Séparés par l'esprit, Unis dans le coeur
Il aime la chambre de sa mère.
Très différente de celle que le trouple a l’habitude d’occuper.
Elle est loin de l’atelier, à la lisière du désert. Sa maison est occupée d’autres elfes, tous les lits sont superposés. Un lieu parfait pour grimper et se cacher !
L’enfant écarte les rideaux en tissus épais. Sans eux, le sable aurait envahi l’intérieur ! Ses pieds nus courent sur la terre tannée comme sa peau. Hilare, il grimpe sur l’échelle et se blottit dans le lit du haut. Il presse ses mains potelées sur ses lèvres, incapable de retenir un glapissement joyeux quand la voix se rapproche.
_ Je crois entendre un petit couinement par là…
Le marmot enfouit sa bouille contre le matelas, frotte son nez contre les draps rêches. Il y retrouve l’odeur familière, sueur salée mêlée d’épices. Ses pieds frottent, pour échapper à la main malicieuse qui vient les effleurer, jusqu’à ce qu’elles le saisissent par la taille pour le soulever.
_ Te voilà, Amadeus !
Amadeus.
Leurs rires s’unissent. Leur nez se frotte, ses yeux sombres plongent dans les siens, bruns et tendres. Il sourit et finalement, c’est contre elle qui se réfugie.
_ T’es trop forte, maman.
Si forte. Malgré ses bras fins et sa peau lardée de cicatrices. Son petit doigt manquant, ses épaules voûtées par le poids des paniers imposants qu’elle a à porter.
Son premier maitre n’était pas doux avec elle. C’est ce qu’elle avoue, le visage éclairé d’un tendre sourire, quand Amadeus perd ses doigts boudinés sur ses cicatrices. Ces plaies qui l’inquiètent, qu’il embrasse mais ces mauvais souvenirs, c’est d’un rictus carnassier qu’elle les chasse.
Elle est forte. Elle a tenu, malgré ses coups, malgré ses menaces. Elle a tenu, jusqu’au jour où il l’a vendue – et alors, ton père m’a acheté. Et on a formé notre belle famille. Avec toi, tes frères et tes sœurs. Unis comme les doigts de plusieurs mains. Unis par des liens si forts que rien ne pourra les vaincre.
Les liens du cœur, assure-t-elle en embrassant son front, C’est ce qui m’a mené jusqu’à toi. Et toi, dans mes bras.
Les liens du cœur.
C’est ce qui l’a mené dans ce territoire si différent du sien.
Que fait-il ici ? Il n’y a pas sa place.
Ce sont des regards qui l’oppressent. Des silhouettes qui s’effacent, l’observent. Il est tard. Amadeus s’est perdu. Où est-ce que ses pas l’ont porté ?
Il ne voit que la misère. Des bicoques branlantes. Des corps chétifs, craintifs, se réfugiant dans les ombres de leurs demeures. Les oreilles pointues. Une atmosphère si familière, si étrangère.
Ils ont si peur. Si peur qu’Amadeus n’ose pas même demander son chemin. Surprendre les regards inquiets l’invite à courber la tête, les mains enfoncées dans ses poches, il marche. Espérant trouver une sortie, une échappatoire.
Que fait-il là ?
Il n’est pas d’ici. Il n’est pas le bienvenu, pis, il dérange cette communauté, réfugiée dans ce seul lieu qu’on a daigné leur accordé. Il a l’impression de souiller les lieux de sa seule présence. Troublant la tranquillité. La sérénité de cet endroit. Par respect, il n’approche pas de l’immense arbre au centre, il fait demi-tour, il croit ?
Non. Plus loin, c’est un mur auquel il fait face. Etonné, Amadeus maudit son sens de l’orientation. Il gratte l’arrière de sa nuque, avant qu’un mouvement soudain n’attire son attention.
Bouge ! Un pas sur le côté, Amadeus sent le bâton frôler son épaule gauche. D’un revers du bras gauche, il balance un coup en arrière, obligeant son agresseur à se reculer pour ne pas se prendre un coup. Faisant volte-face, ses mains se referment par réflexe sur le bâton qu’il arrache des mains de son ennemi.
Amadeus se redresse de toute sa taille. Faisant rouler une de ses épaules, ses deux mains se referment sur le bâton qu’il vient de récupérer.
Une jeune elfe.
Une dizaine d’années. Derrière elle, une poignée d’autres enfants se reculent. L’un s’enfuie à la vue d’Amadeus.
Amadeus ne le voit pas.
Il ne voit que ses yeux à elle. Ses yeux emplis de terreur, qui vont de lui à ses mains, ses mains serrées sur le bâton. Elle tremble. Elle tremble tellement et lève ses mains, ses mains déjà abîmées, les levant vers sa tête. Pour se protéger.
Un poids énorme s’abat sur les épaules d’Amadeus. Le cœur écrasé dans sa cage thoracique.
Amadeus lâche le bâton, qui retombe à ses pieds dans un bruit sourd.
La jeune fille sursaute. Ses mains sont plaquées contre son crâne. Elle est prostrée.
Amadeus se recule, jusqu’à être dos au mur, levant les mains à son tour.
_ Je… Je n’vais pas t’faire du mal…
Murmure-t-il. L’entend-t-elle ? Il la voit réagir. Nerveusement, elle écarte ses doigts pour le fixer de ses yeux si farouches.
_ Alors comme ça, on vient nous emmerder jusqu’ici ?
Amadeus tourne les yeux. Un elfe, plus âgé, s’est rapproché de la jeune femme. L’écartant d’un geste du bras, il se penche pour ramasser le bâton qu’il repose contre son épaule.
_ A ta place, je serai resté là-haut, sourit l’elfe d’un haussement d’épaules, Mais vous pouvez pas vous en empêcher hein ? Vous les aimez petites et fragiles hein… Tu vas voir qui est fragile.
L’elfe attrape le bâton à 2 mains et l’abat soudain vers la tête d’Amadeus. Un coup horizontal, qu’Amadeus évite d’un pas sur le côté de nouveau. Par réflexe, il lève les poings, les dresse devant son visage. Il rentre la tête dans ses épaules, contracte les muscles de ses bras, s’appuie sur ses jambes, bouge, bouge, il sautille d’un pied sur l’autre, surveillant les mouvements de son adversaire.
L’elfe, bien plus expérimenté que la plus jeune, tente de faucher ses jambes de son bâton, Amadeus déplace la jambe gauche à temps, pas la droite, il perd l’équilibre, un nouveau coup de bâton s’abat dans son flanc. Mais Amadeus interpose à temps son bras. Il grimace sous l’impact mais se retrouve acculé contre le mur, dans son dos, et celui d’une bâtisse sur sa droite.
Il ne peut que fuir vers l’avant… ou s’extirper sur la gauche. Chemins à présent barrés par l’elfe armé du bâton et quelques autres qui se sont approchés.
De nouveau, le bâton s’abat. Sur ses deux poings, dressés en hauteur devant son visage pour se protéger. Le coup résonne sur ses jointures, avant qu’il n’ouvre les doigts pour le refermer de nouveau sur le bâton. Il s’y accroche de toutes ses forces, se laissant tomber sur les fesses dans le coin où il s’est réfugié.
Assis à même le sol, les deux talons plantés dans le sol, il parvient à arracher le bâton des mains de l’elfe – pour le briser sur son genou et balancer les morceaux sur sa gauche.
Les elfes sont pris de court. S’attendant à ce qu’il utilise l’arme contre eux, Amadeus s’est contenté de les désarmer une nouvelle fois.
Amadeus a levé les mains devant son visage une nouvelle fois. Ses deux poings bien serrés, plaqués contre son visage, ses pouces écrasent ses paupières quand une pierre heurte son corps.
Dans un râle, il ramène ses jambes contre lui, se prostre dans son abri.
Tant de vies passées à subir, à endurer les maltraitances, le mépris, la haine, embrasent les cœurs d’une rage que son attitude prostrée n’a fait que raviver. Un humain en position de faiblesse – dans leur territoire – un affront, une insulte, une intrusion supplémentaire dans leur existence déjà écrasée.
C’est à coups de poings, de pierre, qu’ils se déchaînent. L’un d’eux ramasse le fragment de bâton pour le frapper avec.
Amadeus contracte ses muscles, de toutes ses forces, il s’imagine pierre, mais la douleur surgit de toutes parts. Il gronde, il râle. La pulsion viscérale d’attaquer à son tour, il la retient, entre ses mâchoires serrées et ses paupières fermées.
Mais la peur, il est incapable de la dissimuler. Elle ébranle sa cage thoracique si solide.
Elle était si forte, sa maman, avec ses cicatrices.
Si forte, avec ses cicatrices.
Elle a dû avoir si mal, sa maman. Si mal, quand on a fouetté sa chair, quand on l’a marquée des fers.
La douleur qui explose dans sa pommette, un éclat de pierre ou de bois a fait éclater la chair. Il a senti la peau se fendre, le sang qui coule, ses yeux qui se noient de larmes.
La boule dans sa gorge se rompt.
Ses épaules s’effondrent, ses poings se délient, ses paumes cachent son visage, sa plaie qui pulse contre sa paume.
La prise de conscience est soudaine. Douloureuse. Une souffrance qu’il n’explique pas, qui déchire sa cage thoracique alors qu’il pleure à gros sanglots.
Ca fait si mal.
Ca fait si peur.
Pendant ce temps, la jeune elfe a reculé, surprise et inquiète face à l’hostilité croissante de ses comparses. Alors qu’elle a initié l’attaque, c’est elle qui, de ses bras maigres, retient à présent une pierre qu’on s’apprête à lancer.
_ Laissez-le ! Il…Il ne va pas faire de mal… ! Il pleure...!
Résumé :
Amadeus s’est perdu dans le bascloitre. Ayant effrayé un groupe de jeunes elfes, l’une d’entre elle s’apprête à le frapper d’un bâton, qu’Amadeus évite. Les enfants prennent peur, avertissent les adultes et rapidement, un vrai pugilat s’abat sur le jeune homme. Il se contraint à ne pas se défendre, par peur de blesser un elfe – et reçoit alors la blessure qui dessinera la cicatrice sur sa pommette. Il fond en larmes et une elfe prend alors sa défense, tentant d’apaiser le groupe.
“ Ce n’est pas juste…” - la petite Rasa renifle, regardant son aîné faire. Ce n’est pas l'habileté de leur père, Premier Chasseur, mais Drynne parvient à séparer la fine couche de peau des muscles du petit cadavre de l'animal ; ses mains sont bien tachées de sang écarlate.
“ Quoi donc? ”- demande-t-il, trop concentré pour remarquer la mine boudeuse de l’elfette.
“ Ce hahl était mon ami… ”
Un soupir. Il la regarde, puis se surprend à dire: “ Il l’est encore. ”
Rasa, pas convaincue, passe le dos de sa main sur son nez humide, observant le hahl au pelage soyeux. Il n’était qu’un petit, encore, et n’avait que connu une section seulement de la forêt. Mais un aigle avait tenté de l'emporter, parvenant à l'achever quand même. Mais tout est utilisé par le clan ; tout a son utilité.
Le grand frère intercepte son regard, alors qu’il continue à faire le tri. De sa laine, ils pourraient encore doubler quelques vieilles fourrures. De sa chair, un bon repas. De ses petits bois à peine ressortis, leur frère Hareas pourrait en faire une belle pièce de décoration.
Drynne reprend, comme un rappel à la mémoire : “ Que dit Andruil? “ La Déesse de la Chasse, de la forêt. L’un des plus hauts modèles pour tout fier dalatien. Il répète doucement, pour qu'elle s'en souvienne. “ Vir adahlen : reçoit les fruits de la forêt avec déférence. ”
Sa petite sœur n’est pas tout à fait convaincue, mais elle réfléchit un moment. Elle acquiert ; elle est encore triste, mais comprend.
