Frozen ft. Eilhana
Un salve de caquètements accueille les intrus à mesure que le groupe s’approche de l’installation. « Juste ici. » lance l’homme, tout en désignant d’un doigt calleux et robuste le petit poulailler. Il poursuit, tandis qu’Astrid se porte à ses côtés. « J’ai d’abord pensé à un renard. Faut dire que c’est pas c’qui manque ici. M’enfin, trois poules sur deux semaines, comprenez que c’est louche. » Il se redresse, agite sa grande main dans les airs dans un geste d’exaspération. « D'habitude, c'est toutes les bêtes qui y passent. Ces saloperies font pas de quartier. Mais là, c’est trop fin. J’aurais pu rien voir, si j’tenais pas de compte. »
Pelotonnée sous sa cape, la goutte au nez et les orteils gelés, Astrid opine silencieusement du chef. Ses yeux sondent le bâtiment d’élevage. « Vous m’avez parlé d’elfe, tout à l’heure. Qu’est-ce qui… »
Le fermier renâcle bruyamment, avant de cracher une glaire jaunâtre sur le sol glacé du jardinet.
« ― Les oreilles pointues ont un camp, pas loin. Les a déjà surpris à rôder dans l’coin. Enfin, pas moi, mais la Boitille, si.
― La Boitille ? Répète distraitement la Garde. Le molard, étalé non loin de ses bottes, ronge la neige alentour.
― Un voisin. Il habite en contrebas, pas loin de la rivière. Lui, c’est ses pièges qu’on a vidé. Vous devriez aller l’voir, Vous en dira plus sur ce qu’il a vu.
― Je le ferai. »
« Quel froid… » Les épaules toujours alourdies de sa pelisse et la bride de sa monture à la main (pas question de chevaucher sur cette patinoire !), Astrid déambule péniblement le long du sentier menant au repaire de la Boitille. L’épaisseur de sa tenue l’embarrasse, à l’instar du mélange de boue et de neige qui recouvre le chemin. La bicoque qu’elle cherche, toutefois, n’est plus très loin : l’affaire de quelques enjambées supplémentaires, que viendra récompenser, elle l’espère, la chaleur de l’âtre dont elle aperçoit la lourde colonne de fumée.
« Nous y sommes… » Un soupir. L’andérienne s’arrête devant la mansarde, suante et désespérément éreintée. Fatigue partagée - du moins se l’imagine-t-elle - par cette brave jument brinquebalée depuis Corintamh, sans protestation ni souci. « Viens, ma belle. Un dernier effort. » La rivière n’est pas loin, sa compagne pourra s’y désaltérer.
D’une poussée encourageante, Astrid entraîne l’animal à sa suite, gadoue plein les souliers. Le cours d’eau est visible depuis leur position, petit ruban bleu sombre qui serpente au pied du hameau. Cavalière et monture s’en approchent d’un pas prudent. Les environs sont paisibles, les berges désertes : un petit bosquet d’arbres frêles pour toute compagnie. La jeune femme s’y porte et noue les rênes de sa jument autour d’un tronc à sa disposition. Quel calme reposant après l’agitation de Starkhav…
Une masse étrange dans l’eau. Amas de branches tordues à la surface de l’affluent. « Un piège. » S’entend-elle énoncer tout bas. Les sourcils se froncent. Que fait-il à la dérive ? « C’est étrange. Il devrait être fixé. »
Les sourcils se froncent. Et une pensée la traverse. « Sauf si… »
L’andérienne se redresse vivement, observe rapidement les alentours. Ses yeux s’accrochent à une ombre fuyante, de l’autre côté de la rive. Tignasse rousse, filant dans la forêt voisine.
Elle hésite, craint de s’emballer pour rien. « Hé ! Attendez ! » lance-t-elle à l’inconnu, qui disparaît dans les fourrées. « Merde. » grogne Astrid entre ses dents serrées. Le temps presse et le discours du fermier lui revient. Un voleur…
« Merde, merde, merde, merde ! » Un peu d’élan, un bond maladroit et la voilà sur la berge opposée, paumes et genoux dans la neige. La jeune femme grimace, mais n’a pas le temps de songer à ses doigts givrés : d’une vive pulsion des talons, la voilà qui s’élance à toute vitesse à la suite de la silhouette.
