tout est stable, tout ira bien n’est-ce-pas ?

C’est tout calme. J’ai réussi ?
Là, derrière, c’est forcément quelqu’un, ici ! Un mage, très certainement – évidemment, c’est ce qu’ils ont dit, non ? Je vais bientôt pouvoir partir. Ils ne m’ont pas laissée seule, ils –

Ils n’interviendront pas.

… ils sont toujours là… Elle, plutôt. Je ne sais même pas qui c’est, mais elle est seule, maintenant, comme moi. Enfin, presque. Non : les mages aussi sont près de moi. Ils ne me laisseront pas ici. Ils reviendront me chercher si…

Pour te tuer, tu sais.

C’est faux, ils ne me tueront pas – ils attendront, personne ne veut me voir échouer. Ils ne tiennent juste pas à me voir réussir, mais ils sont là pour ça, tout le monde… Pourquoi ne peut-elle pas avoir une autre voix ? Celle-ci est froide et trop salée. Je ne l’entends même pas.

Ils attendront, et ils attendront encore… A petit feu... Peut-être même qu’ils te sortiront de là pour que tu réessaies demain. Et après-demain. Et le jour d’après. Et le jour encore…

Non ! Non, je ne reviendrai pas. Je resterai… Avec l’Enclin et les templiers… Et les…

Et les…

Il n’a pas besoin de tout entendre pour sentir qu’au lieu de partir, Peur s’installe, dissimulant de plus en plus l’apprentie à Lachlann. Rien n’est perdu, mais elle doit se relever, ouvrir les yeux et faire face à son démon ; elle ne peut pas rejoindre son corps sans avoir rien fait, et elle n’a plus l’air consciente de l’urgence. L’enchanteur tourne les yeux vers Nucci, par-dessus le corps inanimé entre eux, espérant croiser son regard.

J’ai froid.
Et soif, je crois ?
Mais le froid est le pire. D’habitude la magie est plus présente, elle chante et brûle le sang, pourquoi pas aujourd’hui ? Ce serait plus facile avec elle, une flamme pour chasser Peur, juste une étincelle. Ce devrait être possible, je peux si –

« Et s’ils le remarquent ? Si c’était contre les règles ? »

N’écoute pas, ce n’est probablement que Doute. Il n’y a que Peur qui compte. Si je peux chasser le pire les autres suivront.

« Et si au contraire tu les impressionnais tellement qu’ils t’envoient droit à la Garde ? »

NON

On lui avait expliqué les effets du lyrium, mais la théorie ne suffisait pas à estimer si l’enchanteur Vaël surveillait ou assistait impuissant. Elle devait s’en remettre aux choix du Premier Enchanteur et du Chevalier-Commandant, aucun n’ayant jamais failli, aucun ne la regardant vraiment – les ordres portaient peut-être son nom mais c’était son épée qu’ils voulaient.

Terrifiée qu’elle ait été, les premiers mouvements de la Confrontation avaient tout autant nourri sa curiosité. Et puis espérer ne coutait rien – elle ne connaissait pas vraiment Mirani, mais elle avait l’air assez solide pour réussir, quoi qu’en dise l’appréhension qui lui serrait le ventre.

« Chevalier-Commandant, attendez encore un instant. »

C’était donc ce qu’il lui restait pour trouver la force de lever son épée : encore un instant. La mort était comme le vertige, supportable tant qu’on ne regardait pas en bas ; c’est pourtant exactement ce qu’elle fit, comme pour se préparer à la chute, et la vue du pauvre corps endormi lui fit tourner la tête. Elle avait déjà l’air morte (elle supposait, elle n’avait jamais vu de cadavre, mais elle ressemblait aux condamnés de l’infirmerie des épidémies), effondrée sans grâce au sol – elle avait l’air tuée, sans la décence de ceux qui méritent un matelas pour leurs derniers instants. Et ce serait à elle d’achever le tableau.

Une ombre imaginaire danse sur le visage pâle, l’animant d’une vie surnaturelle, et Ayla réprima un sursaut et se détourna. Un seul souvenir, tout petit, lui revint. Georges l’accompagnait juste à l’entrainement du soir quand des rires étouffés les avaient attirés dans un couloir plus discret, empli d’apprentis, l’elfe blonde à leur tête, en extase devant le dragon noir dessiné contre le mur jauni par la flamme. Elle manquait de mains pour une vraie histoire, mais le défilé d’animaux semblait suffire à les réjouir. « Attendez, je vais essayer le chien de mon père ! »

Combien d’années cela faisait-il ? Elle n’avait jamais su estimer l’âge des elfes. Elle n’y avait pas pensé sur le moment, et ils avaient suivi leur chemin sans s’attarder, laissant les rires derrière eux, mais la scène était comme solidifiée autour d’elle à présent. Si seulement elle avait pu être vieille, ou horrible, ou différente d’une quelconque façon de la jeune fille vulnérable qu’elle était.