Drynne lui sourit, pose son nez contre sa petite joue ronde et souffle doucement du nez avec tendresse, en signe de réconfort. Rasa, cheveux noirs comme la nuit, enlace son grand frère d’un bras autour du cou, fait de même, et se met à l'aider avec un sérieux renouvelé.
-
Le Garde des ombres ne prétendait point être supérieur à cette populace. Il observait le quartier et son arbre géant au milieu, après une longue journée d’allées-retours entre le quartier de la commanderie et le bascloître.
Finalement, l’emplacement des pièges à rats avait pris du retard, et c’est avec une maigre pomme en main qu’il s’était calé contre la bâtisse d’une simple cour, observant des enfants s’amuser, mâchant son bout d’fruit éreinté avec nonchalance.
L’un des petits elfes en face de lui, prétendait être une bête sauvage, sans que ses gestes témoignent d’une seule notion suivante: de ce qu’était une bête sauvage, des sons qu’elles pouvaient émettre, des gestes de pattes qu’elles pourraient entreprendre...
Seule leur imagination semblait sauver le tas, et quelques-uns de leurs cris étaient évidemment inspirés des griffons de la Garde des Ombres, qu’ils pouvaient tous voir au loin, survolant parfois le Sullenhall, et qui les faisait rêver d’un horizon plus plat.
Ces elfes grandissent face au Vhenadahl et ne connaissent pas un autre vert que celui-ci. Et la plus grande bête qu'ils puissent imaginer, le griffon.
C’était triste, et c’était leur réalité. Avec lassitude, Drynne se dit qu’au moins sur ce champ-là, il avait été chanceux. Il avait connu (et chassé) les hahls, les ours, les renards, les loups, les blaireaux, les faucons, les druffles, les saumons, les écureuils ; il avait connu les torrents des Marches Libres, les marais d’Antiva, les montagnes du Névarra. Et bien plus.
“ Est-ce qu’on peut rentrer dans la griffonnerie avec toi pour aller voir les griffons, diiiit? ”
Une petite voix, vraisemblablement sortie de nulle part, le propulsa hors de ses songes. Drynne, qui ne s’était plus jamais adressé à un da’len de cet âge, fut pétrifié pendant quelques secondes. Surtout que, d’un moment à l’autre, il était pris d’assaut par ce petit groupe d’enfants, âgés entre les 3 et les 5 ans, qui l'observait avec la curiosité morbide d’enfants à l’énergie débordante.
Il pouvait être Garde des Ombres et avoir combattu des engeances, mais la perspective de contrarier ces petits da’len s’avérait encore plus terrifiant. Allaient-ils commencer à se chamailler, à pleurer, à n’pas lui foutre la paix?
“ Les griffons, ce n’est pas très gentil. “ - commença-t-il avec la plus grande sincérité au monde. “ Regardez ce qu’a fait l’un d’eux. ” Sans opprobre, le dalatien exhiba sa main droite, où le pansement occultait la plupart de sa plaie, mais où une légère tâche de sang se devinait. Il n’avait pas fait gaffe, et avait rouvert sa balafre, en bon maladroit qu’il était.
“WOW! Et comment qu’tu montes dessus si ça fait mal c’mme ça?”
“Est-ce que je peux monter sur un griffon?”
“Pourquoi t’as des gribouillis plein la figure?”
Il s’apprêtait à leur répondre, lorsque non loin, quelques encanaillements se firent entendre. Parfait - peut-être que cela serait l’occasion idéale pour déguerpir et feinter ces petits elfes bien trop bavards. Jetant son reste de pomme dans un buisson non loin, le garde s’excusa doucement, profitant des têtes tournées pour les contourner.
On lui avait dit que les bagarres au bascloître étaient assez fréquentes - mais Drynne n’en avait jamais écoutées, ni même vues.
“Foutu shemlen! On a fait peur à Ava!”
Un shemlen? En plein quartier d’elfes? C’était bizarre. Pourquoi un humain oserait-il s’introduire ici? À ce qu’il savait, seuls quelques chantristes humains s’y rendaient, mais outre cela, c’était une rare vue que de voir un humain par ici.
Mené par sa curiosité maladive, Drynne ne pouvait s’empêcher de graviter irrémédiablement toujours VERS le chaos. D’abord, sa marche avait été lente, posée, essayant de localiser le bout de quartier où la scène se déroulait. Il ne voulait pas nécessairement se mêler à ce qui ne le concernait pas.
Mais, à ce qu’il pouvait distinguer, la querelle semblait s’exacerber : ce type ne pouvait qu’avoir été en groupe? Était cette rixe un attaque aux elfes? Pas un shemlen, mais plusieurs? Les coups qu'il voyait au loin semblaient le confirmer. Ces elfes n'y allaient pas d'main morte.
Fronçant des sourcils et pressant le pas, Drynne se retrouva finalement au bon endroit ; et fut extrêmement confus par ce qu’il y vit.
Pas des shemlens. Juste, un seul. Un homme, recroquevillé sur lui-même, se trouvait pitoyablement au sol, tournant les paumes de ses mains vers ses agresseurs, tant bien que mal. Par les mouvements de son corps, il avait déjà été tabassé. Il n'avait aucune arme visible sur lui, ni autour de lui.
Le dalatien, à qui on jetait déjà des œillades curieuses, marqua une pause. Cet humain ne semblait en rien ce qu’il avait pu imaginer. En quoi cet individu aurait-il pu faire peur à quelqu’un?
Plus ces secondes passaient, plus il ressentait cette incrédulité passer à de la rage. Des cailloux, des coups d’on ne sait quoi. Et tout ça, contre un homme qui vraisemblablement, ne faisait que se défendre...?
“ Laissez-le ! Il…Il ne va pas faire de mal… ! Il pleure...! “
Le garde des ombres avança, repoussant doucement la jeune elfette qui venait de les arrêter dans leur élan fou. Il l’avait vue, elle, qui jouait il y a peu dans la cour au loin, avec son bâton. Mais c’est aux adultes qu’il dirigea un regard foudroyant, exaspéré, choqué, profondément réprobateur.
Où était la Dalatie, chez ces gens-là? La dignité, ou ce qui en restait?
C'était presque une insulte envers lui, qui avait vu et combattu des bêtes bien plus hideuses ; s'ils étaient si assoiffés de violence, pourquoi ne joignaient-ils pas les rangs aussi?
“ On s’en prend à des shemlens par terre, maintenant? Mais où avez-vous la tête? ” Il se retourna vers la piètre figure recroquevillée, bloquant le champ de vision avec sa propre présence des restants assaillants qui pourraient encore rameuter le reste. Drynne en profita pour détailler la jeune elfe aux yeux ronds, encore inquiète ; il lui fallait comprendre, tout d’abord. “ Qu’a-t-il fait? ”
“ Il- il… il était lá… j’ai eu peur, j’ai cru qu’il allait me frapper. Et après– ” elle regarda ses amis, sans doute ceux qui avaient accouru vers les autres pour appeler de l’aide. Aucun d’eux se prononça, à part un d’entre eux, qui glissa un timide “Mais j’avais cru que…”
Drynne soupira ; elle n’avait pas besoin d’en dire plus long. C’était ça, toujours ça. Des situations qui éclataient, par maladresse ou malchance, à la moindre petite vague - additionné au fait que ces enfants n’avaient que trop d’énergie pour ce tout p’tit bascloître. Ce n’était pas vraiment leur faute, mais.. c'était aussi leur faute. Le dalatien s’accroupit près de l’homme tremblotant, qui cachait encore sa figure. Il pleurait, pleurait.
“ Vous avez cru? ” il grinça un peu des dents, lâcha un soupir, lançant un regard en biais vers les autres.
“O-oui… mais il… il a rien fait. “ - avoua-t-elle d'une voix tremblante, encore impressionnée par la rixe à laquelle elle venait d’assister, et dont elle avait été un peu la cause; elle regardait ses comparses de jeu comme pour leur supplier leur aide.
“C’est pas grave…” la voix d’un des adultes résonna quelque part dans la petite foule. “S’il n’avait rien fait encore - il S'APPRÊTAIT à l’faire. Connards de shemlens, y devraient tous crever…”
Drynne en avait vraiment marre, là. Se redressant, il s’adressa à tous les présents, le griffon de son armure d’la Garde reluisant sous un maigre rayon de soleil. Les Garde des Ombres tentaient de rester neutre, il est vrai. Mais là, devant eux, Drynne n’était pas un simple Garde des Ombres. Il était elfe, il était frère.
“ Telle est la foi chantriste des Bascloîtres? ” Le dalatien savait que c’était le seul argument qu’il pourrait faire peser en sa faveur, ici, au milieu de ce petit groupe d’elfes citadins, les vallaslins ornant sa propre figure. Il avait suffisamment côtoyé certains fils du Créateur pour en connaître quelques enseignements. Notamment celui qui parlait de l’union ‘de tous les peuples, unis dans Sa Lumière’. Sans parler du manque d’honneur dans toute cette précipitation, sans même essayer de comprendre ce qui s’était produit. “ Qui aurait dit qu’ce serait un sale dalatien des forêts à vous le rappeler? Cet homme n’a rien fait, comme elle vient tout juste de l’avouer. On pourra finalement tous revenir à nos journées productives à présent, non? Assez de s’amuser à jeter des pierres à ceux qui sont par terre? ”
Les elfes, aussitôt rappelés de leur foi, grommelèrent, cachant leur légère honte en se retirant des lieux, peu soucieux de leur erreur, mais désireux de voir l’intrus hors de leur quartier.
Les enfants restaient, pierres et bâtons en main, encore un peu abasourdis par la façon dont tout avait basculé.
Drynne leur jeta un regard tour à tour, comme pour leur signifier qu’ils pouvaient faire de même que les autres et déguerpir ; le dalatien s’approcha à nouveau de l’inconnu. Celui-ci avait à peine bougé, et semblait encore sous le choc. Plusieurs pierres se présentaient autour de lui - il pouvait maintenant le remarquer. Non loin, un bâton brisé. Drynne vérifia s’il bougeait ses bras et ses jambes. Rien ne semblait cassé, s’était au moins quelques vilaines ecchymoses qui allaient l’accabler. Mais il aurait peut-être des éraflures, ou des cicatrices, voire, des perforations? Pour l'instant, il ne voyait aucun sang. Le garde ne parvenait non plus à entrevoir son visage, et ça l’agitait.
“ Eh. L’ami. ” Drynne n’était pas spécialement doué avec les mots réconfortants, surtout sur les nerfs comme il était. Il songea à nouveau à sa petite sœur, Rasa. La plus tendre de la famille, toujours. Celle qui parvenait à lui ramollir son cœur, où qu’elle soit. Sa voix s'adoucit quelque peu, “ Tu es… perdu? Que fais-tu ici? ”
- Résumé:
- Drynne PAS CONTENT j'écrirais un résumé plus tard!
La peur l’assourdit, son cœur bat dans sa tête, son corps est tétanisé, incapable de bouger. Il n’a plus même l’idée de s’enfuir ou de se battre, non. Il est sidéré. Immobilisé.
Les yeux fermés, les genoux ramenés contre son torse, ses mains protègent son visage par réflexe. Son souffle est erratique, les sanglots agitent spasmodiquement sa cage thoracique, se frayant difficilement un chemin au travers de sa gorge. Il peine à respirer, entre son nez plein de morve, ses mâchoires serrées, ses yeux qui débordent de larmes. Il se sent trempé, trempé de sueur, de larmes et du sang qui macule un côté de son visage, il sent les gouttes descendre jusqu’à son menton, se faufiler dans son cou. Son corps lui paraît brûlant – il a si froid à la fois.
Il échappe totalement aux premiers échanges, ce qu’il remarque, c’est que les coups se sont arrêtés.