Les jours s'enchaînaient et Eilhana regagnait des forces grâce à une vilaine et mauvaise habitude : La rapine. Les paysans du coin bien qu'effrayés par ces rumeurs d'enclin restaient des proies privilégiées une fois la nuit tombée. A la faveur la lune et de l'obscurité elle filait dans les poulaillers dérober un gallinacé endormi. Le jour elle hantait les forêts et les cours d'eau pour débusquer les pièges et les vider. Connaissant à force les habitudes tenaces des gens du crue. Ce pêcheur en eau douce que ses congénères surnommaient Boitille, à cause de son pied bot, allait tout les jours vérifier ses nasses lorsque le soleil était au zénith ; Jamais avant et jamais après. Laissant ainsi toute l'opportunité et la liberté à Eilhana de s'accaparer se que la rivière pourvoyait.
Andruil devait certainement être courroucée face à cette bassesse mais dans l'esprit de la rouquine c'était également de la chasse. Elle devenait une prédatrice opportuniste, une charognard, qui n'hésitait en aucun cas à chiper les proies des autres prédateurs. Dans la nature elle avait observé des animaux agir d'une telle sorte. Ces opportunistes, tout frais, bondissaient pour s'offrir la part du lion en dépit de ceux éreintés par leur traque. De fait, pour elle, c'était de la chasse. Ces humains s'étaient empâtés à ne pas protéger leur bétail ou leurs proie une fois dans leur nasses ou leurs collets, ils n'avaient donc qu'à s'en prendre à eux même. C'était simple, basique.
Mais là était sans doute le problème dans toute cette équation. Ces paysans étaient encrassés dans leur petite routine et à force Eilhana commençait à manquer de vigilance et de prudence. Mais comme tout voleur, ou rapineur, pourquoi s'arrêter tant qu'on est pas pris la main directement dans le sac ? Il fallait alors continuer. Toujours provoquer la chance et jouer sur le fil du rasoir et profiter de cette manne tant qu'elle était à portée.
C'était en cette froide matinée que la dalatienne prenait la direction de la rivière de la Boitille. Ce dernier avait changé ses habitudes et ses nasses de poissons étaient désormais disposées de telle sorte qu'il fallait une perche pour les récupérer. Eilhana pestait face à ce retournement de situation qui la forçait à réangler son approche. Elle observait le soleil blafard dans le firmament, ce n'était pas encore le zénith, elle avait alors du temps devant elle. Sans attendre elle se mettait en quête d'une longue branche en vue d'attraper une nasse et la ramener. Cruelle erreur puisque dans son entreprise elle ne réussit qu'à les abimer et les faire dériver au grès du courant et s'écraser contre les rochers. "Peste..." Jurait-elle entre ses dents alors qu'elle suivait des yeux le courant pour porter son attention avec effroi vers une silhouette en aval. Si concentrée dans sa tentative d'attraper le piège elle n'avait pas remarqué que des gens circulaient pire que tout, une personne en armure. Une garde ?! Une mercenaire ?! Fort heureusement l'elfe était cachée tant qu'elle restait au niveau du rivage. Mais sa posture était trop inconfortable et, pire que tout, elle sentait la terre se dérober lentement sous le poids de son pied d'appuis. Elle inspirait lentement et d'un bond elle s'élançait vers les broussailles. Des craquements de branche qu'elle faisait et soudain un son qui lui vrillait l'estomac.
"Hé ! Attendez !" C'était pire que le bruit d'une flèche sifflant à ses oreilles. Cette voix qui l'interpelait était la main dans le sac qu'elle avait arrêté de redouter et qui ramenait l'elfe droit dans la réalité. Tu t'es faite voire triple idiote ! Rageait-elle intérieurement avant d'entendre derrière elle un bruit sourd d'éclaboussement suivis de craquement et de bruissement. Le garde s'était élancé à sa poursuite, pour sûr ! Une peur, une terreur, qui lui tordait le ventre et qui irradiait tout son corps la prenait subitement et lui donnait des ailes. La petite prédatrice opportuniste avait trouvé plus haut qu'elle dans la chaîne alimentaire. Il fallait désormais s'échapper au plus vite et quoi de mieux qu'entraîner son poursuivant là où elle voulait : dans la forêt. Plutôt qu'aller tout droit et prendre le risque de courir à travers champs elle obliquait sur vers le levant et tâchait de s'enfoncer toujours plus profondément dans les bois.
Malgré la neige qui ralentissait ses pas la forêt restait sa demeure, son terrain de prédilection. Entre les troncs et au milieu des buissons elle se sentait invincible. Et se sentiment s'accentuait à mesure que la nature devenait de plus en plus impénétrable. La peur, elle, s'évanouissait laissant place à un sentiment grisant. Une envie irrationnelle et brûlante de jouer avec son opposant. De faire regretter à se qu'elle pense être un humain l'idiotie de l'avoir suivie dans son territoire, son terrain de jeu.