« L’apprentie Mirani résiste encore au démon, laissez-lui encore un peu de temps. »

NON

« Laissez-nous une dernière chance. Je ne vous trompe pas. »

Elle tressaillit, craignant que le contact ne décide messer Molony à agir, mais il se contenta d’immobiliser son bras au profit de ses yeux. Même elle le connaissait assez pour savoir que cette dernière chose ne durerait pas.

La poignée de l’épée gravait ses sillons dans sa paume, aussi douloureuse que son tranchant, mais elle ne trouvait pas la force de desserrer sa prise. Comme si la tenir plus fermement l’empêcherait de se lever sans son accord, dans un moment d’égarement – elle ne savait d’où lui venait cette soudaine impulsion de tout finir, à peine réelle, mais elle redoutait son pouvoir autant que son absence – si elle pouvait la posséder juste un instant, quand inévitablement l’ordre viendrait…

… Elle aurait aimé être née plus optimiste.

*

Il est vaguement conscient du plaidoyer de Nucci et de son regard impérieux sur lui, et des templiers tendus tout autour, mais c’est trop distant pour qu’il y participe et trop ancré pour qu’il y revienne sans lâcher l’apprentie. Elle est passée du silence aux hurlements – une arme comme une autre – et la peur ne semble plus l’approcher, retenue par une bulle invisible. Elle n’en est toutefois que plus dense, envahissant tout l’air, fumée noire avalant tout sur son chemin ; tout sauf Mirani, pour l’instant. Combien de temps faudra-t-il encore ?


Il n’est pas sûr si lui parler aiderait, et si percer un chemin à travers le brouillard, sous les yeux de Nucci, vaudrait mieux que la laisser seule – il le pourrait, mais à quel prix ? Il sait qu’elle y arrivera, s’ils lui laissent le temps. Dire qu’elle y est presque serait un peu fort, mais elle est en bonne voie.

Je ne veux pas aller à la Garde et je n’irai pas à la Garde et je n’irai pas à la Garde même si Luci est dehors. Pas d’engeance. Et pas d’épée. Ce n’est pas pour ça qu’on passe la Confrontation. Je ne

« La Garde viendra à toi, petite. À moins que les monstres ne la devancent ? »

Si l’archidémon est ici il n’est pas dehors, c’est un mensonge. Les cris non plus. Les morts… non plus. Ma famille… j’en avais une… je n’ai pas peur pour des gens dont j’ai oublié le visage, c’est tout… Non plus, non plus.

Il ouvre les yeux, voilés par l’Immatériel qu’il voit encore plus que la salle, et cherche Nucci à travers le brouillard et la morsure du lyrium qui l’inonde d’un coup. C’est le démon qui est trop fort, pas Mirani trop faible – elle mérite qu’on mette fin à la torture, la passe mage ou au moins la sorte de là. Il la voit encore se débattre contre la Peur, qui ne cesse de grandir.

« Elle va y arriver, » dit-il sans vraiment voir à qui.

Entre deux mondes, il entend l'échange des hommes par un brouillard qui ralentit le temps autant qu'il l'accélère. Elle peut y arriver, a-t-il dit ; elle ne le fera pas aujourd'hui. Il le sait, les templiers le savent, la seule qui l'ignore peut-être est Mirani. Elle peut. Il doute que Niall et Nucci lui laissent assez de temps, malgré ses recommandations, mais il gardera espoir jusqu’au dernier verdict, tant que l’apprentie continuera à se battre.

« Reculez, Lachlann : c’est fini. »

Timidement, il tente de déplacer son poids d’une jambe à l’autre pour un pas, mais son effort doit s’arrête là. S’il bouge, il tombe, s’effondre sur la place qu’on lui a déjà interdite – pour faire mieux il faudrait revenir, et…

Laisser Mirani seule ? Impensable.