Il entend les voix, mais n’ose pas encore ouvrir les yeux. Il n’arrive pas à comprendre, pas immédiatement, tout ce qui lui vient, c’est sa langue natale et le patois elfique de sa mère, avant que son attention ne s’accroche enfin à la personne qui s’approche de lui. Par réflexe, son dos se plaque contre son abri et ses mains se referment. Il s’attend à un coup plus puissant que les autres – probablement sur son crâne – alors ses poings se sont de nouveau levés pour le protéger au mieux de l’impact…
Eh. L’ami.
Ces mots. Il les connaît.
_ Ami, répète-t-il d’une voix tremblante malgré lui. Saisissant de toutes ses forces cette main qu’on lui tend, Ami, reprend-t-il d’une voix plus assurée. Enfin, les bases de la grammaire reviennent à sa conscience.
Le ton plus doux finit de l’apaiser, suffisamment pour qu’il rabaisse prudemment ses gardes. Une œillade autour d’eux, ils sont seuls, seuls tous les deux, alors ses bras, lentement, se délient. Son corps lui paraît douloureux, si crispé que rien que poser ses paumes à même le sol est un effort.
Il lève la tête vers l’inconnu pour le dévisager. Encore confus, la stupeur lui fait écarquiller les yeux. Il voit le griffon, il voit les étranges marques sur le visage, il le voit si grand, ainsi debout face à lui. La surprise laisse place à une reconnaissance qu’il n’arrive pas à exprimer, un soulagement mêlé d’admiration alors qu’il finit d’abaisser totalement sa garde.
Ses épaules épaisses retombent. Sous ses sourcils broussailleux, ses yeux noirs aux longs cils se plissent en un sourire qu’il n’arrive pas à esquisser. Ses yeux sont rougis, se noient de larmes qu’il ravale, renifle alors qu’il frotte son nez sur sa manche, étalant le sang qui coule de sa pommette éclatée. Il a sûrement sale gueule, avec son grand nez droit, ses lèvres entrouvertes laissant échapper un dernier sanglot, qu’il déglutit. La terre qui souille sa peau, tannée par le sable et un soleil que Starhaven n’a jamais connu.
Il renifle encore, décidément, son nez, c’est une fontaine. Mais déjà, le jeune homme reprend vigueur. Ses mains se reposent au sol, il se relève dans un grondement rauque. Ses pattes titubent sous son poids. Jeune poulain, il dandine d’un pied sur l’autre et doit se soutenir quelques secondes au mur pour retrouver son équilibre.
Ses paupières battent pour chasser son vertige, ses yeux n’ont plus de larmes à verser. Il se sent épuisé, éreinté, séché comme après une journée de travail à l’atelier. Le corps rompu. Mais son esprit, rassénéré. Ses yeux reviennent, timidement, plus franchement pour autant, effleurer les traits de l’elfe jusqu’à planter ses yeux dans les siens.
Spontanément, sa main se lève vers lui. Ses doigts s’ouvrent. Il tremble mais si l’inconnu accepte de lui serrer la main, c’est avec fermeté qu’Amadeus l’étreint. Lui partageant la surprenante chaleur de son derme, bien dissimulée sous une peau rêche et rugueuse. Une douceur dans un gant de fer, une vraie tendresse lovée sous une force bourrue, avant qu’il ne le relâche.
_ M…Merci…
Sa voix est rauque. Ses yeux ne quittent pas ceux de l’inconnu. Il peine encore à croire qu’on l’ait aidé, qu’on l’ait… Sauvé. Et ça gonfle son cœur d’une joie qu’il ne sait pas comment exprimer. Il a envie de l’enlacer, de le serrer contre lui de toutes ses forces, de lui offrir il ne sait pas, de l’argent ? Peut-être qu’il lui en reste.
Enfin, Amadeus trouve la force de se détacher du mur et s’avance de quelques pas. Ses jambes sont de coton mais il les stimule en agitant l’une, puis l’autre, en s’ébrouant comme un chien, remontant ses deux mains dans sa tignasse. Il agite vigoureusement les épaisses boucles brunes, avant de soupirer.
Il doit probablement empester la sueur. L’autre va croire qu’il se lave pas, en plus de s’attirer des ennuis. Enfin tant pis, de toute façon, c’est pas comme s’il s’était montré sous son plus beau jour…
Curieux, il tourne de nouveau les yeux vers l’elfe, adressant une œillade impressionnée au griffon sur son poitrail et aux marques qui gravent son visage. Sa mère en avait aussi quelques-unes. Amadeus n’a jamais su s’il s’agissait de cicatrices ou de tatouages. Mais souvent, sa mère humaine appréciait les peindre d’un peu de maquillage. Reliant les creux gravés dans sa chair d’un trait blanc, ajoutant des étoiles sur son front, dessinant inlassablement sur sa peau. Sa mère elfe semblait apprécier la caresse du pinceau, s’allongeant près d’elle et parfois, Amadeus avait droit à un peu de peinture sur le bout de son nez.
Ce souvenir chaleureux ne fait que raviver l’affection qu’il porte déjà à son sauveur.
_ J’sais pas… Je… J’voulais juste rentrer chez moi et j’me suis paumé…
Chez lui. Ses racines étaient si loin, mais ses branches, il les effleure dans cet acte de compassion, soudain et sincère.
_ J'ai... J'ai merdé, j'ai fait peur à une gamine, j'pensais pas...à mal... j'suis désolé...
Son visage est un livre ouvert - un livre fait d'images. Ses yeux encore écarquillés par la peur et la surprise, la tête quelque peu rentrée dans les épaules.
_ J’pensais pas que… enfin qu’j’étais dans un endroit où faut pas… Merci d’m’avoir aidé…
Incapable de se contenir, il lui offre sa main une nouvelle fois.
_ J’m’appelle Amadeus… Et toi ?
Il retrouve son air habituel renfrogné. Ses sourcils légèrement froncés, une petite moue qui lui plisse le nez.
_ Tu crois qu’tu peux m’aider à sortir d’ce quartier ? J’veux pas… - il hausse une épaule – J’veux pas déranger mais bon, j’arrive pas du tout m’y r’trouver dans c’coin…
Résumé : Amadeus est soulagé qu’on vienne à sa rescousse. Encore quelque peu en état de choc, il remercie plusieurs fois Drynne et se présente à lui. Ses marques lui rappellent le maquillage que sa mère humaine offrait à sa mère elfique pour l’aider à accepter ses cicatrices. Admiratif et reconnaissant, il demande une nouvelle fois l’aide de l’elfe pour sortir du bascloitre et compte bien l’inviter à boire un verre pour le remercier de son aide.
Drynne ne savait pas ce qui l’avait pris pour aborder une telle situation. Depuis une dizaine d’années, son caractère avait grandement changé, non seulement vu le gros tournant que sa vie avait pris, mais aussi car son instinct de clan avait été enterré aux fins fonds de lui-même. Discret, il était à présent celui qui accompagnait silencieusement les groupes où il se trouvait, presque à l’écart. Quiconque l’aurait connu en ses temps au clan Virnehn, ne le reconnaîtrait définitivement plus à la Garde des Ombres.
L’elfe avait commencé à s’accroupir, mais voyant que l’intrus du bascloître s’apprêtait à se retrouver debout, ses jambes ne se fléchirent pas totalement. Il lui avait offert un bras hésitant, mais l’autre ne sembla pas le lire, titubant sur ses pas comme un petit chevreuil à peine venu au monde.
Tandis qu’il semblait regagner ses sens, le garde des Ombres put finalement découvrir le visage qui allait avec ce corps élancé, un peu plus haut que lui: définitivement un shemlen. Peut-être était-ce cela qui avait effrayé la jeune elfette Ava? Cependant, c’était de loin un des plus élégants humains qui lui ait été offert de voir. Là où certains d’entre eux étaient plus robustes, cet inconnu laissait entrevoir souplesse ; là où les visages étaient moins gracieux et les pores plus grossiers, voilà que le sien était aisé, carré où il le fallait, fin où il ne s’y attendait pas; et puis sa peau se devinant plus lisse et agréable que la norme. Seule une balafre avait éclaté sur sa joue, mais cela ne le rendait pas moins épatant.
L’inconnu lui tendit une main, dirigée vers lui - l’apostat hésita pendant des millisecondes; le geste le prit un peu de surprise. Il la lui serra en retour, comme parfois il voyait les autres faire, et, plus rarement, qu’on lui concédait lorsqu’on faisait confiance à un dalatien.
L’homme le remercia, et l’elfe ne fit qu’un geste de tête en guise de réponse, comme un ‘ce n’est rien’. Il l’observa se secouer tel un chien, et plissa les yeux quand le nuage de poussière qu’il fit dégager de ses vêtements encore souillés l’entoura. Difficile à croire que des elfes aient réussi à mettre cet homme par terre, lui qui ne semblait pas si frêle que cela. Lorsque l’homme parla, il reconnut un petit accent dans sa voix, mais ne parvint pas à l’identifier.
“ Perdu? ” Drynne répéta le mot, comme s’il aurait du mal à y croire. Mais le faciès de son interlocuteur semblait tout sauf malicieux, et c’était bien cela qu’il y avait d’inquiétant. Quelques oreilles plates pourraient en tirer profit, attisées d’une quelconque supposée vengeance; comme si rouler des coups sur un shemlen pourraient effacer tout les maux de la race des Evanuris.
Ici dans cette ville, le bascloître était comme un cul d’sac, et si cet homme s’y perdait, s’était difficile à croire qu’il en aurait retrouvé la sortie. Ou était-ce l’inverse? À moins qu’il ait été attentif à son entrée, le bascloître ne lui avait pas semblé si compliqué- peut-être car lui, il était habitué à faire du repérage.
Mais c’était difficile à en faire la remarque, quand on avait un groupe d’elfes renfrognés qui s’en prenaient à ses oreilles rondes.
Était-il donc nouveau à Starkhaven pour avoir commis cette erreur? Peut-être. Quelque part, il fut soulagé à cette idée. Lui aussi venait de débarquer en ville.
Amadeus. Un nom qu’il n’avait jamais entendu de la vie, mais assez particulier pour ne pas être oublié dans les minutes suivantes.
“ Amadeus. ” essaya-t-il à son tour - le D semblant un peu trop léger, et le S un brin trop long, sibilant sur sa langue de façon tout de même élégante. “ On m’appelle Drynne. ” prononça-t-il en retour -avec son fort accent dalatien- et baissant momentanément les yeux comme s’il peinait à parler de lui-même. Puis releva le regard.
Une moue différente se présentait sur la tête du bonhomme titubant, ce qui lui attribuait un air assez comique, s’il n’avait pas eu l’air d’un petit chevreuil désaxé, complètement hors de son habitat naturel.
“ Bien sûr. Ils auront ma peau aussi si on ne sort pas d’ici bien vite. ” il avait marmonné la deuxième phrase, alors qu’il jetait un regard en biais vers l’une des ruelles où les enfants traînaient encore, curieux des intrus.
Drynne avança, retraçant le parcours qu’il avait fait jusqu’ici, ses bottes de cuir frappant le sol poussiéreux. Au loin, quelques-uns des oreilles plates guettaient encore, mais il les ignora avec une facilité qu’on lui devinait naturelle. Zyeutant Amadeus pour voir s’il parvenait à l’accompagner, il attendit que celui-ci le rattrape pour parler.
“ Si jamais tu as la chance de te reperdre dans le coin…Tu peux te guider par cet arbre, que l’on appelle le Vhenadahl . Dalatien pour “l’arbre du peuple”. Il n’est pas loin de l’entrée. ” Il pointa vers l’une des branches massives que ce bout de nature exhibait. “ Regarde cette branche, qui ressort bizarrement du tronc, et qui ressemble à un très maigre doigt réprobateur… tu l’vois? Oui celui-là, qui se tord un peu , comme les bois d’un hahl... C’est celui qui pointe vers l’entrée du Bascloître. ”
Drynne regarda Amadeus, comme pour être sûr qu’il identifiait là le bon tronc. Après tout, peut-être que sa vie en dépendrait. “ Comme ça, la prochaine fois où tu verras cette branche tournée vers toi, tu te diras direct: faut faire demi-tour. ” Ce n’était pas supposé être de l’humour, mais son ton de voix presque normal, sa mine sérieuse, et cette phrase drôlement composée pourrait conférer à l’inconnu cette impression.