Elle s'était alors cachée dans la végétation au abord d'un sentier forestier. Frottant sa belle cape dans la neige pour que celle ci dont les couleurs étaient aussi grisâtre et maronnâtes que la nature l'entourant, se pare de blanc et d'argent pour imiter le sol irrégulièrement recouvert de l'endroit. Allongée, recroquevillée, sous un buisson elle attendait. Ses traces s'arrêtaient au niveau du sentier, offrant toute l'opportunité à l'humain de suivre la direction qu'il désirait. Les oreilles aux aguets elle entendait des pas crisser sur la neige et écraser des branches mortes ainsi que le souffle sourd d'une personne haletant et avalant des goulées d'air givré qui en brûlait les poumons de froid. Lentement elle rabattait la capuche sur sa tête et la baissait jusqu'à embrasser le sol. Les pliures du tissus ne laissait qu'un oeil observer devant lui. Les pas du poursuivant, son pied botté même, s'écrasait à quelques centimètres d'elle. Le coeur de la rousse ratait un battement. Un frisson de tout le corps la prenait. Elle retenait son souffle. L'oeil écarquillé qui fixait cette semelle de cuir crottée de boue et de neige conglomérées. Quelle idée stupide que de s'être arrêtée et cachée, d'avoir sacrifié sa confortable avance. Pourquoi jouer avec le danger alors qu'elle pouvait juste s'échapper et se faire oublier ? L'humain finissait par s'éloigner allant vers le sentier. Offrant ainsi à Eilhana de relever la tête et aviser que son poursuivant était peut être une poursuivante. Elle l'observait s'éloigner encore un peu. Suffisamment pour sortir de sa cachette et la suivre discrètement. La filer et la regarder s'enfoncer et se perdre toujours plus dans la forêt.
Une pinède épaisse succède aux berges boueuses de la rivière. Astrid s’y élance sans réfléchir, l’esprit occupé à remâcher, encore et encore, les mots du paysan. « Les oreilles pointues ont un camp, pas loin. » Une foulée. Puis une autre, tandis que les yeux cherchent la silhouette. Une chevelure rousse. Celle d’un elfe, alors ? « Les a déjà surpris à rôder dans l’coin. Enfin, pas moi, mais la Boitille, si. » Elle grimace, tandis que la distance avec sa cible se creuse. « Je vais le perdre. »
Une nouvelle enjambée au-dessus d’une souche morte, un nouveau virage derrière un tronc hérissé de branches. Et puis… Plus rien. L’elfe a disparu.
« Merde. » Surprise, la Garde s’arrête nette, bottes grattant le sol tantôt boueux, tantôt recouvert de neige du sous-bois. Les yeux s’affolent : un coup à droite, un coup à gauche, la jeune femme s’agite, tournant et retournant sur elle-même, à la recherche de cet inconnu dont elle peine à retrouver la trace. Celle-ci s’arrête brutalement à l’orée d’un sentier aux allures d’ornière, qu’Astrid survole d’un regard perplexe. « Rien dans la boue. Et pourtant… » Et pourtant les elfes, jusqu’à preuve du contraire, ne savent pas voler.
S’accroupissant devant les marques laissées par le fuyard, l’andérienne examine un instant la tourbière puis se redresse, pressée par le temps. Son regard se porte une dernière fois derrière elle et embrasse, non sans une once de désespoir, le couvert hostile des arbres. « Prudence, ou je vais finir par me perdre. » À moins que ce ne soit déjà le cas ? « Non. » tente-t-elle de se rassurer, avant de s’engager, le pied vaillant, le long du sentier.
Inutile de courir, désormais. Troquant sa hâte contre une cadence de pas bien plus mesurée, Astrid progresse prudemment au milieu des bois, l'œil alerte. L’horizon, hélas, ne lui est d’aucun secours immédiat : pas d’elfe dans les parages, mais un chaos de troncs, de roche, de fange et de mousse. Une main posée sur son baudrier, l’autre repoussant le pan envahissant de cette maudite cape, elle avance, mine soucieuse et oreilles tendues…
Réussite
Un bruissement, derrière elle. Celui de branches souples que l’on repousse. Un animal ? Astrid fronce ses sourcils et, non sans méfiance, tourne son chef en direction de la source du bruit.
La tignasse rousse est là, quelques pas en retrait derrière elle.
Elfe, assurément. Une femme.
L’andérienne ouvre la bouche : exclamation menaçante, juron ? Qui sait. Les mots n’ont pas le temps de sortir que déjà file l’inconnue.