« Contournez-moi. »

Ton factuel d’un homme déjà reparti. L’avantage de Peur, pour peu qu’elle en ait un, est qu’elle chasse la sienne et la culpabilité qui l’accompagne – elle ne laisse place à aucune autre pensée que le présent étalé devant lui et la mort imminente. Oubliées sont les lames au-delà de l’ouragan aussi bien que les règles désormais inutiles. L’elfe parait très loin, maintenant qu’il essaie de l’approcher, mais un ricanement vainqueur les enveloppe et il est soudain tout proche, suffisamment pour toucher la silhouette repliée s’il tendait le bras.

« Non non non non non non
– Mirani. »

D’une main il écarte quelques mèches blondes éparpillées sur son épaule avant de s’y appuyer et s’accroupir à côté d’elle. Un morceau clair tranche contre sa robe sombre, serré par ses doigts blanchis – quoi que ce soit, il espère que ça lui apporte du réconfort. Les boucles blondes cachent son visage, heureusement pour les deux ; l’entend-elle seulement ?

« Mirani, murmure-t-il. Ça va aller. C’est fini. »

Que font-ils, dehors ? C’est le moment, puisqu’ils la condamnent. Leur entourage n’en indique rien, mais une épée ne prend pas trois heures à se lever.

« Tu t’en es bien sortie. »

Tu n’as pas perdu. Que peut-il dire de plus ? Sa main raffermit un peu sa prise, dernière ancre au final pour un corps au bord du gouffre. Il sera là, jusqu’à la fin.

Peur l’ignorait, il en était convaincu. L’observation et la logique s’accordaient : qu’avait-il à offrir de mieux qu’une jeune fille perdue et abandonnée ? Elle ne l’est pas. Il plissa les yeux, s’obligeant à voir Mirani au travers des sifflements verts. Sans corps, sans sou, sans espoir… Que restait-il d’elle, à part une bribe d’esprit à voir partir – et qui tardait à s’éteindre ? Très proche, il sentait le dos trembler sous sa main alors que les poumons peinaient à trouver un rythme.

« Tu n’as pas besoin de respirer. » Surtout empêcher la défaite de teinter sa voix. Et continuer de parler peut-être, pour ne pas être venu pour rien. Prise entre un démon et un Vaël, qui était-elle pour ne pas avoir le meilleur du second après celui du premier ? « Oublie où tu es et pense à autre chose, quelque chose sans toi. Ça fait moins mal si tu oublies d’exister. »

Un conseil horrible. On mérite plus de conscience pour ses derniers instants, mais au vu des moyens et des pots éclatés par Nucci – et ceux qui l’avaient soutenu, et Lachlann, mais – c’était le mieux qu’il pouvait offrir. Pourquoi tout ça n’avait toujours pas pris fin le dépassait. Il avait bien entendu qu’elle avait échoué, non ?

Et

Rien.

L’elfe, Peur, la présence indistincte de Nucci, tout était parti pour laisser place au plus plat des déserts.

« Tu l’as perdue. »

Putain.
Le pliage de ses genoux et le contact des talons contre ses cuisses d’un coup insupportables, il se leva, cherchant autour de lui d’un air hagard. Le comment était clair et sans intérêt, mais qu’en était-il du où ? L’Immatériel était vaste, mais à quelle distance l’autre avait-il pu l’envoyer ? Il ne voyait rien.

Partagé entre l’envie de retrouver Mirani – trop d’effort pour aucune récompense, rien que pour prouver à l’antivan qu’il n’avait pas à se mêler de ses affaires – et celle de rentrer, rien que pour ne plus voir ce silence. Et parce que… c’était fini. Les templiers ne pouvaient pas ne pas avoir fait leur œuvre. Ne pouvaient pas. Ne pouvaient pas.

*

Deux yeux noirs de haine trouvèrent le dos du premier enchanteur.

La salle qui accueillit son réveil n’était pas plus vivante que ce qu’il avait laissé derrière lui, et ignora les statues de cire pour trouver, entre les ombres des chandelles, le corps et le sang. Cela au moins était bon ; la jeune femme, redevenue humaine, n’avait dans ce monde pas bougé de la séance. Plus de magie, plus de vie – une elfe comme une autre, maintenant, qu’ils auraient pu renvoyer dans les rues sans les secrets qui la garderaient prisonnière pour toujours. Même pas ici – pour autant qu’ils sachent, Peur l’avait eue à la dernière seconde. Encore désorienté par le voyage, son regard revint sur le Premier Enchanteur, toujours aussi hargneux, avant de se diriger vers la sortie.

« Vous n’avez plus besoin de moi. »