- Résumé:
- Drynne est surpris de son propre geste, lui qui aime rester discret - mais l'injustice ne lui a jamais plu. Il se présente en retour et accepte d’escorter Amadeus hors du Bascloître. Il profite pour lui donner une tite leçon d’observation d’arbres, sait-on jamais
- 101 how to survive le bascloître
Surpris, Amadeus raffermit tendrement l’emprise de ses doigts abîmés. La pression est d’une délicatesse surprenante, l’homme sait doser sa force. Offrant, quelques secondes, sa chaleur – offrant, éternellement, sa reconnaissance.
Il n’aurait pas donné cher de sa peau si l’elfe n’était pas intervenu.
C’est avec maladresse qu’il tente d’expliquer qu’il s’est perdu – et au vu de la tête de l’elfe, ça n’a pas l’air habituel. Penaud, Amadeus se dandine légèrement d’un pied sur l’autre dans une petite moue, boudeuse en apparence, gênée en réalité. Il croise ses bras solides sur son torse alors qu’il lève les yeux pour observer autour d’eux.
_ Faut dire j’étais la tête dans mes pensées, j’ai pas trop fait gaffe où j’allais, rajoute-t-il dans un soupir ennuyé.
Entendre son nom suffit à ce qu’il lève aussitôt les yeux vers son interlocuteur. Son accent est si mélodieux. Son prénom glisse comme le vent sur le sable du désert, comme une caresse à ses oreilles, c’est doux. Assez pour que ses épaules se relâchent et s’abaissent, son attention toute dirigée vers l’elfe.
_ Ravi d’te rencontrer, Drynne.
Malgré le ton bourru de sa voix, le d est la caresse d’une plume sur le papier. Le r roule sur sa langue, le papier que l’on plie, avec délicatesse, pour ne pas le froisser. Les n concluent, la cire déposée, le cachet, scellé. Le nom, inscrit dans sa mémoire. Le voir baisser les yeux le surprend, aussi, quand Drynne unit ses yeux aux siens, il hésite.
_ J’le prononce bien ? S’enquit-il en penchant légèrement la tête sur le côté, concerné, avant qu’ils ne se mettent en marche. Ses jambes lui obéissent, finalement, assez vite. Enfin, du mouvement ! Emprisonnées par la peur, les voilà ravies de retrouver leur liberté. Ses mains s’enfoncent dans ses poches alors qu’il baisse les yeux pour fixer le sol – il ne veut plus effrayer les gamins.
Mais à regarder par terre, il risque de rentrer dans quelqu’un. Alors Amadeus s’efforce de redresser légèrement la tête.
_ … Y s’en prendraient à toi ? S’étonne Amadeus, lui adressant une œillade. Il n’était pas leur chef ? Il s’était demandé si ses marques n’étaient pas un signe de son rang.
Amadeus sent les regard sur eux, aussi accélère-t-il l’allure, permettant à son pas chaloupé de rejoindre l’allure bien plus fluide de son sauveur. Il a l’impression d’être aussi gracieux qu’une patate à ses côtés et l’image le ferait presque rire, si la douleur ne pulsait pas si fort dans sa pommette.
Arrivant à sa hauteur, il l’écoute avec attention, levant les yeux vers l’arbre quand l’elfe le désigne.
Un arbre magnifique. Bien différent de ceux qu’il y a chez lui. Ceux autour de l’Atelier étaient tout noirs, tout rabougris – y’en avait qu’un qui tenait à peu près debout. Combien de fois a-t-il grimpé sur ses branches, aidés par son grand-frère ? Le souvenir rapidement chassé quand l’elfe partage… un mot de sa langue si étrangère.
Amadeus tourne aussitôt la tête.
_ Dalatien ? Répète-t-il, Woaw t’es Dalatien ! C’est tellement classe, je ne pensais pas que je pourrais en voir un un jour ! En plus t’es Garde des Ombres !
Malgré tous ses efforts, Amadeus ne parvient plus à contenir son admiration. Ses mains se sont jointes sur son ventre, comme un gamin, alors qu’il affiche un sourire.
_ Ca aussi, j’pensais pas en voir un jour ! Quand j’le dirai à mes mères, elles y croiront pas !
Lâche-t-il sans quitter son sourire, levant les yeux vers l’arbre une nouvelle fois.
_ En fait, j’crois que quand j’suis arrivé, j’ai tourné autour un bon moment… Tu m’étonnes que j’ai fait peur aux gosses, soupire-t-il, son visage s’assombrissant légèrement, J’le trouvais beau… Avec ses branches…
Amusé, Amadeus hausse les épaules. Bon élève, ses yeux suivent chaque geste et les prunelles de Dryne, jusqu’à remarquer la sortie indiquée par l’arbre. Si Drynne fait preuve d’un humour tout en finesse, Amadeus met ses deux pieds dedans.
_ Ouais, compris. Y dit, l’Amadeus, y s’casse de chez moi. J’te dis qu’c’par ici du con.
Amadeus imite parfaitement l’air probablement lassé de l’arbre. Drynne explique vraiment bien, pense-t-il, bien qu’il n’ose pas le lui dire, pas encore. Un hahl ? Il se sent un peu stupide de ne pas savoir à quoi ça ressemble, mais peut-être osera-t-il lui poser la question un peu plus tard…
_ Il s’appelle donc… le Ven… Vhen…
Ses sourcils se froncent sous la concentration.
_ Le Vhenadahl, répète-t-il. Son accent gâche probablement la sonorité, à moins que ce ne soit ses intonations, mais le plus étonnant est peut-être son application.
Ses mots toujours écorchés, pour une fois, il a pris le temps de prononcer chaque syllabe. Avec soin et respect.
Il s’est contenté de murmurer, comme par peur de vexer par ses maladresses, sa langue peu accoutumée à de telles sonorités.
_ L’exhalation à la fin du mot est la plus difficile à reproduire, analyse-t-il. Sa passion pour les langues étrangères l’emporte, alors qu’il reprend, C’est plusieurs mots réunis en un seul, ou c’est un mot à part entière en Dalatien ? Le Dalatien et l’elfique, c’est considéré comme la même langue ou y’a des différences ? Interroge Amadeus.
_ Pourquoi est-ce qu’on l’appelle l’arbre du peuple ?
Soudain, il se souvient de ce que Drynne lui a expliqué. Que lui aussi était peut-être en sursis. Aussitôt, Amadeus endosse sur ses épaules cette responsabilité. Ses sourcils se sont froncés, alors qu’il unit ses yeux à ceux de Drynne.
_ T’sais quoi ? J’te paye un verre pour t’remercier d’m’avoir aidé. Et p’is comme ça, tu pourras m’expliquer.
Et il sera hors de danger. Amadeus fait deux pas en avant, se retourne vers son interlocuteur. Intimidé, il gratte sa joue.
_ Enfin s’tu veux bien v’nir, hein, j’veux pas t’forcer.
Un hochement de tête affirmatif, lorsque Amadeus lui demanda s’il avait bien prononcé son nom. C’était quand même une façon étrange de le prononcer, mais il ne pouvait pas dire que l’effort et la manière dont il l’avait dit manquaient de justesse, une justesse rare. Scellant sa surprise derrière une expression stoïque, Drynne s’était demandé qui était cet étrange Amadeus aux oreilles rondes, au nom aussi original que le sien, au corps solide mais élancé à la fois, lui rappelant presque les siens. Comme une contradiction ambulante. Mais il n’en demanda pas plus; du moins, pas ici, alors que d’autres oreilles et yeux les guettaient encore.
Un nouveau signe de tête à sa deuxième question. Les oreilles plates des bascloîtres n’appréciaient pas nécessairement qu’un dalatien vogue parmi eux, et surtout pas en se mêlant de leurs affaires comme il venait de le faire. Drynne était convaincu que c’était le griffon sur son armure qui lui avait permis de sauver Amadeus. Ou peut-être car il y avait traîné ces derniers jours, et qu’on l’avait déjà vu en compagnie d’Athera, une elfe apparemment appréciée dans le coin? Cela n’avait plus d’importance, car le jeune homme était debout et avait retrouvé de la vivacité.
Et quelle vivacité!
Face à la réaction d’enthousiasme soudaine de l’homme, le garde des ombres fut stupéfait, et manqua presque de rougir un peu. De toutes les réactions, cela était bien la dernière qu’il attendait, d’un humain de surcroît. Ce n’était certainement pas tous les jours que l’on réagissait de la sorte à son égard, et le pire était qu’il n’était pas du tout sûr de mériter ces éloges. Il souffla du nez alors qu’Amadeus étala son admiration devant lui, mains jointes sur le ventre, souriant comme s’il venait de voir un dragon. D’un geste qui paraissait fortuit, l’elfe glissa son index et son majeur sur ses vallaslins, d’une justesse millimétrique, retraçant ainsi les derniers traits qu’il portait au menton; comme pour le lui confirmer. Oui, il était bel et bien dalatien. En exil, mais ses origines ne pouvaient pas être plus palpables que voici.
“ Ma nuvenin. ” confirma-t-il avec une légère expression qui se voulait frimeuse, -dont il n’avait guère l’habitude mais qui lui seyait bien- ses lèvres étirées dévoilant son agréable sourire sauvage.
“ En fait, j’crois que quand j’suis arrivé, j’ai tourné autour un bon moment… Tu m’étonnes que j’ai fait peur aux gosses. J’le trouvais beau… Avec ses branches…” Le garde suivit le regard d’Amadeus . “ Ouais, compris. Y dit, l’Amadeus, y s’casse de chez moi. J’te dis qu’c’par ici du con. ”
La manière dont il s’exprimait lui était tout à fait particulière ; assez familière pour avoir l’impression qu’il côtoyait là un autre garde des ombres, un frère d’armes ; un je-ne-sais-quoi de Mukae, quoique sans ses manières trop bourrues. Drynne lâcha un rire à son interprétation plus exagérée de cette branche du Vhenadahl. C’est vrai que l’arbre du peuple aurait très bien pu lui parler ainsi, vu son audace et son talent pour les pétrins.
S'enchaînaient plusieurs questions, qui ne permettaient pas nécessairement à l’elfe de réfléchir aux réponses. Ces dernières n’étaient pas compliquées, mais l’enthousiasme de l’homme était si palpable, et l’animait d’une telle vivacité, que tout effort serait balayé par une autre interjection - il était amusant de voir comment la silhouette du jeune homme contrastait grandement avec les gestes feutrés et discrets du jeune elfe. Il eut juste le temps de l’accompagner, guidant sa prononciation de « Vhenadahl » lorsqu’il l’eut tentée.
Drynne réfléchit un moment à l’invitation. La griffonne Dhaveira ne voudrait pas de sa compagnie pendant au moins une semaine, Mukae était à son tournoi de cervoise - ou de dés?-, Senaste était trop occupée avec le Prince - il n’avait plus rien à faire de sa journée. L’elfe se racla la gorge, acquiesçant. Quitter le bascloître était leur priorité, de toute façon. Et même si l’elfe ne buvait pas d’alcool, il pourrait boire autre chose - se dit-il. Faisait-il là un vrai effort, à faire connaissance, à converser comme un être vivant, à se hisser de cette dépression? Mukae serait fière. Bouche-bée, certainement, mais fière. Comme quoi, la solitude avait sa raison d’être…?