« Non ! » finit par beugler la Garde, tandis que disparaît de nouveau sa cible. N’attendant pas davantage, la jeune femme lui emboîte le pas, d’abord avec fougue, puis avec plus de réserve. Cette forêt étrangère ne lui plaît pas. « Elle doit la connaître comme sa poche. Moi, en revanche… » Comme il serait aisé alors pour l’elfe de la perdre dans ce dédale hostile.
Les foulées ralentissent. À regret, bien sûr. Astrid s’arrête, reprend son souffle, hésite. Les mots se heurtent dans son esprit. Quoi faire ? Renoncer ? Maintenant… ? Quoi dire ? Des mots en elfique passent et repassent, se mélangent et se confondent. Elle ne maîtrise pas cette langue.
« Ar’din nuevenin na’din ! » lance-t-elle d’une voix forte, avec toute l’assurance dont elle est capable. Les couleurs des Anderfels, toutefois, teignent chacun des mots qu’elle prononce. L’elfe les aura-t-elle seulement compris ? Un soupir. « Je ne suis pas là pour te faire du mal. »
Elle se tait, à l’affût d’une réponse… Ou d’une flèche.
L'humaine était finalement plus à l'affut que prévue. Des yeux derrière la tête et l'oreille alerte. Les voilà qui repartaient dans une poursuite dans la forêt. Eilhana fuyait à domicile. Elle était agile et rapide. Ses pas la portaient au dessus de la poudreuse et elle filait comme le vent.
Bien vite Astrid se retrouvait seule au milieu de ses bois. Elle avait repéré qu'on l'attirait au mieux dans un labyrinthe où elle allait être semée au pire dans un piège mortel. Eilhana, ne sentant plus de présence dans son sillage ralentissait la cadence avant de s'arrêter et se retourner. Pas un bruit. La forêt elle même retenait son souffle dans ce moment d'apesanteur et de tension palpable. Puis soudain les mots de la garde des ombres tranchaient le voile du silence de leur écho effilé.
"Ar’din nuevenin na’din !" Ces mots réclamant la paix vrillaient les oreilles de la dalatienne. L'accent était hideux et imaginer une Shemlem les prononcer était absolument ignominieux forçant la dalatienne à, dans un élan d'égo et d'orgueil, à faire demi tour. Prenant ainsi le risque inconsidéré de se jeter corps et âme dans un piège. Mais qu'importe elle se devait de répondre à cette provocation verbale sur fond de drapeau blanc. Ses doigts caressaient l'empennage de ses flèches à mesure qu'elle se rapprochait du sentier.
En guise de réponse Astrid n'écopait en préambule que du sifflement aigu et approchant d'une flèche. Celle ci venant se ficher dans un tronc proche d'elle. La pointe, pas entièrement enfoncée présentait une sorte d'excroissance bardée de tout petits trou permettant ainsi de faire chanter la flèche durant son vol jusqu'à sa cible. Toutefois, Astrid pouvait en être presque certaine, dans ce sifflement elle pouvait jurer avoir perçu un mot... Mais lequel. Malheureusement pour elle, impossible de pouvoir y réfléchir davantage que la silhouette de celle qu'elle coursait s'approchait pour enfin se découvrir.
Face à la garde des ombre c'était une elfe aux traits sauvages et indomptables qui se présentait à elle. Une longue chevelure de feu qui ondulait légèrement comme des flammèche sous la brise matinale et givrée. Son facies était comme dessiné avec la finesse d'une plume et durcis tant par les Vallaslins que par la faim et le froid qui rougissait sa peau marmoréenne. Ses grands yeux d'un vert saisissant où l'on pouvait y voir brûler dans l'ombre de la pupille toute la fureur et la rage de vaincre que pouvait avoir certains membres du peuple Dalatien. A bien l'observer Astrid pouvait ainsi se rendre compte de la difficulté de la repérer dans les fourrés. Tant par sa tenue de cuir marron aux reflets verdâtres que par cette étrange et imposante cape qui pesait sur ses épaules. Un amas incongrue et épais de feuillages dont les teintes allaient du gris terne au blanc laiteux de la neige.
"Tu viens en paix, hmm ?" Ses mots étaient hachés, lourd de l'accent de la Dalatie. Restant à distance respectable et d'une position très légèrement en surplomb d'Artrid, elle prenait le risque de s'accroupir, et de pencher la tête dans un signe évident d'incompréhension. Tu viens en paix. Alors que tu me courses armurée et armée. Drôle de façon qu'ont les Shemlems de venir parlementer." Elle posait ses fesses sur la neige et se laissait glisser de son léger promontoire pour se retrouver face à face de son vis à vis. Le maigre sentier, composé de deux sillons d'attelage, les séparant simplement. "Au vus de ta livrée tu as l'air d'être plus qu'une bête membre du guet. J'enfume ces badauds avec sans aucune difficulté. Mais j'avoue qu'aujourd'hui, à force de chasser sans être repérée je me suis laissée un peu allée. Et soudain tu apparait. Tu me courses au travers des branchages et des fourrés. Tu es clairement la punition qu'Andruil m'a envoyé."