Une fois hors du quartier, l’ordre changea: c’était plutôt Drynne qui le suivait à présent, et c’était à présent lui qui reluquait les rues, comme s’il tentait encore d'absorber un maximum d’informations sur cette ville, encore toute fraîche et étrange pour lui (mais pas fraîche en odeur, songea-t-il). Il n’aimait pas particulièrement cette ville - trop de gens pour des rues si étroites, trop peu de verdure à son goût. Au moins, Antiva, on pouvait voir plus de ciel, et la ligne d'horizon n'était pas aussi haute à regarder.
Alors qu’ils se faufilaient à travers un nouveau quartier, le garde des ombres, haches frappant des deux côtés de ses jambes au rythme de leur marche, prit le temps de réfléchir à ses questions. Pour y répondre posément.
“ Le Vhenadahl, , un seul mot. C’est l’arbre du peuple car c’est le symbole de la cité d’Arlathan. ” les mots s’enchaînaient avec naturalité, comme s’il parlait du beau temps, mais ses yeux attentifs détaillaient tous les recoins des ruelles, “ La capitale de notre civilisation- des elfes. Celle que l’Empire tévintide a rasé, à l’aide de magie de sang. ”
Cette pensée était froide, sortie de sa bouche comme un fil ; ce fait, si écrasant pour sa propre culture, était si distante de son existence, comme s’il n’avait pas été influencé personellement par ce cataclysme.
Autrefois, alors qu’il n’était qu’un elfe au cheveux ébouriffés et pieds nus, son sang avait bouillonné à l’idée. Entendre le hahren en parler lui ravivait cette flamme dalatienne, l’animait d’une bravoure ancestrale. De la révolte, de la peur aussi. Arlathan, cette cité qu’il ne verrait jamais, mais aux descriptions si belles, et qu’il gardait gravées dans son imaginaire d’enfance. Au moins ça, ils n’auraient pas; ils n’auraient jamais.
À présent, cet épisode de l'histoire n’était qu’une évidence, comme s’il la servait à Amadeus sur un plat tiède, quand bien même ses doigts lui titillaient en songeant à la magie qui lui courrait plein les veines. Et cela, sans songer qu’il était en présence d’un tévintide.
“ Et puis on peut dire que l’elfique et le dalatien, c’est la même chose. Quoique les elfes du bascloître n’en gardent que de maigres bribes. Mais j’avoue parfois je ne comprends pas le peu de mots qu'ils prétendent utiliser. ” Drynne haussa des épaules, alors qu’il jeta un regard discret vers son interlocuteur. Ça n’arrivait pas tous les jours, qu’il retourne des questions vers les autres, pris par curiosité lui aussi. “ Tu apprécies donc la culture elvhen? C’est rare chez les shemlens. ”
- Résumé:
- Drynne est amusé par le caractère excentrique de ce shemlen tabassé et accepte son invitation. En chemin d’une taverne, il suit et élucide Amadeus sur plusieurs points de la culture dalatienne, parle de la chute d’Arlathan comme s’il parlait de la méteo - bien qu’la mention de magie lui titille les doigts. Il est intrigué par sa curiosité envers le peuple des elfes, alors qu’ils marchent vers une taverne.
Ces marques sont élégantes, courbes et tangentes, formules complexes, porteuses d’une histoire qui lui échappe. Pourtant, il comprend la fierté que l’elfe a, de les afficher. Les racines d’une forêt brûlée, les cendres d’un peuple, les cicatrices des survivants.
Un combattant. La guerre, inscrite sur son poitrail et dans sa propre chair.
_ Nuvenin ? Répète Amadeus en effleurant son propre menton. Il n’y a aucune marque, si ce n’eut été celles de ses rasages maladroits.
_ C’est le nom de tes marques ? Elles sont vraiment soignées ! Comme des enluminures sur un parchemin !
C’est bien l’une des seules références qu’il peut avoir.
_ Est-ce qu’elles représentent quelque chose en particulier ? A quel âge les as-tu eues ?
Son sourire l’a encouragé à l’interroger. Sa fierté lui réchauffe le cœur et en réponse, il sourit à son tour, sourire qu’il dissimule pudiquement en se frottant le nez du dos de ses doigts, frottant légèrement la plaie à sa pommette. Ses mains se réfugient dans les poches de son pantalon.
Les questions du jeune homme paraissent naïves, mais trahissent une curiosité presque juvénile. Malgré son âge, Amadeus a conscience qu’il ne sait que peu de choses du monde. Lui, il a grandi entouré de sa famille, à l’abri de l’atelier, entouré d’encres, de papiers, de sourires et d’étreintes.
Ce n’est que récemment qu’il prend conscience de ce que ses parents ont vécu. De ce que d’autres ont traversé.
D’ailleurs, le rappel de Drynne est un discret coup de poignard. Des mots qui lui font mal. Un poids sur ses épaules. Une responsabilité qu’il n’a pas à porter, mais qu’il n’arrive pas à abandonner. Il se sent coupable, d’un sang qu’il n’a pas versé mais qui souille ses mains.
En tant que Tevintide, il devait assumer la faute de ses ancêtres. En tant que Tevintide, il devait veiller à ce que ces erreurs ne se réitèrent pas, jamais. Il ne ferait pas de mal à un elfe, il l’avait promis à ses mères, à son père, à lui-même. Combien même se ferait-il frapper, il ne devait pas riposter.
Les marques sur son visage en témoignent. Ses poings si serrés que ses ongles ont blessé l’intérieur de ses paumes usées.
Il ne devait pas riposter.
Peut-être même devrait-il s’excuser ? Ses yeux se lèvent vers Drynne, étudiant attentivement son expression si détachée. Ca semble si lointain, tant dans le temps que dans le cœur du dalatien, en tous cas, Amadeus n’identifie ni colère embrasée, ni peine dans sa voix.
Une part en lui espère. Sans que ce fait ne soit oublié, pourrait-il être pardonné ?
Une autre l’étrangle, il préfère ravaler cette pensée, égoïste et égocentrique. Néanmoins, s’excuser lui paraîtrait inapproprié en cet instant – l’autre le trouverait bizarre et qui sait, peut-être que cela soufflerait sur les braises d’un feu éteint à présent ?
_ Ouais j’vois… Ma mère aussi avait un peu son patois, sourit Amadeus. Lorsqu’il parle de sa famille, il est incapable de retenir ce sourire qui embrase ses yeux si sombres, la joie éclate, brisant son masque renfrogné. Ses yeux plissés, ce sourire qui dévoile légèrement ses dents, plisse son nez, il frotte sa plaie dans un reniflement et détourne les yeux pour observer les rues.
Contrairement à son interlocuteur, il a le pas chaloupé, basculant son poids d’un côté, de l’autre. Les mains dans les poches, le nez levé, parfois, baissé vers ses chausses, pas tellement gêné des odeurs de la cité. Les fragrances d’urine, il s’y est accoutumé, c’était parfois utilisé pour certaines encres ou jaunir le papier.
Mais les rues de Starkhaven sont bien différentes, avec leur sol dallé, le truc blanc glissant qui les recouvre parfois, les odeurs qu’il ne connaît pas.
Bien qu’il n’ait pas d’armure, il a l’impression d’être bien plus lourd que Drynne dont le pas effleure le sol avec légèreté, il s’avance sans un bruit, se faufilant avec aisance – alors que l’épaule d’Amadeus heurte parfois un mur lorsqu’ils tournent, qu’il trébuche sur quelques déchets ou bouscule un passant, à qui il adresse une excuse accompagnée d’un geste de la main.
Il a grandi trop vite, enfin, il n’est pas si grand, mais il peine à se faire à sa carrure.
Une ossature fine, emprisonnée d’une musculature épaisse et d’un peu de graisse pour protéger le tout, des épaules carrées, un torse développée, un ventre affichant une petite bedaine trop sensible aux chatouilles – sa grande faiblesse.
Des oreilles rondes alors qu’un sang elfique coule dans ses veines. Une barbe qu’il doit raser alors que le reste de son corps est étrangement imberbe. La maigreur de ses poignets, terminés de grosses mains aux doigts épais.
L’image qu’il se fait de son corps est distordue, se considérant tour à tour fin et énorme. Si fin, lorsqu’on l’enlace et qu’il se pelotonne contre le corps de son prostitué préféré, le nez glissé contre son torse. Si énorme lorsqu’il doit s’habiller, se tortillant pour entrer dans son veston, ou lorsqu’il marche, percutant le coin des portes, trébuchant sur les escaliers, prenant dans ses mains celles de Zélia.
Pour autant, tout l’amour qu’il a reçu fait qu’il ne se sent pas si mal dans sa peau. Il n’est pas le plus moche – ni le plus beau et ça lui convient.
Aussi s’étonne-t-il de la légèreté avec laquelle Drynne s’avance, malgré l’armure qu’il porte.
_ J’y connais pas grand-chose mais j’suis curieux ouais… C’est un peu compliqué, enfin pour moi, non, mais pour d’autres ça l’est mais… mais j’ai 3 parents, une maman elfe, une maman humaine et un papa humain. C’est l’elfe qui m’a porté, alors j’ai pas les oreilles pointues mais j’ai son sang dans mes veines. Et quelques mots de sa langue.
Parler d’elle le fait naturellement rire, un rire semblable à un aboiement, bref et fort, qu’il réduit au silence en remuant la tête. S’ébrouant, il passe une main dans ses cheveux très épais et adresse une œillade malicieuse à Drynne.
_ J’connais shemlen et sûrement des termes pas trop polis qu’y faut pas dire dans une discussion… mais ma mère disait être une déracinée, elle avait un peu son propre patois elfique et restait surtout avec nous. Mais j’pense qu’elle aurait bien aimé connaître des Dalatiens ! Elle m’parlait des fois d’elfes qui parcourent les forêts, aussi agiles qu’les oiseaux et c’vrai qu’t’as l’air tout léger quand tu marches, alors qu’t’as une armure ! Elle m’a parlé aussi des forêts mais j’y suis jamais trop allé…
Il affiche une moue bougonne. Les forêts lui font peur. Avec tous les dangers qu’elle renferme.
_ J’s’rais une proie facile pour un ours ou tout c’qu’y vit… La dernière fois où j’y suis allé, j’voulais juste m’balader, j’étais juste devant les grands arbres et p’is j’me suis approché pour r’nifler des fleurs et là, CRACK !
Amadeus a ouvert de grands yeux, revivant cet instant terrible.
_ J’sais pas c’que c’était, j’ai fui comme un clébard, la queue entre les jambes, j’avais peur qu’ce soit un ours qui vienne m’bouffer le cul ou un aigle qui vienne m’enlever pour nourrir ses p’tiots…
Le jeune homme finit par frotter son crâne, penaud.
_ S’tu veux t’foutre de ma gueule, tu peux, j’sais qu’c’est ridicule, bougonne-t-il, C’juste… J’y connais rien, ça m’fait peur et à la fois, j’aimerai y aller. T’aurais des endroits à m’conseiller ? Genre pas trop dur à atteindre ?
Ils rejoignent une grande rue. Amadeus ralentit le pas, étudiant les étales du regard, jusqu’à voir un comptoir à même la rue. Il y emmène souvent Zélia ou Dorte, les elfes de l’ambassade ! Son pas se fait plus assuré pour y mener Drynne. Au moins là-bas, on ne fait pas la grimace à sa vue ou à celle des elfes qui l’accompagnent.
Aujourd’hui, il y a du cidre chaud, du jus de pommes aux épices et des tisanes. Amadeus opte pour une choppe de cidre chaud et en boit quelques gorgées avec avidité – le liquide brûlant, empli d’épices, lui pique la gorge…
Mais le sucre lui redonne un peu d’énergie ! Il lâche un soupir soulagé et grimpe sur un des tonneaux laissés dehors. Laissant ses jambes pendre, il s’étire avant d’attendre que Drynne s’installe. Bien entendu, il a payé leur consommation.