Elle laissait tomber son arc au sol, pour saisir de sa main la fusée de son épée. "Alors Shemlem, tu veux discuter ? Nous discuterons. Tu veux m'affronter ? Nous nous affronterons. Mais s'il y a une vérité à apporter. C'est que je ne laisserai pas cette manne se tarir."
Svouif. Le son d’une flèche qui fend l’air, proche, trop proche de sa position. D’un coup d'œil inquiet, Astrid l’aperçoit fichée dans un arbre voisin, tandis que devant elle, l’elfe sort finalement de ses fourrés. Silhouette de feue au milieu du grisâtre de la pinède. « Tu viens en paix, hmm ? » La voix, agressive, tire finalement la Garde de sa stupeur, et les réflexes martiaux reviennent : les muscles se crispent sous l’uniforme de mailles et de cuir, quand bien même l’esprit, lui, ne cherche que l’apaisement.
« ― Tu viens en paix. Alors que tu me courses armurée et armée. Drôle de façon qu'ont les Shemlems de venir parlementer.
― Tu m’as surprise. »
Elle aimerait en dire davantage, mais la dalatienne - les tatouages, sur son visage pincé, laissent peu de place au doute sur ce point - ne lui en laisse pas le loisir : prenant appui sur le sol neigeux qui l’environne, la rouquine se laisse glisser le long du petit monticule au sommet duquel l’elfe surplombait l’humaine, toutes flèches dehors. Astrid, jusqu’ici immobile, se surprend à entreprendre un petit pas en retraite. Le champ, entre les deux femmes, s’est réduit, et la Garde peine à apaiser la méfiance de son vis-à-vis.
« ― Je te le redis, je ne suis pas là pour…
― Au vu de ta livrée tu as l'air d'être plus qu'une bête membre du guet. Coupe l’inconnue. J'enfume ces badauds sans aucune difficulté. Mais j'avoue qu'aujourd'hui, à force de chasser sans être repérée je me suis laissée un peu aller. Et soudain tu apparais. Tu me courses au travers des branchages et des fourrés. Tu es clairement la punition qu'Andruil m'a envoyé. »
Elle laisse tomber son arc au sol et, un instant, Astrid songe à une reddition. Hélas… voilà que l’elfe tire désormais son épée. Conclusion logique d’une escalade de tensions qui aurait difficilement pu se finir différemment.
« Alors Shemlem, tu veux discuter ? Nous discuterons. Tu veux m'affronter ? Nous nous affronterons. Mais s'il y a une vérité à apporter. C'est que je ne laisserai pas cette manne se tarir. »
« Dans quoi t’es-tu encore fourrée… » s'apitoie silencieusement Pelagius, les yeux rigoureusement accrochés à la ganache féroce de la dalatienne. Le regard glisse sur le corps agile de la voleuse, sur la main accrochée à la garde, et sur cette épée, enfin, qu’elle ne tient pas à choquer contre la sienne. L’imprévisibilité de son adversaire, pourtant, invite Astrid à la prudence. « Elle te prête de vilaines intentions. Méfie-toi. » La faute à qui ? Il lui avait pourtant semblé avoir été très claire sur son absence de rancœur ou d’un quelconque esprit de justice. Parler : voilà tout ce qu’elle demande.
« Je ne suis pas là pour te punir. » commence la Garde, mine sérieuse et oeil sombre. Sa main gauche se porte instinctivement au fourreau accroché à sa ceinture, tandis qu’elle ajoute : « Ma lame, je la réserve à l’Engeance. Ton sang ne m’intéresse pas. » Difficile d’être plus transparente… Et pourtant, la menace est toujours là. Astrid la ressent dans l’air saturé d’humidité de cette mystérieuse forêt, la voit dans les éclats verts des prunelles qui la jaugent avec tant d’aigreur. Qu’elle trébuche seulement, et les braises de la défiance s’embraseraient.
« Reste que tes larcins causent du souci aux paysans, et qu’ils commencent à s’agiter. Leurs plaintes pourraient attirer l’attention de soldats moins prévenants que moi. » Elle déteste cette impression de marcher sur des œufs… « Pourquoi en es-tu réduit à la rapine ? Cette forêt ne suffit plus à ton clan ? »