_ Ca fait longtemps qu’t’es à Starkhaven ?
- Spoiler:
- Résumé : Amadeus poursuit l’interrogation de Drynne. Dévoilant être issu d’un trouple et plus spécifiquement d’une mère elfique, il reconnaît que sa connaissance en culture elfique est pitoyable et que les rares fois où il a approché la forêt, il a toujours pris les jambes à son cou. Admirant l’agilité naturelle de Drynne, il le conduit à un comptoir menant à même la rue pour prendre leur consommation et continue la discussion.
Les mains de l’humain effleurant son visage en miroir de son propre geste firent sourire à nouveau Drynne; était-ce toute cette curiosité qui rammolait sa patience, ou était-ce cette légère nostalgie d’antan qui l’innondait de tout son long lorsqu’il se remémorait de son apprentissage? Nul ne le saurait, pas même lui.
“ Ma nuvenin signifie ‘Comme tu le dis’. Les marques s’appelllent vallaslins. complétait-il, marquant une pause lorsqu’Amadeus les compara à des enluminures sur un parchemin. C’était une comparaison poétique, à laquelle Drynne pouvait être sensible. ” Vallaslins, les écritures du sang. Je les ai reçues lorsque je suis devenu adulte. Elles honorent l’un de nos dieux. ” Dirthamen.
L’elfe se remémora de l’évènement. La première sensation de brûlure entre ses sourcils. Le visage de l’Archiviste, flou derrière des nuages serpentins de fumée. L’odeur de l’encens enivrant ses sens. La douleur agréable de chaque ponction… la sensation de la toute petite main de Rasa sur son épaule, pas physique, mais là tout de même.
Drynne aurait pu compléter comment fonctionnait leur application ; lui dire qu'elles étaient exécutées non seulement grâce à une main ferme, mais aussi grâce à une main bien ridée de sage, une main catalysante de magie, celle de l'Archiviste. Et qu'au moindre son ou geste de douleur, son processus serait cessé. Il aurait pu lui raconter aussi que lui-même avait été initié à cet art sacré.
Mais lui expliquer tout cela impliquait tout une arrière connaissance de la culture dalatienne qu'Amadeus n'avait vraisemblablement pas. Entre autres choses qu’il gardait seulement pour sa tombe.
Et le chemin vers la taverne n'était que trop court pour faire long de toutes ces curiosités sur les Dalatiens. Alors il n'en expliquerai pas plus, du moins pas pour le moment, pas ce jour-là.
L'homme continua de parler, et au beau milieu de son discours, révèla ses origines avec une telle normalité, que Drynne pensait d'abord l'avoir mal interprété ; partageaient-ils donc tous deux un même sang, le sang du beau peuple?
Ce nouveau bout d'information fit le garde des ombres l'observer d'un œil nouveau. C'était donc pour cela qu'il avait un je-ne-sais-quoi de souplesse élégante, sous ses airs bourrus d'humain? L'elfe regarda ces oreilles : bien rondes. La nature de ce mélange l'avait toujours intrigué, et sa curiosité fut piquée, mais il garda le silence, réfléchissant à ce qui venait d'être dit. Un trouple élevant un petit humain. Si sa mère n’avait pas été une elfe dalatienne, alors il aurait probablement grandi dans une sorte de bascloître. Mais il ne connaissait pas celui de Starkhaven, ça c’était sûr. Alors comment en était-il arrivé là?
Leur arrivée à la taverne avait été ponctuée de son récit en pleine forêt et l'elfe du clan Virnehn s'empêchait de pouffer de rire. Amadeus avait un charisme irrésistible et l'elfe s'en voulait presque de se « foutre de sa gueule ». Néanmoins, le dalatien ne se moquait pas totalement de lui.
Car les forêts étaient dangereuses. Elles rescellaient bien des secrets, et quiconque n'était pas expérient à les traverser, ferait mieux de s'en tenir éloigné. Combien de fois Drynne n'avait-il pas trouvé d'humains perdus ou pire, dévorés par des ours? Combien de dangers se cachaient dans les pièges posés par les chasseurs, les sables mouvants des lisières d'Antiva, les montagnes qui abritaient des meutes entières de loups? Ça, c’était sans parler des autres dangers, ceux que seul un Garde des Ombres pouvait affronter en pied d’égalité.
“ J’y connais rien, ça m’fait peur et à la fois, j’aimerai y aller. T’aurais des endroits à m’conseiller ? Genre pas trop dur à atteindre ? ”
Le mage se gratta l'arrière de la tête. " Écoute, c'est peut-être pas si mal qu't'ais peur, c'est pas évident... ”
Mais ils venaient d’arriver à la taverne, et donc la conversation fut interrompue. Le comptoir qui donnait sur la rue était une nouvelle vue pour lui - et les alentours présentaient une multitude d’humains et d’elfes, ce qui surpris positivement le garde des ombres.
Une fois installés, Drynne remercia l'offre du tévintide: il tenait à la main sa chope d’oxymel - son breuvage typique, lorsqu’il visitait ces établissements avec la Garde. Le goût mielleux était agréable et semblait le réchauffer de l’intérieur, malgré l’absence d’alcool de cette boisson - par contre, le goût acide du vinaigre était trop léger à son goût. Dommage, mais c’était mieux que rien. L’elfe pu enfin continuer :
" Les forêts tout juste en dehors de Starkhaven seraient un bon choix. Mais même à ces occasions, il faut pas compter sur l’innocence des gens… surtout si t’es pas armé. ” Drynne sirota à nouveau. Il se remémora de ses premières explorations sur ces lieux. C’était la forêt la plus étrange qu’il ait pu visiter : l’énergie n’y était pas typique, comme si le respect envers cette nature y manquait, dans tous ces recoins. Des chiens enfermés, des arbres coupés, haches délaissées, végétation arrachée pour aucune raison particulière; l’elfe observa l’humain, réfléchissant à son talent pour les pétrins. Peut-être que lui proposer d’venir avec lui pour chasser était un peu trop lui demander, alors il garda le silence à ce propos-là.
“ Ca fait longtemps qu’t’es à Starkhaven ? ”
" Non, y’a quelques semaines ” Le dalatien hocha de la tête, jetant un regard vers les bâtisses autour de lui. " Je ne connaissais même pas ce coin. ”
Les rues lui semblaient presque toutes les mêmes, s’il avait envie d’être un peu « méchant » vis-à-vis d’cette ville. Il parvenait vaguement à distinguer les différentes ambiances, mais à tout vous dire, Drynne trouvait cette cité bien trop asphyxiante. Tout bougeait, mais ce n’était pas comme à Antiva, où les bâtisses étaient quand même plus aérées, les rues moins étroites, les couleurs plus offusquantes. Il reporta son regard gris vers Amadeus, curieux à son tour. Il se perdait dans le bascloître, alors était-il récemment arrivé lui aussi? Pourquoi cette visite spontanée en ce beau jour de Primeneige? Retrouver quelqu’un de la famille de l’elfe qui l’avait porté?
" Et toi? J’suppose que toi non plus, vu qu'je connaissais mieux l’bascloître que toi ? ” Drynne souffla du nez en le taquinant, prenant une nouvelle gorgée de sa chope, léger sourire amusé aux lèvres.
- Résumé:
- Drynne explique ce que sont des vallaslins et remémore sa cérémonie. Il suit Amadeus vers une agréable taverne extérieure où y’a plusieurs elfes et humains. Ils font la conversation et parlent des dangers d’la forêt et de leurs arrivée à Starkhaven!
Son pouce glisse le long des traces de sa propre histoire, les cicatrices, la corne rêche, les dessins de l’encre, la poussière incrustée.
_ Quel Dieu ? Toutes les vallaslins honorent un Dieu particulier ?
Il demande. Ses yeux noirs sont un puits, empli d’une soif insatiable. Un esprit avide. Une faim intarissable. Celle de dévorer le monde.
Il y a tant à savoir. Il est curieux. Sa naïveté n’est en réalité qu’un parchemin vierge, qu’il attend de couvrir d’expériences et de connaissances.
Il n’y a ni jugement, ni pression, mais une impatience trépignante, qu’il retient entre ses mains serrées l’une contre l’autre, mais que ses lèvres ne retiennent pas.
_ Ma mère avait des marques. Sur ses mains, son visage. Très différentes des tiennes.
Certaines d’entre elles étaient des cicatrices. D’autres avaient une valeur symbolique, mais n’étaient en réalité que les esquisses de dessins oubliés, effacés, par les siècles de servitude et de sang versé. L’histoire inscrite dans sa chair était un arbre déraciné, arraché de sa terre et du peuple dont elle était le bourgeon. Elle chérissait la moindre de ces inscriptions, qu’elle peignait de teinture et qu’Amadeus suivait de ses petits doigts boudinés. Plus tard, de ses lèvres usées, lorsqu’il embrassait ses mains, ses joues et son front ridés.
Rejoindre la taverne lui arracha un soupir soulagé. Boire un verre lui fera du bien ! Et il est content que Drynne l’ait suivi. Qu’il ait accepté son invitation.
Le cidre est chaud. Sa bouche se débarrasse des fragrances aigres et métalliques, s’emplit des parfums lourds, fruités, sucrés. Les épices taquinent ses papilles, il inspire pour s’imprégner des arômes. Ses muscles se relâchent. Son geste est lourdaud, quand il grimpe sur le tonneau. Ses jambes retombent et se balancent légèrement, la tasse entre ses mains abîmées, il écoute Drynne.
Il est si différent de Dorte ou de Zélia. Zélia, si douce, tendre et minutieuse. Dorte, grognon, l’esprit et le corps usés par le travail. Tous deux marqués par les maltraitances humaines. Ayant conscience que leur sang avait moins de valeurs que le vin.
Drynne n’a rien à voir avec eux. Fier et assuré, une étrange puissance émanait de ses gestes ou de ses mots. Il est marqué, lui aussi – mais ces cicatrices, il les affiche sans aucune honte, contrairement à Zélia qui dissimulait ses mains dans ses poches ou ses manches. Il embrasse cette histoire, elle est incarnée en lui, mettant en exergue les traits de son visage, ses pommettes saillantes, ses mâchoires plus effacées. Une allure sauvage, comme ces chats qu’Amadeus croise parfois à Starkhaven, mais loin d’être craintive. Un fauve.
_ Ah, ça, les gens…
Amadeus renifle. Son nez et ses sourcils se sont froncés, alors qu’il se redresse légèrement. Le dos de ses doigts frotte son nez, maintes fois brisé.
_ J’sais pas si y’a plus de cons en forêt qu’en ville, t’sais. Les animaux, y sont moins vicelards et bon, y veulent juste protéger leur territoire ou bouffer, pas juste te péter la gueule parc’que t’es moche ou autres. Les animaux m’font bien plus peur que les gens.
Avoue-t-il en rabaissant la main. Lui ne connait rien à la faune ou à la flore.
Citadin, c’est à l’abri des murs de l’Atelier qu’il a grandi. Entouré de vapeurs incandescentes, d’odeurs acides mêlant sueurs humaines, épices, urine et poussière. C’est auprès d’Hommes et d’Elfes qu’il s’est développé. Qu’il s’est armé. Ses poings, il les préfère à une lame tranchante ou contendante.
Pour mesurer chaque coup qu’il donne.
La vie est précieuse.
Et il sait que cette valeurs ne peut ni se mesurer avec l’argent, ni même le cœur. Sinon, sa mère elfe coûterait une fortune, à ses yeux. Mais sur le marché tevintide, « elle ne vaut rien », comme elle le disait si bien. Des propos qui les ont toujours offusqués, lui et son autre mère.
Son père avait conscience de la véracité et de la triste réalisé de ses propos.
Entendre Drynne souffler du nez lui fait comprendre sa taquinerie. Et il surprend son sourire, derrière sa choppe, ses yeux qui brillent avec malice.
Amadeus, surpris, plante franchement ses yeux dans les siens. Un rictus s’arrache de ses lèvres et il fait mine de le bousculer gentiment, d’un geste du pied.
_ Allez, rigole canaille ! Quand j’irai en forêt, là, tu seras plié !
Il ricane à son tour et hausse les épaules.
_ Ca fait bien 3 ans qu’j’y suis ? Songe-t-il en grattant sa joue, Mais j’suis casanier. Chez moi, j’restais dans l’atelier d’mes parents, ça f’sait bien la taille d’un quartier d’ici ? J’y ai passé toute ma vie. Alors quand j’suis arrivé là… j’suis resté là où j’travaillais et ça fait pas longtemps qu’j’ose sortir… Et l’monde est tellement grand !
Souffle-t-il.
_ Y’a plein d’rues et quand on sort, y’a encore plein d’autre chose ! Forêt, plaine… J’ai envie d’voir plus loin ! J’me sens dans un autre monde !
Il connait les serpents, les wyverns, les silhouettes reptiliennes. La terre ocre, la poussière, la chaleur du soleil, les murs en pierre blanche, la douceur du papier, la viscosité de l’encre et toutes ses variantes. Les fleurs sont blanches ou claires, armées d’épines.
Ici, les murs sont gris. Il a découvert le froid, la neige. Combien de fois s’est-il cassé les fesses sur les plaques de verglas ? Insultant le vent qui rugissait dans les rues, faisait claquer ses fenêtres, soulevait sa tignasse, ces bourrasques qui l’embrassaient et le frigorifiaient ?
Le vert, les étendues d’herbes qu’il a observées avec crainte en premier lieu – comment savoir si un serpent s’y lovait ? Puis avec curiosité. Perdant ses mains dans les brins, humant les odeurs de la terre humide.
_ T’as l’air d’avoir beaucoup voyagé toi. T’as vu quels coins ? Y’en a qu’t’as préféré ?
Lire lui a permis de découvrir le monde. Mais entendre quelqu’un le lui décrire… C’est encore plus immersif.
- Spoiler:
- Résumé : Amadeus continue ses questions, interrogeant Drynne sur son Dieu… Et sur les endroits qu’il a visités. Il reconnaît qu’il est davantage effrayé par les animaux que par les gens et explique à Drynne qu’il a grandi dans un petit quartier. Dans un endroit bien étroit comparé au monde que l’elfe a parcouru.
Ce n’était pas très commun de voir Drynne de la sorte; boisson à la main, au beau milieu d’un espace social, un pareil sourire au visage; surtout si on tenait en compte qu’il sortait tout droit de ces maudites nuits blanches - insomnie qui s’imposait sur son habituelle acuité. Encore plus ahurissant si on considérait qu’il était le seul Garde des Ombres présent ici.
Mais l’esquisse aux lèvres était bien là, légère et parfois passagère lorsque le sujet de conversation redevenait plus sérieux.
La mention de sa mère piqua son intérêt, mais le guerrier n’y puisa pas plus. Ces simples mots suffisaient : il y a avait un temps et un contexte pour ce genre de choses (même lui le savait! Tiens donc!) Il lui expliqua que les dessins des vallaslins changeaient selon l’Evanuris choisi, que celui qu’il avait choisi était Dirthamen, le dieu des secrets.
Si Amadeus était donc un fils géré par une elfe ancienne esclave, il avait autant de raisons que Drynne de mépriser Tevinter.
À vrai dire, il n’avait pas besoin de trop lui poser de questions, voici que le bonhomme exposait sa vie presque à tous ceux qui voudraient l’entendre. Il continuait, soufflant : ” Y’a plein d’rues et quand on sort, y’a encore plein d’autre chose ! Forêt, plaine… J’ai envie d’voir plus loin ! J’me sens dans un autre monde ! “
C’était bien vrai, Starkhaven était immense. Même Antiva, qui était tout aussi imposante, avait l’air d’être plus petite, sans tous ces édifices entassés les uns sur les autres. Peut-être car la cité des Princes avait été édifiée sur une montagne, plutôt que au long d’un littoral.
“ À qui le dis-tu…” souffla Drynne à son tour, déglutissant sa boisson savoureuse, le vinaigre brûlant agréablement sa gorge.
” T’as l’air d’avoir beaucoup voyagé toi. T’as vu quels coins ? Y’en a qu’t’as préféré ? “
C’était une question qu’il avait déjà vu venir, et donc Drynne ne prit pas longtemps à lui rétorquer :
“J’en ai vu quelques-uns. Tous les Anderfels, quoique on ait toujours eu beaucoup à faire à Weisshaupt. Personellement, je préfère Antiva, le soleil y brûle bien, les odeurs sont agréables même en ville. Par exemple Sélénie, des plus jolies cités d’humains que j’ai vu, pleine d’art et de couleurs. Des jaunes, des rouges, de l’orange, partout où tu regardes. Ça change du blanc et du bleu des monts Vinmark. Mais les Marches Libres ont le vert le plus vif de tous… Bref - c’est pas si difficile de voyager quand on a un griffon. ” ( Le seul côté positif de la Garde? ) Ressentant la curiosité bouillonnante d’Amadeus, le dalatien baissa son regard vers son verre d’oxymel. “J’évite l’alcool, mais même le vin à Antiva était bien.” Puis il regarda la boisson de son compagnon de fortune et releva un peu son menton. “Si t’aimes ça, t’aimerai vachement plus leur vin. À côté, ta chope là, elle goûte à rien!” … l’elfe se racla la gorge, sans trop remarquer son comportement potentiellement bourru, ou même, vanteur. C’est qu’il n’avait pas l’habitude de parler de ses aventures, du moins pas avec quelqu’un qui semblait si intensément intéressé.
“T’en veux une autre?”
Au moins, il faisait un vrai effort.
- Résumé:
- Drynne réfléchit aux origines mystérieuses d’Amadeus et lui explique ce que sont les vallaslins, et les différents dessins pour chaque Evanuris.
Puis finalement il lui parle des quelques cités et territoires qu’il a déjà visité - ne remarquant peut-être pas qu’il peut passer comme vanteur. (C’est qu’il est doué pour êt’ sociable hein)
_ Merde, lâche-t-il, face à sa maladresse ou à l’annonce ? Il élève sa main à ses lèvres, il lèche précieusement le liquide sur sa peau, chaque goutte a son prix, il ravale sa salive relevée d’acide. Il se dandine d’un pied sur l’autre, la tête penchée sur le côté, il hésite, il s’approche, il murmure.
_ Comment y s’appelle, ton griffon ? Qu’est-ce qu’y mange ? Tu peux grimper sur son dos ? Tu peux voler ? C’est toi qui l’as trouvé ou on t’l’a donné ?
Les questions sont ingénues. Murmurées avec empressement, comme par peur que Drynne ne prenne soudainement la fuite, une fois son verre fini. Il surprend son regard, son mouvement de menton vers sa boisson. La chope est presque pleine, bien qu’il l’ait presque renversée sur ses doigts.
_ Bah quoi ? T’aimes pas l’cidre ? Réplique-t-il dans un sourire malicieux, J’vois, j’vois ! Alors quand on fait partie d’la Garde, on bouffe pas n’importe quoi ! Du vin d’Antiva et j’en passe !
Amadeus repose un coude sur sa cuisse et se penche vers Drynne. La blessure sur sa pommette commence à bleuïr et gonfler. Le Tevintard aura un sacré coquard, ça ne sera pas le premier. Face à son air vantard, il répond d’un petit mouvement de jambe, plante ses yeux noirs dans les siens.
_ Si m’sieur a des goûts d’roi, faudra qu’y goûte mes brioches. Les meilleures de Starkhaven ! Pétries à la main et fourrées à la confiote maison, recette de famille ! Ca et du bon vin d’Antiva…
Il élève sa choppe.
_ Quand j’nous trouverai une bouteille, on f’ra ça !
A sa proposition, il cligne des paupières. Son sourire s’étire, sur ses lèvres, il se dandine sur son siège. Un geste impatient, trahissant l’envie d’accepter, celle de faire durer l’instant : seulement retenu par la pudeur. La gêne qu’il paye, pour lui, après tout ce qu’il lui doit. Mais Amadeus ne sait pas refuser une main qui se tend : il la saisit.
_ Ouais, vas-y, j’en r’veux !
Il avale goulument deux gorgées de sa chope, laisse échapper un hoquet, tapote son torse du poing, éructe discrètement dans son poing. Il grimace à cause de la remontée acide, celle qui va jusqu’au sinus, il secoue un peu la tête de droite à gauche. Il remue paisiblement les jambes, sans plus perdre le sourire heureux.
Papa, encore 5 minutes, demande le gamin. Installé sur les genoux de son père, blotti entre ses bras épais qui sentent le cuir, protégé de sa chaleur, de son étreinte, de son odeur musquée qui l’entoure tout entier. Encore 5 minutes ! Supplie le morveux. Son père l’observe avec sérieux, de ses yeux noirs comme la nuit, sous ses sourcils épais, sa barbe broussailleuse qui gratte son front, lorsqu’il lève les yeux. 5 minutes, concède le père, rouvrant son livre qu’il tient d’une main, l’autre encore autour de la taille du gamin. 5 minutes.
Ces quelques minutes supplémentaires passées près de l’elfe ont la même saveur. Le regard rêveur, le visage éclairé d’un sourire, Amadeus reprend. Sa voix, apaisée par une étreinte passée qu’il n’a jamais oubliée, reprend. Douce et tendre.
_ D’Antiva ? J’connais que’que p’tites choses. Leurs encres ont d’super reflets, bruns rougeoyants.
Amadeus lève la main, tourne les doigts, comme s’il tenait une pierre précieuse, qu’il ferait tourner à la lumière. Ses yeux levés, vers des reflets qu’il a appris à voir.
_ T’sais d’où ça vient ? Du vin, qu’y a tourné dans leur cave. Ils l’utilisent, plutôt qu’le jeter. Parfois, y prennent le…la marc.. ? Les miettes de café ! L’encre, elle sent l’aigre, alors y adoucissent ça avec un peu d’miel, juste une goutte, ça sucre et ça dore, l’encre est plus épaisse, un peu d’huile dans tout ça, quelques pincées de poudre de cuivre…
Amadeus rabaisse la main.
_ J’en ai ach’té, du café, mais c’pas super bon. J’merde sûrement dans la préparation. J’ai écrasé les espèces d’graine, j’ai mis ça dans la farine, deux œufs, battu un peu tout ça, fait des biscuits, foutu ça au d’ssus du feu… Putain qu’est c’que c’était dégueulasse.
Amadeus éclate de rire. Son rire jaillit, cascade, rigole qui dégringole, la pluie d’un été trop chaud.
_ J’ai mis ça dans ma bouche, c’était p’tain d’aigre ! Ca m’est r’monté dans les sinus, plus vite qu’un bourre-pif, j’ai crû qu’mon nez, il allait tellement s’froncer qu’il allait remonter jusqu’à mes sourcils ! Et c’était sec à en crever, j’aurais pu tuer un wyvern si j’lui avais balancé à la gueule !
Amadeus fait tourner sa tasse entre ses doigts.
_ J’ai voyagé un peu moi aussi. Mais j’ai pas trop eu l’temps de traînasser. J’en ai pas beaucoup d’souvenirs non plus. J’me souviens surtout d’la mer. Et d’chez moi. T’aurais p’têt’ aimé, chez moi. Y’a plein d’couleurs, plein d’odeurs. Y’en a qui disent qu’y a du sable et d’la poussière, mais j’suis pas d’accord. Et puis là-bas, c’là qu’j’ai mangé les meilleurs biscuits.
Amadeus lève alors une main, comme sa mère humaine faisait. Et c’est comme elle, qu’il s’exprime.
_ Amadeus, disait ma mère, Amadeus, un jour, je te confierai le secret. Le secret pour faire les meilleurs biscuits de la terre.
Il prononce ces mots sur un ton solennel. Connivence et tendresse, il laisse planer un silence : sa mère est avec eux. Dans ses doux yeux noirs, ces lèvres épaisses, qui esquissent un sourire du coin des lèvres. La petite pommette, qui se creuse dans sa joue, l’élégante boucle, qui s’enroule au-dessus de son sourcil. La douceur de sa voix, la caresse d’une mère, son baiser, sur son front, qui lui arrache un soupir et relâche ses épaules.
_ J’peux bien te confier c’secret, si t’as choisi… Dirthamen. Non ?
Murmure-t-il avec connivence, lui adressant une œillade. Il le fait signe d’approcher, avant de se pencher.
_ Il faut laisser reposer la pâte, longtemps, faire des losanges, épais comme la couverture d’un livre en cuir. Une petite noisette de beurre, du sucre roux, de la cannelle, et la cuisson… La cuisson. Juste le temps pour que le sucre se caramélise, mais pour que l’intérieur du biscuit soit tendre, tendre comme un baiser, tendre comme un rire d’enfant, comme une feuille à peine née. Que même les cœurs les plus durs, fondent.
Amadeus se redresse et prend une gorgée de son cidre. Ca libère sa gorge, de cette nostalgie qui monte à ses lèvres. De cette aigreur qu’il chasse d’un râle en basculant en arrière, reposant son dos contre le mur de pierre.
_ C’un biscuit qu’tu prends l’temps de manger. Pour sentir chaque grain d’sucre, rouler sur ta langue, le sentir fondre ou l’croquer, et la chair, craque juste un peu, puis elle est toute douce, sous son écorce. Ca a un goût… Un goût que j’saurais pas décrire, comme ces fruits juteux qu’on fait un peu sécher au soleil, avec les épices… C’est trop bon. J’en f’rai aussi, avec la brioche. Tu m’diras si t’aimeras. L’autre ingrédient s’cret, c’est qu’il faut faire ça avec le cœur !
Il ferme le poing, l’abat sur sa poitrine d’un geste puissant, sa cage thoracique répercute l’impact.
_ D’t’façon moi, j’cuisine pas pour les gens qu’j’aime pas.
Bougonne-t-il d’une moue râleuse, fronçant le nez et les sourcils. Il se redresse avec fierté et l’interroge du regard.
_ Y’a des plats qu’t’aimes bien toi ? Des choses qu’t’aimes manger ?
Résumé : Amadeus est ravi de discuter avec Drynne. Il aborde le sujet du griffon, puis sur ce qu’il sait d’Antiva. Il parle aussi de son chez lui et des biscuits préparés par sa mère, acceptant de confier la précieuse recette à Drynne. Avant de lui demander ce qu’il peut aimer manger… Bien trop content de passer un peu de temps avec une compagnie qu’il juge agréable.
” Comment y s’appelle, ton griffon ? Qu’est-ce qu’y mange ? Tu peux grimper sur son dos ? Tu peux voler ? C’est toi qui l’as trouvé ou on t’l’a donné ? “
Si Dhaveira avait été là, Drynne aurait pu parier toute sa monnaie : elle aurait relevé son bec, piaffé avec véhémence et répondu d’un croassement assourdissant. (Car elle partageait bien ce trait de caractère avec l’elfe: elle ne jouait pas dans la délicatesse) - comme si elle devinait qu’on venait de parler d’elle, mais sans évoquer son nom. (Tout cela, bien sûr, si un griffon de son envergure aurait pu se retrouver dans une rue comme celle-ci.)
L’elfe dalatien eut l’air momentanément songeur, voire nostalgique.
“ Ma griffone s’appelle Dhaveira, elle aime chasser des cerfs. Oui, nous Gardes des Ombres traversons des continents à leurs dos - mais il faut qu’un griffon nous choisisse- j’ai pas eu trop l’choix avec Dha’. Mais c’est vrai qu’on se rend à Weisshaupt bien plus facilement comme ça. “
Cette bête qu’il avait d’abord reniée, n’avait plus jamais lâché prise, incroyablement bornée et têtue, mais adorable tout de même. Ainsi avait-elle choisi ce dalatien déchu, pour le mal et pour le pire. Et un jour, je mourrai à son dos, songea-t-il.
“ Des goûts d’roi? Non, juste une amie qui apprécie trop le vin et m’en a fait goûter. C’était pas mal savoureux. “ Mukae était toujours friande pour «tourister», surtout quand on parlait alcool. On ne pouvait pas dire que Drynne la rejoignait dans cet enthousiasme. “ Les brioches? “ Drynne n’était pas le plus goulu de pâtisseries, mais il aimait les couleurs vives de ces types de pains, et leur odeur souvent sucrée. Et cela pouvait se deviner dans ses yeux, si on prenait le temps de lire et connaître Drynne.
Après avoir récupéré une toute nouvelle chope pour eux, le thème changea drastiquement. Les voici partis en Antiva, parlant d’encre, de café et de biscuits. En juste quelques minutes, les thèmes les plus variés étaient discutés à leur petite table, sans que personne puisse briser ce moment. C’était bizarre, de se sentir aussi sociable, aussi normal - songea un moment le Garde. Il faut dire qu’Amadeus avait un sacré don pour mener une conversation - que ce soit grâce à sa gestuelle davantage expressive ou à ses éclats de rires charmants ; et aussi, que Drynne était un interlocuteur attentif.
” J’peux bien te confier c’secret, si t’as choisi… Dirthamen. Non ? “
Dirthamen, qui n’avait pas voulu croire que son frère ne l’aimait plus? La pensée le foudroya un moment, avant qu’il ne le balaye d’un: “ Bien sûr. “
” … La cuisson. Juste le temps pour que le sucre se caramélise, mais pour que l’intérieur du biscuit soit tendre, tendre comme un baiser, tendre comme un rire d’enfant, comme une feuille à peine née. Que même les cœurs les plus durs, fondent. “
C’était comme si le dalatien pouvait goûter toutes ces sucreries sur-le-champ - tel était l’investissement personnel de son nouvel ami. Drynne voulait bien le croire, mais il n’avait jamais eu tout cela.
“ Je crois bien ne jamais avoir goûté un biscuit. “ admit-il avec hésitation. Ce n’était pas le plat favoris des Gardes, ni un luxe qu’ils pouvaient se payer. “ Du moins, je crois que c’que j’ai goûté, il n’était pas très frais, ça ne compte pas vraiment… peut-être? “ Drynne haussa des épaules ; il n’y avait pas de fours au clan, donc c’était quelque chose dont il jugeait pouvoir se passer.
Goûterait-il un jour des mets fantastiques d’Amadeus?
” Y’a des plats qu’t’aimes bien toi ? Des choses qu’t’aimes manger ? “
Drynne cligna des yeux, comme s’il n’avait plus jamais considéré cette question. Il était frugal en ce qui concernait ses habitudes alimentaires. Peu importait, du moins qu’il ait de l’énergie suffisante pour mener à bout ses missions.
“ Euh… je sais pas trop. J'aime bien les pois chiches. Et j'aime bien les œufs aussi, en général. Je monte quelquefois aux arbres pour en trouver. C'est souvent les meilleurs repas quand on est en mission au beau milieu de la nature! Je pourrai te montrer comment on fait pour les trouver. Quoique… ça dépend de la saison, et y’en a qui sont trop petits… mais il y a de jolis plumes la plupart du temps. Ça vaut toujours le coup d'y grimper, ne serait-ce que pour pouvoir apprécier la forêt d’en haut. “
Drynne finit sa choppe d'oxymel, le pousse devant soi pour prendre un peu plus de place sur la table.
“ Et puis j’ai entendu dire qu’on peut les utiliser en pâtisserie, c'est ça?
... Si le continent ne sombre pas dans les tréfonds, j’pourrai te montrer comment on les trouve, aussi. “
Qui sait.
- Résumé:
- Drynne se remémore d’une petite Dhaveira et en parle à Amadeus. Ils se tapent une bonne discussion autour d’une nouvelle chope. Ils parlent encre antivane, brioche, biscuits et… pois chiches, oui.
Et son sourire s’étire davantage. C’est comme son frère, qui fait mine de ne pas s’intéresser aux brioches et qui est pourtant le premier à croquer dedans. Il n’attendait pas même à ce qu’elles refroidissent ! Un pouffement attendri franchit les lèvres d’Amadeus à ce souvenir et ses yeux, se font plus tendres.
_ Je t’ferai la meilleure brioche de ta vie. Pari tenu ?
Sur cette proposition, le Tevintide lève la main et ferme le poing, offrant bien là une façon étrange de sceller le contrat. Si Drynne imite son geste, Amadeus appuie seulement ses jointures contre les siennes avant de reprendre une gorgée de sa chope. Il ne pense plus à la douleur, au sang qui a souillé sa joue, la peur est déjà loin derrière.
_ Et après la brioche, des biscuits. On s’fera un festin !
Rit Amadeus. Ca n’a rien d’une promesse en l’air : vu l’assurance de sa voix, il y croit.
_ Ah ouais ?
Son bras s’appuie sur la table, Amadeus se penche avec intérêt, la chope entre les jambes. Un peu mal à l’aise, il affiche une moue bougonne en détournant les yeux.
_ J’suis jamais allé dans la forêt, t’sais ? Chez moi, j’travaillais dans les ateliers d’mes parents. Et ici, j’fais ma vie dans la ville. J’sais bien grimper sur les façades des maisons, mais je… j’ai jamais trop osé aller dans la forêt.
Il murmure, sur le ton de la confidence.
_ On dit que y’a des ours, dedans. Tu as déjà vu des ours ? On dit que c’est énorme. Que ça peut m’arracher la tête d’un coup de pattes.
Il frissonne et regarde autour d’eux, comme s’il craignait qu’un ours ne surgisse d’entre les arbres.
_ C’est vrai ? S-si je viens avec toi, on fera attention aux ours hein ? J’ai pas trop envie de mourir. Je… j’ai toujours voulu approcher de la forêt, mais dès que je vais vers les arbres, ça m’semble tout noir d’dans ! Y’a aussi plein d’bruits bizarres, t’sais, comme des trucs qui craquent, des espèces d’oiseaux qui chantent bizarrement, y’a plein d’odeurs… J’aimerai trop voir d’dans un jour mais j’ai… j’ai la trouille d’y aller…
Il reconnaît avec une certaine honte, qu’il cache derrière un air râleur. Il a détourné les yeux et observe un instant les reflets des lumières sur la surface de son cidre. La lumière chatoie et ondule, pétille et gazouille, il l’entend siffler en tendant l’oreille et finalement, un sourire revient sur ses lèvres.
_ Mais avec toi, j’suis prêt à l’faire, ça m’ferait même plaisir d’essayer ! J’ai rien à craindre, t’es un elfe et un guerrier et p’is c’est pour la bonne cause ! On ira ramasser des oeufs, pour mes brioches et mes biscuits, comme ça j’pourrais t’montrer comment les préparer ! Si t’as pas d’endroits pour faire chauffer, on peut faire ça sous les braises d’un feu de bois, ou même sous le sable si l’soleil chauffe bien ! Et t’as raison, faut des oeufs pour faire la pâtisserie et même les pois chiches, t’as déjà essayé ?
Amadeus lève une main, agite l’index comme s’il s’en servait pour tourner le contenu d’un récipient.
_ L’jus du pois chiche, tu le bats bien, ça peut donner une ‘spèce de crème, toute douce, très bonne ! J’aime bien l’pois chiche aussi. Tu l’manges comment toi ? T’en mangeais à Antiva ?
Il questionne avec intérêt.
_ Si ta griffonne chasse l’cerf, est-ce qu’elle viendra ‘vec nous, quand on ira dans la forêt ?